Le Cabinet des curiosités
Le Cabinet des curiosités affiche

(Guillermo del Toro’s Cabinet of Curiosities)

2022

Réalisé par : Ana Lily Amirpour, Jennifer Kent, Panos Cosmatos

Avec : Guillermo del Toro, Tim Blake Nelson, Crispin Glover

Série visionnée par nos propres moyens

Les séries d’anthologie sont une valeur sûre. Le genre a connu son heure de gloire avec la très célèbre The Twilight Zone : la quatrième dimension, mais ce n’est pas la seule, on peut également citer Alfred Hitchcock présente, où les plus grands réalisateurs du Nouvel Hollywood ont fait leurs débuts, de William Friedkin à Steven Spielberg. Ce dernier a lui-même lancé la sienne, des années et le succès plus tard : Histoires Fantastiques. Et puis, dans les années 1990, arrive sur les écrans l’excellente Les contes de la crypte, qui présentait chaque semaine une nouvelle histoire horrifique. La série est devenue très rapidement culte, autant que son illustre aînée. Le genre est tellement en vogue qu’une version jeunesse paraîtra avec Les Chairs de Poule qui mettent en image la saga de romans pour adolescents. Comme si chaque décennie devait avoir sa série d’anthologie, dans les années 2000, sort Les maîtres de l’horreur, plus connu sur son nom VO Masters of Horror. Le concept est encore plus simple : de célèbres réalisateurs d’horreur raconte chacun une histoire durant un épisode. Classique ? Oui, mais tous les épisodes ne sont pas des réussites et le succès finit par s’estomper. D’autres séries d’anthologie paraissent en cette décennie: Rêves et cauchemars, ou le retour de la Twilight Zone, mais leur diffusion est plus confidentielle.

Au début des années 2010, débarque sur les écrans Black Mirror qui est un succès écrasant. La même année, American Horror Story propose un tout nouveau concept : une histoire par saison. Un concept qui sera embrassé par d’autres séries comme Fargo ou True Detective. C’est au début des années 2020 que l’anthologie classique revient avec Love, Death & Robots, qui marque le retour du cyberpunk au passage. Produit par Netflix, la série a le succès escompté, peut-être même plus. Il n’est donc pas illogique que la plateforme de streaming cherche à capitaliser sur le genre en proposant au grand réalisateur mexicain Guillermo Del Toro sa propre série d’anthologie, à la façon d’un Alfred Hitchcock ou, plus encore, d’un Rod Serling.

Guillermo Del Toro s’est fait connaître par ses films, d’horreur et fantastiques pour la plupart (Le labyrinthe de Pan, La forme de l’eau et Hellboy). Il a également produit Affamés, Don’t Be Afraid of the Dark et Les yeux de Julia, c’est donc en toute logique qu’il produit Le Cabinet de curiosités de Guillermo del Toro. Il en est également le présentateur, introduisant chaque épisode. Chacun d’eux est réalisé par de jeunes réalisateurs à la carrière naissante, mais aux univers très différents les uns des autres. Ils se basent sur des nouvelles, dont deux sont écrites par Guillermo Del Toro. C’est ainsi que, après sept mois de tournage et sept mois supplémentaires de postproduction, la série est diffusée durant le mois d’octobre, pour Halloween.

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Le premier épisode, Le Lot 36, est basé sur une nouvelle de Guillermo Del Toro et réalisé par Guillermo Navarro, directeur de la photographie sur Une Nuit en Enfer, Au revoir à jamais, Jackie Brown, mais aussi Hellboy et Pacific Rim. Il fait ses armes comme réalisateur à la télévision sur la série Hannibal, réputée pour sa grande beauté et son esthétique du macabre. Le moins que l’on puisse dire c’est que son épisode est plutôt beau même si le décor reste tristement fait de couloirs de brique au sein d’un bâtiment de location de stockage. On a plaisir à y retrouver Tim Blake Nelson (O’ Brother) et  Sebastian Roché (Supernatural) qui nous embarquent dans l’histoire d’un homme vivant de l’achat de ces espaces de stockage abandonnés jusqu’à la revente des objets y étant entreposés. C’est justement les objets occultes que notre héros trouve qui donne à cette histoire un faux air Lovecraftien, avec une atmosphère sordide comme on les aime. Cependant, cet épisode comporte quelques problèmes, notamment la crédibilité de certains personnages, et un ventre mou avant que le récit ne décolle. Néanmoins, la mise en bouche fonctionne et donne envie au spectateur de continuer.

Le second épisode, nommé Rats de cimetière, est tiré d’une nouvelle de Henry Kuttner. Réalisé par Vincenzo Natali (Cube, Splice, Dans les hautes herbes), il adopte une image très gothique, tout à fait adaptée à son sujet. En effet, le héros campé par David Hewlett, qu’on a déjà pu voir dans La forme de l’eau et Nightmare Alley, est un croque-mort un peu spécial. En effet, il comble ses dettes en dépouillant les corps récemment enterrés dans son cimetière. Le problème étant que les rats le devancent une nouvelle fois. Acculé par ses débiteurs, il se décide à poursuivre les rongeurs dans des galeries vacillantes creusées en dessous du cimetière. Tout le concept est intéressant, d’autant plus que les rats ne sont pas le seul problème que devra affronter notre antihéros. Le rythme est soigné, l’ambiance parfaite pour le récit, mais on peut reprocher à celui-ci d’être un peu trop bavard au début et trop succinct sur sa fin, qui aurait pu être un peu plus généreuse. L’ensemble reste cependant digne d’intérêt.

The Autopsy, l’épisode 3, a également un début difficile. L’histoire écrite par Michael Shea, accompagné de David S. Goyer, met du temps à s’installer. Le spectateur se demandera probablement où David Prior, le réalisateur de The Empty Man, l’emmène avec ce récit croisé en deux temporalités d’un accident dans les mines. Mais à la moitié du récit, celui-ci se réduit à l’essentiel et offre au spectateur ce que lui a vendu le titre : une autopsie. L’ambiance devient alors macabre et silencieuse, laissant le temps à l’horreur de naître, mais le plus incroyable est le final qu’on garde bien sûr secret. Son efficacité repose sur le jeu de son comédien principal F. Murray Abraham, touchant dans Mystic Quest, drôle dans The Grand Budapest Hotel. La photo, assurée par Anastas N. Michos participe également à la qualité de cet épisode.

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L’épisode 4 est appelé La prison des apparences, basé sur une histoire écrite par Emily Carroll adaptée en scénario par Haley Z. Boston. Derrière la caméra, on retrouve Ana Lily Amirpour qui a réalisé l’efficace A girl walks home alone at night. Cet épisode tranche avec ses œuvres précédentes. Certes, on pourrait voir un propos féministe dans l’histoire de cette femme qui voudrait être aussi belle que les autres, aussi populaire et aimée, sexy peut-être même. Cependant, rien dans son déroulé et surtout son final n’est féministe, bien au contraire… Long et décevant, cet épisode ne met guère en valeur le travail qu’on devine pourtant important de sa comédienne principale, Kate Micucci, plus connue pour sa voix dans La bande à Picsou et Batman Lego le film.

Si dans l’épisode 1 et 2 se trouvaient des références à peine voilées à H.P. Lovecraft, l’épisode 5, Pickman’s Model, est une adaptation d’une nouvelle du grand auteur ayant donné vie aux grands anciens, Cthulhu étant le plus connu, juste avant Dagon évidemment ! A la réalisation, on retrouve Keith Thomas, le réalisateur de la dernière adaptation de Charlie de Stephen King : Firestarter. Son image soignée est brossée par Colin Hoult. Nous y suivons Ben Barnes, jeune peintre talentueux qui use de son art pour séduire la jeune Oriana Leman et semble promis à un bel avenir lorsqu’il croise la route de Crispin Glover, le fameux Pickman du titre. Un peintre torturé, fils d’une sorcière, qui met en scène à coup de pinceau des horreurs qui bientôt viendront polluer l’esprit du jeune héros. La réussite de cet épisode tient dans une narration qui laisse le temps à l’horreur de s’épaissir tout en maintenant le spectateur dans le doute, lui laisser même le temps d’oublier qu’il regarde une adaptation de H.P. Lovecraft même si tous les signes sont présents.

L’épisode 6 est également une adaptation de H.P. Lovecraft et se nomme Dreams in the witch House. Il est réalisé par Catherine Hardwicke, connue pour avoir adapté Twilight. On y suit Rupert Grint qui n’a jamais réussi à faire le deuil de la mort de sa sœur jumelle. Pourchassant l’idée de la retrouver dans l’au-delà, il travaille pour une société de recherche sur le paranormal et le spiritisme. Mais l’argent venant à manquer comme les résultats, il se tourne alors vers d’autres solutions plus radicales, comme l’utilisation d’une drogue ou l’installation dans la maison d’une sorcière qui aurait ouvert des passages vers d’autres mondes. Si un travail indéniable est fait pour donner vie à l’âge d’or du spiritisme et surtout à des créatures assez cauchemardesques, en revanche, l’histoire brille par ses problèmes d’écriture. La logique des décisions du héros, du déroulé et plus encore, le rythme sont hésitants. Sans parler de la lourdeur de cette adaptation en comparaison de la précédente, ce qui la rend fatalement moins intéressante en comparaison.

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L’épisode 7 est très différent de tous les autres. The Viewing est basé sur un scénario de son réalisateur, Panos Cosmatos, que certains connaissent peut-être pour son travail sur Mandy, un film assez… particulier. À la manière d’un Bertrand Mandico, il possède son propre univers et surtout une quête d’esthétisme rétro bizarre quelque peu envoûtante. Le casting est assez dément, puisqu’on y retrouve Peter Weller et Sofia Boutella, tout simplement iconiques. L’histoire nous plonge dans un récit enténébré et distordu par la drogue prise par nos personnages, qui font tous des choix pour le moins douteux. Le rythme se distord, nous faisant passer d’un genre à un autre, d’un bad trip à un trip tout court. Mais le final est assez incroyable et mérite d’accepter une mise en place un peu laborieuse. Il est aussi à noter que les décors sont aussi envoûtants que l’atmosphère.

Enfin, le dernier épisode, The Murmuring est une adaptation d’une nouvelle de Guillermo Del Toro. Sa réalisation est confiée à Jennifer Kent connue pour Mister Babadook. Elle y filme à nouveau Essie Davis, qui fait face à un autre type de deuil. Cette fois-ci, c’est l’enfant perdu qu’elle pleure au sein d’une maison manifestement hantée et isolée, aux côtés de son époux joué par Andrew Lincoln de Walking Dead. Tous deux sont des scientifiques observant le vol des oiseaux. Mais le deuil et bientôt les fantomatiques apparitions les séparent, lentement et inexorablement. Reposant sur une image d’une qualité époustouflante autant due aux décors naturels qu’au travail de Colin Woods et de toute son équipe. Le son est également très soigné, pour apporter toute sa puissance à ce drame intimiste. Il faut aussi et surtout saluer le travail des deux comédiens. Cet épisode est une merveilleuse façon d’achever cette première saison très prometteuse qui, nous l’espérons, donnera lieu à une seconde.

Le Cabinet de curiosités de Guillermo del Toro est disponible sur Netflix.

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