(High Society)
1956
réalisé par: Charles Walters
avec: Bing Crosby, Grace Kelly, Frank Sinatra
Vous l’aurez sûrement constaté si vous comptez parmi nos fidèles lecteurs, Les Réfracteurs se sont lancés ces dernières semaines dans une rétrospective de la filmographie de Grace Kelly. Cette démarche, initiée par des discussions sur Twitter avec notre ami Antoine Cassé (dont vous pouvez retrouver le livre ici, rendons-lui hommage), s’affirme de jour en jour comme un vrai plaisir de cinéphiles avec une attente toujours élevée et perpétuellement récompensée. Après “Une fille de la province” et “Mogambo”, on plonge aujourd’hui dans un tout autre registre avec “La Haute Société”, mélange savoureux entre comédie musicale et ton humoristique léger. Dans cette pellicule, Grace Kelly incarne Tracy Lord, une américaine issue de la haute bourgeoisie américaine, la veille de son second mariage. Les festivités vont être perturbées par la présence de son ancien époux (Bing Crosby) et celle de deux journalistes venus couvrir l’union (Celeste Holm et Frank Sinatra, tout de même!). Mais davantage que ces intrus, c’est le doute amoureux qui assaille Tracy qui va mettre en péril sa nouvelle vie de couple.
Le grand Hollywood
Avant toute analyse poussée, il convient d’établir un fait incontournable, affirmé dès les toutes premières secondes du film: “La Haute Société” va nous immerger dans une extase musicale totale d’un bout à l’autre. Le premier personnage qui apparaît à l’écran et qui entonne une chanson de sa voix grave inimitable n’est autre que le grand Louis Armstrong lui-même, dans son propre rôle. En termes de talent, le film s’impose immédiatement comme une merveille musicale. Si le génie de la trompette va venir à intervalles réguliers faire étalage de son talent, ce sont surtout les numéros musicaux enjoués de Bing Crosby et Frank Sinatra qui rythment le film. Composées par un autre géant de la musique, Cole Porter, toutes ces petites pépites auditives font la force première de l’œuvre.
Comme une sorte de prolongement naturel, les décors et les costumes du long-métrage inscrivent “La Haute Société” dans un certain âge d’or d’Hollywood. C’est comme un déclic, un sentiment très instinctif, une machine à voyager dans le temps fabuleuse qui fonctionne à chaque fois: on se retrouve devant des couleurs et un grain de l’image qui nous rappellent tant de films qu’on aime intensément. Certes, la réalisation est un peu timide sans pour autant démériter, on aimerait parfois un peu plus, mais le cadre qu’offre “La Haute Société” est merveilleux.
Dans cet environnement enchanteur va se jouer une comédie assez légère et simple, qui s’assimile facilement tout en laissant planer un sentiment de profondeur cachée. “La Haute Société” prend parfois des allures de drame maquillé en triste clown mais ne perd pourtant jamais rien de son esprit rigolard. Un humour qu’on retrouve dans les situations malicieuses qu’offre le scénario, ponctuées par les numéros musicaux, mais surtout dans le verbe. Le film est une joute de répliques permanente, comme si les dialogues étaient eux aussi pensés comme les paroles d’une chanson.
« Hips! »
Actors Studio
Au centre de cet enrobage, Grace Kelly impressionne une fois de plus. D’abord superficielle et un brin horripilante, elle va s’imposer au fil de l’histoire comme un personnage plus profond que ce que l’on pouvait escompter. “La Haute Société” remet totalement en question un monde d’apparences trompeuses et de faux-semblants et c’est par petites touches que l’actrice assimile ce propos, sans forcer le trait. Elle porte sur ses épaules la pression sociale démesurée qui pèse sur les habitants de ce monde parfois loin du nôtre.
Comme pour justement mieux ancrer le film dans notre réalité de gens humbles, Frank Sinatra va lui jouer les perturbateurs en journaliste sans le sou, envoûté par la belle. Son ton un brin vindicatif et ses idées bien arrêtées sur cette fameuse “Haute Société” nous rapproche du film, nous permet de nous rattacher à quelqu’un qui nous ressemble davantage que ces riches bourgeois. Il les fait chuter de leur piédestal et sonne un rappel à l’ordre salvateur.
Puis il y a peut-être celui qui est le plus intrigant dans cet assemblage de quiproquos: Bing Crosby apparaît détaché de l’histoire, presque passif par moments, mais toujours là pour balancer une réplique cinglante pour mettre en évidence la futilité de ceux qui l’entourent. C’est presque un rôle de narrateur qu’il assume, plein d’ampleur et d’emprise sur le scénario. L’acteur s’amuse, nous régale, et nous aide grâce à son altruisme à admettre d’autres personnages secondaires parfois trop marqués.
Problèmes de riches
Malgré tout cet enrobage délicieux, il y a dans “La Haute Société” un côté légèrement excluant pour les gens du bas de l’échelle sociale tels que nous. On est parfois loin des considérations vitales qu’on éprouve au quotidien alors que ces gens fortunés batifolent. Il faut faire un effort d’identification assez conséquent pour rentrer dans le film. C’est prépondérant au début de l’œuvre et il faut laisser le temps au long-métrage de s’imposer pour qu’il prenne son envol et donne sa définition de l’amour.
Une théorie un brin facile qui invite à voir au-delà des apparences, à regarder avec le cœur plutôt qu’avec les yeux ou le portefeuille. “La Haute Société” s’affirme comme un pur “Feel Good Movie” aux rebondissements attendus mais utiles. Un propos qui s’applique autant à Grace Kelly qu’à ses parents: des êtres qui dépassent du moule qu’on veut leur imposer.
Dommage que cette morale totalement pertinente soit parfois servie d’une manière trop conventionnelle. L’amour n’a rien à voir avec la richesse, ce constat on le partage, mais le film passe par des clichés un peu trop récurrents pour réussir à extirper ce propos. Même avec la meilleure volonté du monde, on ne peut s’empêcher de penser par instants “pauvres petits riches!” alors que le film nous confronte à des problèmes moins existentiels que les nôtres.
“La Haute Société” est un film solide, servi par une équipe et un casting fabuleux. Si on est parfois sur la réserve sur le fond, il suffit d’un léger effort pour s’imprégner de ce moment plaisant.