(An American Werewolf in London)
1981
Réalisé par: John Landis
Avec: David Naughton, Jenny Agutter, Griffin Dunne
Film vu par nos propres moyens
On trouve l’inspiration partout et souvent quand on ne la cherche pas. C’est ce qui est arrivé à John Landis en 1969 alors qu’il travaillait en tant qu’assistant de production sur le film De l’or pour les braves. Le tournage se passait en Yougoslavie et lors d’un déplacement, Landis assista à un enterrement de Rom. La cérémonie lui parut totalement étrange. En effet, elle se tenait à un croisement de route et le mort y était inhumé verticalement afin d’éviter qu’il ne sorte de son cercueil.
Cet étrange spectacle lui inspira un début d’histoire : Comment réagirait une personne étrangère à cette culture si elle voyait un mort revenir à la vie ?
C’est ainsi que débuta l’écriture d’un film culte qui permet de moderniser une figure légendaire, le loup garou.
Séance culte
Il fallut attendre le début des années 80 et 3 succès consécutifs au box office (Hamburger Film Sandwich, American College et les Blues Brothers) pour qu’enfin Le réalisateur puisse mettre en scène ce qui restera son film préféré parmi toute sa filmographie. Ce fut un travail compliqué entre les exigences de PolyGram Picture qui voulait que Landis engage Dan Aykroyd et Jim Belushi, alors que lui préférait prendre des visages moins connus.
Il y eut aussi des problèmes administratifs ainsi que de planning mais le réalisateur ne lâcha rien. En 81 le public pu découvrir au cinéma les aventures de David et son ami Jack qui sont attaqués par une étrange créature. Seul David survit et il se retrouve maudit. Il doit désormais trouver un moyen de briser la malédiction du loup.
Une histoire d’amour
Le long métrage est avant tout une déclaration d’amour de la part de John Landis pour les films de monstres, genre qu’il affectionne depuis sa jeunesse. Le loup garou n’était pas le premier choix du réalisateur, il débute l’écriture du film d’abord avec le mort vivant puis le vampire avant de voir cette figure poilu, féroce et tragique s’imposer à lui.
Pourquoi ce personnage ? Sûrement parce qu’il est complexe et illustre parfaitement ce style d’histoire. Il représente la dualité. Bien contre le mal, l’humanité dans tout ce qu’elle a de bons et de mauvais. C’est surtout une figure tragique, un innocent qui cache une noirceur en lui, ce qui rend les choses plus compliquées.
Le choix de tourner le film en Angleterre n’est pas anodin, Landis a déclaré que c’était pour rendre hommage à Jack l’éventreur et surtout au Docteur Jeckill et Mr Hyde une autre histoire de schizophrénie et de tragédie.
La dualité c’est le mot clef du film. À la fois drôle et effrayant, hommage et regard critique sur un genre, classique et modernité.
Le loup garou de Londres reprend les codes de ce type d’histoire, leur identité, pour nous montrer ce qui a fait de lui le créateur qu’il est. En même temps, il va les ridiculiser pour nous en montrer les faiblesses, d’une part, mais également pour jouer sur la tension du spectateur, le préparant ainsi à sa vision plus moderne et frontale.
Prenons un exemple avec deux séquences au début du film.
David et Jack arrivent dans un petit village et décident de s’arrêter dans un pub du nom de l’agneau abattu. Landis installe une ambiance angoissante avec les ténèbres et la solitude qui entourent nos personnages, ils sont pris au piège. Il contrebalance avec le nom de l’auberge qui semble se moquer d’eux. Ils sont les futures victimes innocentes, c’est à la fois une petite touche d’humour noir et en même temps , il nous donne un indice pour la suite.
Ils pénètrent dans l’établissement et font connaissance avec les clients et la patronne. L’ambiance est toujours pesante. On les regarde avec méfiance, David et Jack ne se sentent pas à l’aise surtout qu’ils ont remarqué une étoile à 5 branches accrochée au mur. Tout d’un coup, le ton de la scène change radicalement pour se détendre et partir dans l’humour et le décalage culturel, grâce à l’un des clients qui se met à raconter une blague.
On se dit alors que ouf , on va sûrement rire que c’est peut être une parodie et que rien n’est à craindre. C’est à ce moment là que Jack pose la question qui va de nouveau faire basculer l’ambiance : Pourquoi ce pentagramme ?
Les villageois demandent alors à nos deux voyageurs de quitter le pub et de fuir sans jamais quitter la route. Il s’exécutent et là, l’horreur va commencer à s’installer. Pour le moment c’est très classique et par petites touches.
Tout d’abord la brume, une grande pleine lune bleue, puis des bruits . Il y a quelque chose qui semble les entourer de toutes parts. On sent l’angoisse et la panique s’emparer de nos personnages, entrecoupées des réactions des villageois qui hésitent à sortir pour aider les deux amis. On revient sur nos deux personnages et là, premier moment marquant : l’ attaque de la créature. Nous assistons à la violence de l’attaque, la douleur de Jack et l’affolement de David le poussant à fuir avant de se faire lui aussi attaquer par le monstre.
En deux séquences le ton est donné, le loup garou de Londres sera à la fois une lettre d’amour à un genre qui a terrifié le public, avec ses créatures sortant de la nuit pour nous manger, mais ce sera aussi un film qui se moquera de ses mécaniques terrifiantes non pas pour dénigrer un genre, mais pour nous proposer une vision nouvelle, une façon différentes de parler de ces croques mitaines un peu oubliés à l’époque de la sortie du film.
Loup Garou 2.0
Le film se poursuit et continue de jouer avec nous en dédramatisant les évènements pour mieux nous préparer aux prochains frissons.
Landis utilise encore une fois la comédie avec le fantôme de Jack venant avertir David de la terrible malédiction qu’il subit . Il est horrible, oui, mais blagueur et tourne en ridicule son ami. On se dit alors, une fois de plus, que cette histoire de malédiction ce n’est pas grave, il ne se passera rien, David trouvera forcément une solution, et là boom ! On se retrouve avec une scène culte et coup de point. Une séquence qui m’a marquée lorsque j’ai vu le film. J’avais 10 ans, je n’étais pas censée le regarder et pourtant, grâce à un stratagème des plus intelligents, dont je vous passerais le récit, j’ai réussi à voir cette scène. Elle me terrifie et me fascine en même temps mais surtout elle participe à mon amour pour toutes ces créatures.
Il s’agit de la fameuse scène de la transformation. Rick Baker livra ici un travail de maître qui lui valu d’ailleurs le premier Oscar donné à un maquilleur. Il utilisa différents stratagèmes, animatroniques, mousse de latex, prothèses et plus encore pour donner corps à la souffrance du pauvre David qui voit son corps s ‘allonger, se déformer pour devenir la créature. La mise en scène de Landis finit de magnifier l’ensemble. On commence par suivre le héros pendant toute une journée, sur une musique enjouée (parlant de la lune comme toutes les musiques utilisées dans le film). Il s’ennuie en attendant le retour de sa petite amie Alex, l’infirmière qui s’est occupée de lui. Tout semble aller bien lorsqu’il se met à hurler de douleur, appelant à l’aide. On le voit se contorsionner, la caméra se rapproche de lui pour nous montrer sa transformation en utilisant un montage très cut et fluide, permettant de montrer toutes les différentes étapes, en se concentrant sur de multiples parties du corps de David. C’est frontal, la scène s’enchaîne de telle façon que le spectateur à l’impression d’un plan séquence.
Le son fini de nous glacer le sang. On entend les os craquer, se disloquer et les cris de souffrance de David. À ce moment, on ressent une immense peine pour notre personnage principal tout en étant épouvanté par cette transformation. C’était du jamais vu à l’époque. Dans les vieux films, nous avions droit à une rapide surimpression d’images voire, même du hors champs. Cette scène de transformation va nous lier au personnage, nous allons nous faire du souci pour lui, allant jusqu’à même refuser d’admettre que la terrible créature qui va terrifier Londres, c’est David.
Pourtant à partir de cette métamorphose et même lors des moments un peu plus comiques, comme lorsque le personnage se réveille au zoo le lendemain, nu ,et doit trouver un moyen de rentrer, on rit jaune. Nous savons qu’il ne peut y avoir qu’une seule fin possible et qu’elle ne sera pas joyeuse.
Landis continue d’ailleurs à nous montrer à quel point la bête prend de plus en plus de pouvoir sur David. Elle le possède, l’attaque dans ses rêves, le dépossède de plus en plus de son humanité. Elle est sauvage et agressive. Nous le comprenons dans la scène du métro lorsque le réalisateur utilise une caméra subjective. Nous sommes David à l’intérieur de la créature, nous ne pouvons qu’assister à cette violence, sans rien faire.
Et d’un regard la belle tua la bête.
Un des premiers projets de Landis fut une parodie de King Kong appelé Schlock. On retrouve une fois de plus l’héritage du roi des monstres dans Le loup garou de Londres.
Jessica est “la belle” dans les griffes de Kong. Elle voit l’humanité de David dans les yeux du monstre. Elle fait tout ce qu’elle peut pour essayer de l’aider même si au début elle ne croit pas en la malédiction qui possède David. Jusqu’au bout, elle sera là pour lui, elle l’aimera et c’est cet amour qui causera la chute du loup, qui aux portes de la mort ne fera plus qu’un avec son hôte, retrouvant un peu d’humanité avant de mourir.
La belle tua la bête. Le film se finit sur cette image, nous laissant avec une grande tristesse. Le monstre n’était pas totalement mauvais, il ne répondait qu’à son instinct. Ce n’est pas la figure terrifiante qui peuplait notre enfance. L’hommage est réussi, Le loup Garou de Londres ramène le monstre sur le devant de la scène. Le film entrera dans l’histoire en inspirant d’autres œuvres et artistes comme Michael Jackson qui engagera John Landis et Rick Baker pour tourner le clip de Thriller.
Une autre histoire
Je pourrai vous quitter ici, mais en redécouvrant le film j’y ai trouvé un autre sens de lecture. Le loup garou de Londres est un drame psychologique.
Mettons de côté l’aspect fantastique de l’histoire et vivons le récit autrement.
J’y ai vu l’histoire de David, survivant d’une agression, qui va devoir reprendre sa vie en main après la mort de son meilleur ami . Il vit avec un sentiment de culpabilité se traduisant par des hallucinations. Il voit son ami apparaître tel un mort vivant lui rappelant sa faiblesse lors de l’agression, il s’ enfuit laissant Jack se faire déchiqueter. On le retrouve également dans la fameuse scène du rêve. David est témoin du massacre de sa famille par une bande de nazi mort vivant. Il ne peut rien faire, il reste paralysé devant ce spectacle.
On peut même aller plus loin et voir David comme Docteur Jekyll et Mister Hyde. Une double personnalité qui serait en fait responsable de la mort de Jack mais aussi de celles d’autres personnes. Au début il n’avait pas conscience de cette dualité mais c’est la mort de son meilleur ami et son retour sous forme d’hallucination qui lui ouvre les yeux. Notre personnage se retrouve alors en combat avec lui-même, cherchant une solution. Il ne supporte pas sa culpabilité et son inconscient va alors lui suggérer de se suicider lors d’une nouvelle scène de cauchemar dans le cinéma X. Pour lui c’est le seul moyen de stopper cet autre violent qui prend de plus en plus de force en lui car personne ne peut l’aider. On pourrait faire limite ici un parallèle avec le film de M. Night Shyamalan, Split. On retrouve plusieurs personnalités se disputant un même corps pour finalement être avalées par une dernière appelée la bête. Une bête qui détruit tout ce qui peut rester de bon et civilisé dans son hôte.
Je sais, je vais peut-être trop loin en voulant donner une interprétation un peu plus psychologique mais je rajouterai que pendant tout le film David est souvent associé à la couleur rouge. C’est une couleur ambivalente qui peut être à la fois positive comme l’amour ,mais qui possède également une connotation négative. Le rouge représente la colère, la violence, le sang, le danger. Notre personnage porte littéralement un écriteau qui nous indique son état d’esprit mais aussi la dualité de son esprit. De plus, si nous restons sur les couleurs, Jack, lui, est associé au vert. Cette couleur est souvent associée à la maladie, la mort ou la médecine. Jack pourrait être alors le symbole des problèmes mentaux de David. Dans docteur Jekyll et Mister Hyde, la potion servant à la transformation est parfois représentée en vert. Jack devient donc la potion qui va faire passer David à l’état de bête sauvage.
Le loup garou de Londres est donc bien la tragédie d’un homme qui ne peut continuer son existence, ne supportant pas la maladie qui le ronge et qui blesse des innocents autour de lui. Sentant qu’il disparaît de plus en plus, risquant de tuer la femme qu’il aime, il se laisse mourir pensant que personne ne peut le comprendre et l’aider. D’ailleurs si on remet en contexte, ce type de maladie n’était pas forcément bien pris en charge à l’époque. C’était aussi un thème que l’on pouvait retrouver dans les fameux films de monstres de Universal.
Pour moi c’est la preuve que le long métrage et le genre même auquel il rend hommage sont des œuvres complexes, qui en disent beaucoup sur la nature humaine et sa façon de réagir lors de situations tragiques. C’est aussi une façon d’avoir un esprit critique sur la société qui laisse souvent de côté ceux qui ne lui plaisent pas plutôt que d’essayer de les comprendre et de les aider.
Le loup Garou de Londres est disponible chez l’Atelier d’images
Le loup garou de Londres est l’un de mes films de loup garou préféré. Il a su apporter un équilibre entre émotion et terreur, tout en permettant une meilleure compréhension des enjeux dramatiques de ce type d’histoire. C’est une œuvre qui a marqué plusieurs générations, que ce soit tant pour son écriture tragi-comique que pour ses effets pratiques et maquillages extraordinaires. Toujours imité, jamais égalé. Un film à voir encore et encore pour tenter d’en percer tous les mystères.
Bonjour ! Merci pour ton analyse !
Je me souviendrai toujours de la première fois où j’ai vu l’extrait de la transformation durant l’émission Temps X, j’avais 9 ans et j’ étais tétanisé de terreur sur mon fauteuil ! C’était un choc visuel qui s’est changé avec le temps en une fascination artistique, un changement évidemment que beaucoup de spectateurs ont pû instinctivement admettre grâce au grand talent de Baker. Mais en découvrant le film, je n’ai pas eu de fascination pour ce film dans sa globalité . Peut-être que naïvement j’en attendais plus et je respecte en même temps l’étiquette du film culte inculquée. Cependant, je me suis posé des questions avec le temps à propos de Landis sur sa perception de ce que la culture américaine pourrait avoir comme importance sur notre territoire européen. Landis semble revendiquer une forme de contre-culture américaine. Je m’explique :
1) Landis choisi un acteur inconnu au bataillon en Europe , en l’occurence David Naughton, pour
incarner le premier rôle. Un acteur connu aux USA pour une pub concernant un soda purement made in USA ,Dr Pepper, où l’acteur en question chante et virevolte avec un sourire éclatant autour d’une petite foule de personnes tout aussi positivement dynamisées! Bref, tout ce que l’Amérique aime voir dans sa petite lucarne! En sachant cela, j’avais eu l’impression que Landis voulait entacher l’image de cette joie qui fait penser l’american way of life, en rendant cette personnification monstrueuse et sanguinaire!
2) Durant la transformation de David, celui-ci arrache son t-shirt où est imprimé NYU, donc l’Université de New-York, comme si symboliquement, Landis voulait détruire une réputation trop imposante démontrant ainsi que l’Amérique ne peut être une si grande référence!
3) Le loup-garou exécute un vrai massacre dans un cinéma porno . Landis semble ici souligner l’hypocrisie du puritanisme américain, où le monstre porte à travers les tueries, le jugement contre la perversion que l’Amérique a elle-même créée (en tenant compte des multiples productions américaines dans le porno et que de façon humoristique le pseudo film porno a été réalisé par Landis même )
4) Peut-on finalement se poser des questions sur ce que Picadilly Circus, théâtre de la fin du massacre, était en train de se transformer au début des années 80 vers des façades dénaturées qui rappellent la surconsommation USA, ce qui pourrait être un clin d’oeil à Geroge A Romero.
Le film m’avait un peu déçu à cause peut-être du montage ou de certains faits ridicules mais c’est en me remettant en question en revoyant le film plusieurs fois que petit à petit j’ai remarqué certaines chose qui ont constitué mon interprétation qui est bien évidemment discutable ou contestable. Mais je suis persuadé que ce long-métrage est un « film à tiroirs » où pas mal d’éléments se révèlent avec le temps, comme ce pentagramme qui peut renvoyer tristement à l’étoile de David qui au lieu d’être le beau symbole religieux juif avait pris sur les vêtements un sens ostentatoire haineux durant la seconde guerre mondiale qui avait été ici retranscrit sous forme de cauchemar, peut-être pour rappeler après 40 ans, en 1980, année des premiers mois de tournage, que ce massacre restait dans les mémoires comme l’apogée de la déshumanisation.