(Bik Eneich: Un Fils)
2019
de: Mehdi Barsaoui
avec: Sami Bouajila, Najla Ben Abdallah, Youssef Khemiri
La famille: elle est censée être le socle de la société et pourtant elle est perpétuellement bousculée par les institutions et une partie de la population. C’est encore plus probant dans les pays qui viennent de se défaire de la dictature: comment concilier tradition et modernité pour réussir à franchir un palier collectif? C’est toute la réflexion que va tenter d’amener “Un fils” de Mehdi M. Barsaoui.
Nous sommes en Tunisie, dans cette parenthèse de l’histoire où les habitants du pays se sont enfin débarrassés de Ben Ali mais où le régime de Kadhafi sévit toujours à la frontière libyenne. Dans ce pays en pleine transformation, on suit le destin d’une famille traditionnelle, celle de Fares (Sami Bouajila), Meriem (Najla Ben Abdallah) et leur jeune fils Aziz (Youssef Khemiri). Alors qu’ils décident de prendre quelques jours de vacances dans le sud de la Tunisie, il vont tomber dans une embuscade tendue par les islamistes qui commencent à faire parler d’eux dans le pays. Touché par une balle en plein ventre, Aziz est immédiatement emmené à l’hôpital pour subir une greffe urgentissime. Quand le manque de donneur va se faire sentir, cette famille soudée va voler en éclats et les pires secrets vont faire surface.
C’est donc un véritable thriller médical que nous propose le Mehdi M. Barsaoui. On suit le périple inhumain de ces parents qui craignent pour la vie de leur enfant. “Un fils” parle avec le coeur pour nous prendre aux tripes. Tout ce dédale, ces listes d’attente, les trafics d’organe clandestins donneraient presque la nausée. Alors qu’une vie est en jeu, qui plus est celle d’un enfant, les pires vautours vont apparaître alors que l’hôpital semble en manque de réponse. Le film pousse ses personnages dans leurs derniers retranchements et le spectateur avec.
Pour appuyer cette tension, la réalisation fait le choix de l’intime. Quelques ellipses viennent donner du rythme, plutôt efficacement jusqu’au dernier tiers plus laborieux. Mais ce qu’on retient volontiers, c’est le cadrage qui mélange des plans serrés pour traduire l’intime, et d’autres plus construits qui utilisent efficacement le format Scope.
« 3 jours plus tard, aux urgences… »
Sami Bouajila offre une performance hors-norme. On vous avait dit tout notre amour pour l’acteur et tout notre désespoir de le voir sombrer dans une production qui n’était pas à la hauteur de son talent pour “La terre et le sang”. Et bien soyons clair, si à chaque film un peu raté l’acteur enchaîne sur une performance de cette trempe, on est client! Jamais manichéen, ce père bousculé tente de tracer un chemin, ni bon, ni mauvais, simplement vivable. C’est probablement Mehdi M. Barsaoui qui en parle le mieux:
« Sami est un acteur malléable, c’est un vrai caméléon. Impossible de le ranger dans une case. Est-ce un gentil? Un méchant? J’aime les acteurs de cette trempe”
C’est sans doute par son personnage que le film retranscrit le mieux tout le poids de la parentalité. Cette responsabilité à vie qu’on a par rapport à nos enfants, que Fares remplit totalement. Malgré les embûches, les doutes, les révélations, ce personnage garde invariablement son cap, pas pour lui mais pour son fils. “Tout le monde sait comment faire des bébés, mais personne ne sait faire des papas” comme disait l’autre. Le film amorce tout de même un début de réponse et laisse place au spectateur pour le reste.
« Un fils” est aussi un témoignage des troubles qui ont secoués la Tunisie. Alors que flotte un parfum de liberté retrouvée, le spectre de l’islamisme se fait sentir. Dans l’impasse, la famille que l’on suit va voir ses convictions modernes bousculées, et l’envie de se replier vers l’obscurantisme pointe. Cette graine de discorde semée semble prête à éclore à mesure que Fares semble proche de la rupture et traduit un sentiment plus général de la population tunisienne.
Le fil conducteur, celui qui permet à cette famille de respirer, c’est le fils, Aziz. Si “Un fils” théorise principalement autour de la parentalité, la filiation est tout aussi importante. Ce petit être qui est un patrimoine commun aux parents, c’est lui qui réussit à réunir des êtres chamboulés. Pour lui, ils sont prêts à tout, et ils iront jusqu’au bout quoi qu’il en coûte.
Le dernier point qui marque les esprits est sans doute l’impasse sociétale que vit la Tunisie à ce moment de son histoire. On l’a dit, le peuple oscille entre liberté et tradition et ce dilemme offre un terreau fertile à l’obscurantisme. Il est parfois simple d’être ouvertement épris de liberté en France, mais ailleurs dans le monde, on tuerait pour moins que ça.
On est prêt à mettre une pièce sur la réussite du film dans votre affect si vous êtes parents. Mais même pour les autres, “Un fils” n’est pas qu’un bon film, il est important et constitue un choix judicieux pour la réouverture des salles.