Pénélope mon amour
Pénélope mon amour affiche

2022

Réalisé par : Claire Doyon

Film fourni par Blaq Out

Diplômée de la FEMIS en 2000, promise à un avenir radieux après la sélection de son premier long métrage Les Lionceaux à la Quinzaine des réalisateurs en 2003, la metteuse en scène Claire Doyon entrevoit son futur professionnel avec optimisme à l’aube du XXème siècle. Heureuse à la vie comme à la scène, pleinement épanouie en tant qu’épouse, elle se construit en parallèle un cocon familial où règne l’amour et la bienveillance. Toutefois, à la naissance de sa première enfant Pénélope, le destin bouleverse les plans de Claire Doyon et sème sur son parcours son lot d’innombrables embûches. Si durant les premiers mois de la vie de Pénélope, rien ne laisse présager l’ombre obscure d’une existence tourmentée, des troubles autistiques sont progressivement décelés chez la petite fille, accentués par un syndrome de Rett qui altère le développement de son système nerveux. À l’émerveillement de la naissance succède l’âge sombre de la maladie et chaque jour devient une nouvelle épreuve, alors que les acquis de l’enfant peuvent se perdre en quelques heures. La réalisatrice est décontenancée, meurtrie au plus profond de sa chair, mais refuse de céder à l’abattement. Elle n’a pas le temps de s’apitoyer sur son sort et la vie se transforme en course éperdue pour voler au secours de Pénélope. Mettant entre parenthèses sa carrière durant plusieurs années, tandis que son mari se démène pour subvenir aux besoins du foyer, Claire Doyon se consacre corps et âme à la recherche de traitements et de cures, aux quatre coins du monde, pour soulager la peine de sa fille. La cinéaste sacrifie son bonheur personnel, au service de celle qu’elle affectionne d’un amour si tendre et désintéressé. Face au peu de solutions qui s’offrent à elle, elle trace son propre parcours, entre espérances déçues et petites joies éphémères. Une existence qui se vit par procuration devient une guerre perpétuelle contre l’injustice.

De l’enfance de Pénélope à son adolescence, Claire Doyon filme presque quotidiennement son enfant pour immortaliser les bribes de cette lutte constante et sans repos. Apprendre à se mouvoir, à s’exprimer ou encore à manger seule prend l’allure de travaux herculéens pour la petite fille, prisonnière de son monde solitaire que sa mère tente de pénétrer. Compilés dans Pénélope mon amour, ces instantanés forment le témoignage bouleversant de sincérité et de résilience du parcours croisé de deux êtres accablés par le destin, mais toujours debouts, animés par un amour mutuel qui ne s’exprime parfois qu’à travers un geste ou un regard. En dévoilant l’intimité, la réalisatrice décuple bonheur et tristesse avec une immense sincérité.

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Au fil des épreuves se dessine l’inhumanité d’un monde qui refuse parfois froidement de laisser une place aux enfants atteints de troubles autistiques. Avant les combats de parents portés par l’altruisme et l’abandon de soi s’invitent les heures ténébreuses de la peine née du diagnostic. Dans les couloirs des hôpitaux et dans le récit des premières consultations pédopsychiatriques que livre Pénélope mon amour, l’affection se meurt, ignoblement remplacée par l’austérité de médecins qui refusent de tisser un lien essentiel avec leur patient. Des praticiens qui nient l’évidence, s’affranchissant du serment d’Hippocrate pour accabler Claire Doyon et son époux en prétextant une angoisse parentale irraisonnée, à ceux qui se réfugient derrière des courriers impersonnels pour poser des mots traumatisants sur l’affliction de Pénélope, un univers désincarné se devine. La science n’est plus au service de l’être, elle n’est qu’une tâche accomplie sans passion ou sentiment, alors que face aux spécialistes s’affirme la détresse d’une famille qui s’effondre. Nul horizon n’est offert aux malades et à leurs proches, les maigres espoirs de traitements efficaces ne se trouvent que dans la recherche acharnée de soins alternatifs où l’écoute prime le plus souvent. Le syndrome de Rett effraie, les enfants handicapés souffrent d’une double peine, celle de leur maladie et celle du désintérêt d’une partie significative du corps médical qui les laisse livrés à eux-mêmes. L’émergence de troubles autistiques ostracise Pénélope alors que l’attention dont elle a besoin est démultipliée. La guerre pour le bien-être débute par une défaite signifiée par l’abandon des institutions ordinaires. Face à cette déchéance, un élan commun se crée autour de la jeune fille. Sa famille est seule dans le combat, mais elle est soudée, notamment lorsque lors de sessions de formation à son éducation se greffent autour des parents de Pénélope les amis, les tantes et les grands-parents de la petite fille. Pourtant, à mesure que les années s’écoulent, le cercle se restreint. Les aléas de la vie de chacun brisent parfois l’union sacrée qui s’était formée, sans que Claire Doyon ne jette l’opprobre sur ceux qui ont pris des chemins de traverse. “Comment leur en vouloir ?” clame la cinéaste, avec un soupçon de désillusion. Le destin de l’enfant se dessine au gré de rencontres éphémères, son existence est influencée par des dizaines d’autres, qui pour parfois simplement quelques minutes l’ont écouté, lui ont parlé, ont tenté de lui donner de l’attention. Lancée dans une course folle autour du monde, la famille de Pénélope cherche ainsi des méthodes de soins différentes jusque dans les recoins de la Taïga, en quête d’une solution impossible à un problème insoluble, faisant de chaque nouvel interlocuteur une pierre de plus apportée à la construction difficile de la petite fille. Pour s’insérer dans une société qui détourne le regard avec dédain face à sa maladie, l’enfant doit sans cesse repousser ses limites. Avec cruauté, la plupart des Hommes ignorent les malades, alors que la réponse à leur souffrance est dans l’attention et dans l’amour. En relatant les mots emplis de sagesse de sa grand-mère, Claire Doyon synthétise le message profond de son film, entre pessimisme et aspiration au bonheur. “L’école ne sert à rien, c’est d’amour qu’a besoin cette enfant”. Les institutions ne sont d’aucun secours, seule l’affection peut aider Pénélope.

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Contre la fatalité d’une maladie incurable, seule une modification profonde de la pensée de ses proches peut atténuer la peine de l’enfant. En sillonnant le monde, entre Europe, Amérique et Asie, la famille de Pénélope prend conscience que la réponse à la souffrance de la petite fille n’a pas de solution fantasmée, même si Claire Doyon confesse parfois idiotement le croire, se sentant immédiatement coupable. La seule thérapie vertueuse naît d’un échange équivalent. La mère doit inviter Pénélope à trouver sa place dans le monde, autant qu’elle doit tenter éperdument de percer sa bulle solitaire. Si l’enfant souffre, notamment à travers ses spasmes musculaires, elle est aussi étrangement liée à la nature, à la terre avec laquelle elle communie et avec les animaux auprès desquels elle est en osmose. Pénélope est différente davantage qu’elle n’est malade, et elle est la garante d’une forme de vérité mystérieuse dont sont exclus les autres protagonistes du film. Son esprit ne suit pas la même logique prévisible que celle des êtres en parfaite santé, mais plongé dans le maelstrom des instantanés éparses que propose Pénélope mon amour, un psyché complexe se compose et s’appréhende. La petite fille est faite de chacun de ces instants d’un quotidien d’épreuves, de toutes ces désillusions et de toutes ces victoires fragiles et précieuses. Un regard désespéré se substitue aux mots de désespoir, un éclat de rire remplace l’expression verbale du plaisir. Réussir à marcher, à s’exprimer maladroitement ou à faire du vélo n’a pas la même valeur que pour les autres enfants, des batailles se gagnent à chacun de ces actes, dans une guerre perpétuelle contre le syndrome de Rett. Auprès de sa sœur, Pénélope chantonne et se déhanche sur le Brown Sugar des Rolling Stones, faisant de sa joie de vivre innocente une arme toute-puissante contre la tristesse naturelle du quotidien. Durant quelques secondes, elle triomphe. Le chaos peut s’emparer de sa vie, la plénitude finit toujours par s’exprimer malgré tout dans ces brefs instants fusionnels et dans les innombrables échanges à cœur ouvert qu’elle noue avec sa mère. Pénélope est incapable de feindre ses sentiments, leur expression est alors empreinte d’une pureté inégalable. Si Claire Doyon a pour elle la force des mots, soigneusement choisis dans des monologues bouleversants qui traduisent sa témérité mais aussi son chagrin, Pénélope a quant à elle la vérité de l’âme.

Lorsque l’amour filial ne peut s’exprimer qu’à travers une forme de sacrifice parental, Pénélope mon amour devient une manifestation cinématographique d’un courage hors du commun. Même si Claire Doyon fait souvent preuve de retenue, son œuvre est autant lettre passionnée adressée à sa fille que témoignage implicite de sa combativité de mère, parfois malmenée mais toujours résurgente. La cinéaste a tout délaissé pour Pénélope, une vie entière promise au bonheur est reléguée au second plan, pour le bien de l’enfant. Le documentaire relate le parcours de plus d’une décennie d’abandon de soi, de son couple et de sa carrière, pour que la lumière des sentiments éclaire l’ombre de la maladie. Le destin s’est imposé à Claire Doyon davantage qu’elle ne l’a choisi mais l’artiste l’a pleinement épousé, puisque selon sa logique éblouissante d’altruisme, seule une existence vécue au service de Pénélope peut être à la mesure de l’amour qu’elle porte à sa fille. Avec abnégation, l’artiste a arpenté seule le chemin qui s’ouvrait devant elle. Néanmoins, Pénélope mon amour laisse une grande place à la confession du désespoir de la réalisatrice. Claire Doyon ne s’embellit pas, elle ne se détourne pas un instant de ses démons, ose courageusement livrer à la caméra ses pires turpitudes. La mort, elle l’a parfois envisagé comme un salut et un soulagement, le désespoir et la colère font partie intégrante des textes qu’elle récite, parfois écrits après le tournage et confiés en voix-off, parfois déclamés au moment des images qui défilent à l’écran. Les aspects les plus éprouvants des troubles autistiques de Pénélope sont également racontés sans pudeur malvenue. Des nuits sans sommeil, au bout de l’épuisement, ou de l’accession compliquée à la propreté, Claire Doyon ne cache rien, son oeuvre ne se détourne jamais de sa mission pour ne pas sombrer dans un tronquage de la réalité qui annihilerait la pertinence de sa démarche documentaire. Pénélope mon amour est l’aveu d’une douleur qui accepte sa part d’ombre.

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À l’écran, deux cœurs battent à l’unisson. Adulte et enfant ne font plus qu’un, “ne forment qu’un seul corps” selon les mots de la cinéaste qui devient prolongement vital et nécessaire de Pénélope. L’une ne peut vivre sans l’autre, elles nouent une relation de codépendance clairement affirmée, exacerbée par la nature même du syndrome de Rett. Entre autres symptômes, l’affliction fait régresser les malades, les prive de ce qu’ils ont difficilement appris. La maladie est une montagne presque impossible à gravir, son ascension est faite de chutes perpétuelles, à travers des gestes inlassablement répétés dans l’espoir précaire que certains d’entre eux seront assimilés pour toujours. Montrer, inviter à reproduire, féliciter et tout recommencer, sans cesse, sans faiblir, pour anéantir la bête du malheur, voilà de quoi se compose le destin de Claire Doyon. Parmi les premiers acquis de Pénélope, la verbalisation d’une demande d’aide terrasse les espoirs du spectateur. L’enfant ne sera jamais pleinement indépendante dans un monde inadapté à son handicap, des âmes secourables devront l’accompagner, et pourtant, au terme de l’épopée, l’émancipation est un objectif fantasmé qui se caresse. Tous les efforts des parents de celle qui est devenue adolescente n’ont qu’un but : lui permettre de vivre. Unies par un cordon ombilical métaphorique pendant tout le film, Pénélope et Claire devront se séparer au terme de leur long parcours commun. Pourtant, le lien est à jamais immortalisé grâce à Pénélope mon amour. Peut-être qu’en définitive, la véritable finalité de cette odyssée hors normes est dans l’affection que suggère le titre. Pénélope est aimée, et elle aime en retour, au détour de chaque regard.

Documentaire poignant sur un courage et un amour hors du commun, Pénélope mon amour met en lumière les oubliés et retrace avec sincérité le parcours d’une mère et de sa fille.

Pénélope mon amour est disponible en DVD chez Blaq Out, avec en bonus : 

  • Le court métrage It’s Raining Cats and Dogs

Nicolas Marquis

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