The Dress
The Dress affiche

(Sukienka)

2021

Réalisé par: Tadeusz Łysiak

Avec: Anna Dzieduszycka, Dorota Pomykała, Szymon Piotr Warszawski

Vu par nos propres moyens

Cette année, la sélection de films en course pour l’Oscars du meilleur court métrage en prises de vue réelles se fait internationale. Des USA au Danemark, de l’Angleterre au Kirghizstan, l’académie nous fait voyager, en passant également par la Pologne, durant 30 minutes, pour savourer The Dress. Cette toute première oeuvre du très jeune cinéaste Tadeusz Łysiak, pensionnaire de la Warsaw Film School, nous rappelle que les Oscars, essentiellement dans les catégories mineures, sont une formidable fenêtre sur le monde et l’avenir, et que les organisateurs ont bien tort de reléguer au second plan les courts métrages. Pas de ça chez nous, Les Réfracteurs vous présente en quelques lignes le film.

Julka (Anna Dzieduszycka) est femme de ménage dans un hôtel à petit budget et vit une existence morose et solitaire. Atteinte de nanisme, son handicap est une barrière entre elle et le monde qui l’entoure, réduisant ses seules interactions sociales aux échanges légers qu’elle entretient avec une de ses collègues. Pourtant Julka a un rêve simple: celui de rencontrer un homme qui la séduirait et de s’adonner pour la première fois aux plaisirs de la chair. Lorsque Bogdan (Szymon Piotr Warszawski), un routier, gagne l’hôtel et manifeste de l’intérêt pour l’héroïne, le cheminement émotionnel de Julka prend des allures de parcours du combattant face à une société cruelle.

Avant de théoriser autour du handicap et de la recherche affective, ce qui seront les thèmes centraux de son œuvre, Tadeusz Łysiak installe solidement un personnage parfaitement délimité. Le caractère particulier de Julka fait d’elle une femme forte, même si pourvue de nombreuses fêlures. Derrière son côté froid, probablement une carapace créée au fil des années, et ses nombreuses représentations cigarette en bouche et regard sévère, c’est un portrait intime que nous propose le réalisateur. Sa caméra plonge par moment dans le jardin secret de Julka pour nous dévoiler notamment son rapport au corps et à la sexualité. L’héroïne de The Dress est une personne à part entière.

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European short film ‘The Dress’ shortlisted for a 2022 Academy Award

Dès lors, comment le cinéaste choisit-il de nous faire éprouver le poids du handicap ? Il semble au final que davantage que dans le mal être de Julka, certes présent, c’est dans la vision d’une société cruelle jusqu’à la nausée que Tadeusz Łysiak nous fait ressentir la douleur de Julka liée à son nanisme. Les mots acerbes d’inconnus, d’une méchanceté gratuite révulsante, sont comme des coups de fouet qui lacèrent le personnage principal au plus profond de son âme. L’enfer c’est bel et bien les autres pour Julka qui ignore inlassablement, remet ses écouteurs, et s’emmure dans une solitude mortifère.

Comme si son parcours n’était pas suffisamment semé d’embuches, la narration par l’objet, cette fameuse robe que Julka convoite pour son rendez-vous avec Bogdan, impose un degré supplémentaire de difficulté au récit. Bienheureux sont les gens en parfaite condition physique, qui peuvent se rendre frivolement dans un magasin pour trouver la parfaite tenue. La trajectoire de Julka est tout autre, et le vêtement devient un trésor inaccessible, voire inexistant. Tel un constat d’échec adressé à notre monde obtus, il faut l’intervention d’une amie de Julka pour miraculeusement débloquer la situation. Seule, la pourtant téméraire héroïne aurait été dans l’impasse.


Pour nous faire ressentir la gravité et le poids de son message, Tadeusz Łysiak impose un langage filmique naturaliste, sans fioriture ni excentricité malvenue. Le réalisateur se contente de capter caméra à l’épaule des instants fugaces, parfois entraperçus à travers l’encablure d’une porte, comme des moments volés à l’intimité de Julka. Le cinéaste se distingue toutefois par le ton du récit, dont il signe également le scénario. The Dress se fait dur, cruel, sans concession ni résolution à l’eau de rose. La volonté de Tadeusz Łysiak est de nous faire vivre le quotidien d’une personne cloisonnée par les diktats de notre époque, mise en marge, et c’est sans gant que l’auteur y parvient.

Nicolas Marquis

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