Pinocchio

2019

de: Matteo Garrone

avec: Federico IelapiRoberto BenigniRocco Papaleo

À quoi reconnaît-on les grandes histoires? Oui, parce qu’elles sont chouettes, merci les deux crétins du fond pour cette intervention pleine de bon sens. Peut-être est-ce davantage leur façon de traverser les époques et de garder leur ressenti intact, comme on l’évoquait avec “Les dents de la mer” dans le dernier ROD. Mais plus fort encore, ces contes qui trouvent une résonance différente à chaque époque et à chaque auteur. « Pinocchio » tombe dans cette élite des histoires hors du temps.

Mais on préfère vous prévenir de suite: si vous espérez voir un « Pinocchio » version Disney en prises de vue réalistes, vous pouvez allez voir ailleurs (si j’y suis même, tiens!). On est bien loin ici de la logique mercantile et gerbante de la firme aux grandes oreilles, toujours prompte à faire passer ses histoires par la planche à billets, et même du scénario du célèbre dessin-animé: la mécanique du nez qui s’allonge par exemple n’est que très peu utilisée. Et quand on dit peu, c’est relativement simple à compter: une seule et unique fois.

Pour rappel, Pinocchio c’est l’histoire d’une marionnette enfant qui un beau jour devient vivante. Mais plus que la simple magie qui anime le récit, c’est un conte morale, probablement un peu daté dans son fond: ayant pour but de devenir un enfant comme les autres, le facétieux pantin est invité par l’auteur à se conformer au modèle de l’époque. Être sage, ne pas mentir, obéir, et autres: on ne peut pas dire que Pinocchio soit un punk en puissance et on peut s’interroger sur la question des différences propres à la personnalité de chaque marmot. Reste toutefois une bonne intention certaine et aussi un modèle familial qui interpelle à notre époque. Un héros de conte, dans une famille monoparentale masculine où le besoin d’enfant est nécessaire à l’épanouissement, c’est presque précurseur et bien plus présent dans ce film que dans le Disney.

Pourtant, on ne peut pas dire que ce “Pinocchio”, plus proche du conte originel n’ait pas eu besoin d’aller chercher un peu son public, en exposant fièrement un peu partout la présence de Roberto Benigni au casting: sa prestation est excellente mais son temps d’apparition à l’écran plus que minime. C’est d’ailleurs réducteur pour le jeune Federico Ielapi, qui bien qu’aidé par les effets spéciaux donne une véritable personnalité à Pinocchio, dans les attitudes et dans la voix. N’en reste pas moins un film qui est une vision d’auteur, celle de Matteo Garrone.

« Peut être a t’il fait un chèque en bois! Haha! »

Déjà au sens propre, dans le visuel un brin anxiogène. Personnellement, on a plutôt été charmé, se rappelant le doux souvenir du “Labyrinthe de Pan”: un mélange d’effets spéciaux et de maquillage plutôt plaisant mais un brin angoissant. Probablement de quoi impressionner les plus jeunes à qui le film n’est que peu destiné. Alors on peut juger le film là-dessus, évidemment, il n’en reste pas moins qu’il affirme un choix fort, un véritable parti pris franchement couillu.

Plus traditionnel, le reste de la direction artistique est plutôt plaisant. Des paysages méditerranéens simples mais efficaces, ou des décors d’intérieur propices à un éclairage somptueux mais le film se repose sans doute un peu trop sur ce point-là pour ne pas avancer de vrai langage filmique. Mais soit, admettons ce choix du minimalisme et laissons-nous envoûter par cette belle musique de Dario Marianelli qui accompagne les images.

Mais lorsqu’on parlait de vision d’auteur, c’est plutôt dans le fond que nous avons été surpris. Matteo Garrone à la direction d’un “Pinocchio”, lui qui a passé une bonne partie de sa carrière à exposer la mafia italienne, c’était pour le moins surprenant (malgré une incursion notable dans le fantastique: « Tale of Tales« ), l’omerta des contes de fée étant moins lourde que celle de “La Cosa Nostra”, vous en conviendrez tous. Et bien pourtant, une fois le film devant les yeux, son réalisateur semble être une évidence. Matteo Garrone a d’ailleurs affirmé que “Pinocchio est présent dans chacun de ses films”. Et à y réfléchir, on comprend assez bien cette déclaration: si on prend du recul sur “Gomorra” notamment, la thématique des enfants instrumentalisés par les adultes pour les utiliser le plus détestablement possible est omniprésente. Seule différence, le fait que dans son film sur la Mafia, les enfants sont des pantins pourvus de ficelles et qu’on sait clairement qui sont les funèbres marionnettistes. 

C’est peut-être aussi justement parce que les fées, présentes tout de même, le cinéaste ne s’en encombre que très peu: il préfère embrasser goulument l’aspect plus moral de “Pinocchio”, même si une fois de plus la nécessité de conformité interpelle et peut poser problème quand on pense comme nous que les différences méritent d’être cultivées. Mais d’une manière bien plus pertinente, le cinéaste dissèque presque en arrière-plan de l’histoire la politique qui accable le peuple italien depuis tant d’années, et ce avec une remarquable exhaustivité. 

Le Chat et le Renard apparaissent presque comme de cupides banquiers, prêts à vous saigner à blanc, vous promettant toujours plus. Également un système judiciaire absurde où le juge est un singe condamnant les innocents et libérant les coupables. Ou bien encore le modèle éducatif qui a tout à gagner à vous laisser sombrer dans la bêtise plutôt qu’à vous élever intellectuellement. Matteo Garrone semble vouloir proposer une image de son pays peu reluisante mais courageuse et on peut la voir à travers son film si on s’en donne la peine.

D’autant plus que cela ne condamne pas le premier niveau de lecture, celui plus terre à terre, pour qui veut simplement regoûter aux riches aventures de Pinocchio. En avançant à rythme soutenu, le long-métrage reste ludique et les péripéties plutôt bien amenées jusqu’à un final qui coule de source mais qui émerveille toujours.

Dans cette relecture du conte italien le plus célèbre, Matteo Garrone fait le choix de communiquer entre adultes plus qu’avec les enfants. Pour peu qu’on admette le parti pris artistique, assez clivant tout de même, on devrait trouver de la consistance dans son propos.

Nicolas Marquis

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