An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It
An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It affiche

2022

Réalisé par : Lachlan Pendragon

Avec : Lachlan Pendragon, John Cavanagh, Michael Richard

Film fourni par Lachlan Pendragon lui-même

Enfant prodige de l’école de cinéma de Griffith, en Australie, Lachlan Pendragon n’a pas attendu le nombre des années pour que son talent soit reconnu à sa juste valeur dans le monde entier. Animateur méticuleux, le cinéaste a émaillé son cursus universitaire de petites pépites remarquées dans les festivals internationaux, à l’instar de The Toll, présenté à Cannes en 2017. Pour le réalisateur, le stop-motion dont il est adepte est aussi bien un moyen original de raconter les histoires issues de son imaginaire débridé que la manifestation d’un savoir-faire presque artisanal. D’après sa brève présentation sur son site internet, Lachlan Pendragon aime autant laisser libre cours à ses excentricités scénaristiques que résoudre les problèmes pratiques propres à un tournage. Le style d’animation qu’il a décidé d’épouser réclame un pur travail manuel que l’auteur respecte profondément et qui lui permet de rendre “l’impossible possible”, mais lui offre aussi la possibilité de montrer son savoir-faire à travers un large éventail de disciplines cinématographiques différentes. Le cinéaste est un magicien touche-à-tout, oscillant entre conception de marionnettes, de décors et l’utilisation d’incrustations numériques. Élaboré en 2022, le court métrage An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It marque une étape cruciale dans la toute jeune carrière du metteur en scène. À la fois film de fin d’études et nouveau pas dans le monde du septième art, l’œuvre offre à son auteur une nomination aux prestigieux Oscars. Lachlan Pendragon n’a que 26 ans et le monde entier l’observe déjà avec passion.

Si la conception méticuleuse du court métrage a sûrement séduit les membres de l’Académie, la malice d’écriture est une autre force indéniable de An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It. Le héros du film, Neil, est un employé de bureau banal et un peu minable, qui passe ses journées à démarcher de potentiels clients au téléphone pour leur vendre des grille-pains. Soumis à une forte pression patronale, le protagoniste plie sous le poids d’un quotidien harassant. Toutefois, une étrange soirée fait basculer son destin. Seul sur son lieu de travail, il fait la rencontre d’une autruche qui lui avoue que son monde est totalement factice et que tout autour de lui n’est que supercherie. Neil prend alors conscience qu’il n’est qu’une des innombrables marionnettes d’un film en stop-motion, et qu’il est esclave des desiderata d’un réalisateur démiurge.

An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It illu 1

Avec une espièglerie permanente, An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It fait communiquer en un seul film deux dimensions distinctes d’ordinaire séparées sur les écrans. Le monde du stop-motion et celui du cinéma en prises de vue réelles se percutent avec fracas, provoquant un tourbillon de loufoquerie qui transgresse délicieusement le cadre habituel du septième art. Plein d’impertinence, Lachlan Pendragon déchire le voile de la fabrication même de son film pour laisser entrevoir un envers du décors presque toujours aperçu à la marge du cadre. L’unité de temps du court métrage est celle de Neil, mais le protagoniste est le plus souvent montré à travers l’écran de contrôle d’un plateau de tournage, alors qu’autour du poste se distingue les gestes en accéléré de l’animateur qui donne vie au personnage. Spectateur et personnage principal ne font plus qu’un lorsque An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It brise sa diégèse pour laisser se mouvoir la marionnette hors des limites du décors. Neil est esclave du film dans le film, malgré son envie d’émancipation, soumis à l’autorité d’une main divine qu’on devine être celle de Lachlan Pendragon, qui le poursuit sans cesse pour le forcer à regagner sa place dans le milieu qu’il a créé pour lui. À l’instar de l’imagination du metteur en scène, le héros aspire à une liberté absolue et envahit un espace normalement interdit, pulvérisant le fameux quatrième mur. Pourtant, sa prise de conscience est le fruit d’une perception des ratés de la conception d’un court métrage en stop-motion. Si l’étrange autruche pourvoyeuse de vérité est l’élément déclencheur de la fuite de Neil, elle ne fait que confirmer ce que le protagoniste a déjà entrevue dans son quotidien répétitif. La bouche d’une marionnette qui se détache de son visage, un fond vert défaillant, ou des livres dont les pages sont blanches sont autant de délicieux coups portés à la cohérence d’un récit qui se délite au fil des minutes, s’écroulant sur lui-même. An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It devient un étrange dialogue entre un réalisateur parfois esclave de son œuvre, à en juger par ses gestes répétitifs, et un héros qui veut se défaire de ses chaînes. L’artiste reste néanmoins maître de son environnement. Sa création lui échappe parfois l’espace de quelques secondes mais la fiction reste le terrain d’expérimentation personnel du metteur en scène. À chaque tentative d’évasion de Neil, le cinéaste désincarné le rappelle à son statut d’esclave du récit en le remplaçant dans le décor ou en le mettant au rebut après une chute fatale. La réalité de Neil est défaillante mais elle se plie finalement toujours au désir de celui qui l’a conçue.

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Toutefois, An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It, décidément propice à des questionnements profonds malgré sa légèreté apparente, confronte très implicitement le public aux impératifs de celui qui a bâti le monde imaginaire de Neil. Lachlan Pendragon n’en est qu’à l’entame de son odyssée artistique, pourtant il manifeste une forme de crainte envers un futur qui pourrait contraindre sa vision. Les premières minutes du court métrage laissent penser que l’univers élaboré accueille une pure fiction, pourtant à la fin de l’œuvre, il est démontré que les milliers d’heures employées à la construction de l’environnement de Neil ont pour unique mission d’illustrer un message publicitaire fictif purement mercantile. Le cinéaste, à l’instar de son héros, est esclave de diktats économiques, l’expression profonde de son être sert les intérêts de décisionnaires, le dépossédant de son imagination et de son savoir-faire pour accomplir un simple travail de commande. L’autruche porteuse d’une vérité se retrouve ainsi dépossédée de toute sagesse mystique pour n’être qu’une simple mascotte de grande enseigne. Derrière le fard de la comédie excentrique, An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It porte une réflexion plus profonde sur la monotonie d’une existence et l’aspiration à se défaire de ses chaînes pour ceux qui étouffe dans une routine oppressante. Avant de se libérer, Neil suffoque dans son bureau, souffre de sa condition d’employé sans envergure, enfermé dans un minuscule box comme il en existe des dizaines, soumis à des exigences économiques incarnées par un patron patibulaire. L’individualité du protagoniste est refusée par ses semblables qui contredisent chacune de ses tentatives de prouver à tous qu’il ne sont que des marionnettes dans un monde fictif. Dans l’un des derniers plans du film, la vision d’une armoire remplie de poupées rigoureusement semblables au héros confirme qu’il n’est qu’un rouage remplaçable d’une grande machine. Le personnage principal plie et se casse, aussi bien moralement que concrètement, mais sa supplique de reconnaissance personnelle reste vaine. Au-delà du ludisme propre à An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It, et de son jeu de citations filmiques amusantes, Lachlan Pendragon semble aussi enjoué que fataliste. Neil est une extension de l’auteur, à tel point qu’ils partagent les mêmes traits physiques et la même voix. Crainte de l’impossibilité d’exister dans un monde codifié et aspiration à la liberté sont les deux socles fondateurs du court métrage.

Techniquement merveilleux, scénaristiquement envoûtant et ludique, An Ostrich Told Me the World is Fake and I Think I Believe It cache une profondeur insoupçonnée et donne un aperçu séduisant de l’univers fantasque d’un artiste naissant.

Pour plus d’information, notamment concernant les prochaines diffusions, rendez-vous sur le site de Lachlan Pendragon : 

http://www.lachlanpendragon.com/

Nicolas Marquis

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