2021
Réalisé par: Marie-Castille Mention-Schaar
Avec: Noémie Merlant, SoKo, Vincent Dedienne
Film fourni par Potemkine
Dans une société où l’inclusion des minorités est au centre de nombreux débats, le chemin restant à parcourir se révèle encore conséquent face aux mentalités les plus fermées. La transidentité est encore taboue pour de nombreuses personnes, et ceux qui veulent simplement vivre leur nature profonde différente se heurtent à la violence de propos rétrogrades. Pourtant, au cœur de ce combat pour l’égalité, il y a des personnes comme les autres, aux aspirations légitimes, victimes de l’ostracisation. Ainsi, la question de la parentalité pour les couples transgenres se pose: quels recours existent pour ces personnes qui s’aiment et qui souhaitent fonder une famille ?
Pour y répondre, la cinéaste Marie-Castille Mention-Schaar fait le choix de l’intime et nous plonge dans le quotidien de Benjamin (Noémie Merlant) et Aude (SoKo), deux êtres follement épris l’un de l’autre, vivant dans les coins reculés de la Bretagne. Leur couple semble ordinaire au premier abord, et pourtant, un secret les accompagne: Benjamin est un homme né dans un corps de femme, qui a entamé sa transition vers l’identité qui est la sienne. Un problème épineux se pose toutefois: leur désir de faire un enfant se confronte à l’impossibilité pour Aude de le porter, après de nombreuses fausses couches. Dès lors, Benjamin décide qu’il mettra son changement entre parenthèses pour assumer cette grossesse, devenant un homme enceinte.
Un homme et une femme
Au centre de l’intrigue se dessine donc progressivement le portrait de Benjamin et des dilemmes qui l’habitent. Pourtant, Marie-Castille Mention-Schaar fait le choix salvateur de ne jamais lui renier son statut d’homme. Pendant la phase initiale de l’œuvre, ce secret est même complètement caché au spectateur, et ce n’est qu’après ce fait établi que le voile se lève, notamment à la faveur d’un plan qui restitue la transition physique du personnage au fil des années, par une succession de fondus. Le regard de la cinéaste se fait dès lors compatissant, et c’est toute la témérité de ce protagoniste principal qui s’étale, au moment où son ventre qui s’arrondit révèle aux autres ses attributs féminins encore présents.
Toutefois, A Good Man n’est jamais le portrait unique de Benjamin mais bien celui de son couple. Aude est tout aussi centrale que son partenaire et le temps d’écran que lui consacre Marie-Castille Mention-Schaar en témoigne. Dans un premier temps, c’est la culpabilité de ne pas pouvoir enfanter et de contraindre Benjamin à se dévoiler qui occupe son esprit, puis, de façon subtile et juste, sa place est mise en question. “Tu occupes toute la place” lance-t-elle à son concubin: si son amour n’est jamais remis en cause, l’impossibilité de trouver un positionnement concret dans cette grossesse unique pèse sur ses épaules. Le long métrage interroge même la société sur le statut légal de celle qui sera pourtant bien la mère de l’enfant: pour l’administration, Aude ne sera rien, et même si Benjamin évoque “des papiers qui ne signifient rien”, le dilemme est palpable. La mise en scène appuie sa solitude relative: souvent seule face à la nature sauvage, elle est une battante silencieuse.
L’enfer c’est les autres
Aussi vaillant soit le couple, l’oppression des diktats rétrogrades de notre société se révèlent être une montagne difficile à gravir pour ce tandem esseulé. La famille de Benjamin semble ainsi semblable à un véritable mur auquel le jeune homme se heurte. Sa mère n’a jamais admis sa transition et toute la tension entre ces deux personnages est palpable. Dans plus d’une scène, une véritable notion de deuil habite même cette génitrice bien peu compréhensive. La distance entre les deux protagonistes se mesure notamment dans l’écriture de Marie-Castille Mention-Schaar: leurs échanges sont essentiellement téléphoniques, et ils ne se côtoient physiquement qu’à des instants symboliques.
Si le frère de Benjamin semble lui plus ouvert, sa tolérance de façade est mise à rude épreuve: on devine que son adhésion n’a pas été immédiate, mais surtout, il révèle un fond d’incompréhension au moment d’apprendre le désir d’enfant du couple. Si cette séquence souffre de dialogues manquants un peu de naturel, l’idée motrice militante est saluable. Par extension, ce membre de la famille de Benjamin synthétise également les réactions détestables de l’entourage du héros. Ses amis lui ferment les portes dès lors qu’ils apprennent sa transidentité, et la mise en accusation de notre monde est présente, même si parfois un peu trop soulignée. Il n’y a de secours nulle part, Benjamin et Aude sont seuls.
Une histoire de contexte
Ce que A Good Man nous communique ouvertement par le dialogue, il réussit également à l’appuyer par le contexte dans lequel il plonge ses personnages. Ainsi, le métier de Benjamin, infirmier, permet de tisser un peu plus sa personnalité. Sa douceur, sa bienveillance, mais aussi son abnégation et son courage se révèlent également dans les séquences qui l’unissent à ses patients. Des instants intimes, au cours desquels le jeune homme est confronté à l’histoire profonde de ceux qu’ils soignent. Marie-Castille Mention-Schaar lui permet d’échanger avec des anciens, étalant souvent une définition de l’amour marquée par le temps, et pourtant en adéquation avec le couple qu’il forme avec Aude. La cinéaste caresse ici des instants intimes, qui font échos à son cinéma que nous avions déjà éprouvé dans Le ciel attendra.
Le positionnement géographique de l’œuvre apparaît également mûrement réfléchi. La sauvagerie de la nature bretonne permet à la cinéaste de trouver du rebond dans sa mise en scène: c’est souvent que le couple au centre de l’intrigue y est confronté visuellement, et la solitude y est exposée. À plus fortes raison, Aude et Benjamin sont venus ici pour vivre ouvertement leur amour, sans que personne ne sache la transidentité du protagoniste principal de l’intrigue. Marie-Castille Mention-Schaar décrit en interview le village comme un espace dans lequel le duo peut exister. Tout le dilemme du film réside clairement dans l’explosion de ce cocon au moment où la grossesse se fait visible. Une idée qui est d’ailleurs visuellement présente, lorsqu’un artiste de rue manipule des bulles de savon, vouée à éclater.
A Good Man est édité par Pyramide Video et disponible chez Potemkine.
Avec A Good Man, Marie-Castille Mention-Schaar propose un film militant, qui fait voler en éclats les tabous et qui nous propulse au plus proche de ses personnages, avec une forme de douceur saluable, même si certains élans se font parfois trop écrits.