L’Astronaute
L'Astronaute affiche

2022

Réalisé par : Nicolas Giraud

Avec : Nicolas Giraud, Mathieu Kassovitz, Hélène Vincent

Film fourni par Dark Star Presse pour Diaphana Éditions

Après avoir prêté ses traits séduisants à un parterre de cinéastes émérites, le comédien Nicolas Giraud se réinvente en devenant le scénariste et le réalisateur de ses propres longs métrages. Sur grand écran, il puise dans la part intime de son être pour émerveiller le spectateur de sa sensibilité et de son imagination débridée. Érigeant le septième art en véritable religion, l’artiste fait de sa ferveur et de l’introspection exprimée dans ses œuvres un acte de confession de ses angoisses profondes et de ses rêves les plus fous. En 2018, l’interprète récompensé à de multiples reprises pour ses travaux communs avec Bruno Podalydès, Xavier Beauvois ou encore Patrice Leconte livre son premier long métrage aux salles obscures. Déjà remarqué au Festival de Cannes pour son court métrage Faiblesses, Nicolas Giraud s’essaye enfin à la forme longue avec Du soleil dans mes yeux, témoignage délicat de son émotion à fleur de peau et de sa vision conflictuelle des relations amoureuses et filiales. Soucieux de capturer la vérité qui se cache dans l’invisible attraction qui unit les êtres, il revendique son autorité sur le plateau. Pour assouvir ses envies, il réclame le droit “d’incarner” ses propres histoires et de les “habiter” pour les magnifier. Nicolas Giraud est un cinéaste et auteur complet, parfois tyrannique, à la fois scénariste, metteur en scène et interprète principal de ses films. Son cinéma est une manifestation de ses sentiments profondément enfouis, enfin matérialisés. De retour en 2022 avec L’Astronaute, désormais disponible en Blu-ray et DVD chez Diaphana Éditions, il dévoile cette fois une facette plus audacieuse de sa psyché. Après avoir contemplé les tourments des cœurs, le réalisateur tourne son regard vers les étoiles et l’insondable profondeur de l’espace, assoiffé de “l’ultime aventure”, comme il le confie aux journalistes de Cin’écrans. Nicolas Giraud souhaite élargir son horizon cinématographique et épouser une nouvelle ampleur formelle, tout en conservant son intimisme scénaristique. À l’instar du modeste protagoniste de son film, qu’il incarne lui-même, il se lance à la quête des astres avec peu de moyens mais une ambition et une passion démesurées. Une volonté de crédibilité scientifique accompagne néanmoins la conception de son œuvre. L’auteur est rêveur, mais il est désireux de rendre sa fresque onirique la plus cohérente possible. Élaborée en collaboration avec ArianeGroup, et tout spécialement l’astronaute Jean-François Clervoy, fort de trois voyages dans l’espace, le long métrage est une douceur enjouée et libertaire qui conserve toutefois une vraisemblance judicieuse, à même de réveiller l’utopiste intrépide qui sommeille en chaque spectateur.

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Ingénieur chez ArianeGroup, Jim Desforges (Nicolas Giraud) nourrit le rêve de construire sa propre fusée pour s’envoler seul vers l’espace, effectuer une sortie en basse orbite et regagner la Terre. Pour parvenir à ses fins, il se lance dans la conception secrète d’un aéronef amateur, dans la grange familiale de ses ancêtres. Accompagné du petit chimiste débonnaire André (Bruno Lochet), et en détournant des pièces détachées de son lieu de travail, Jim progresse à pas de géant, mais alors que l’élaboration de la fusée approche de son terme, il est en proie au doute quant à ses capacités. Pour l’aider à concrétiser son fantasme hérité de son grand-père, il sollicite l’aide d’Alexandre Ribbot (Mathieu Kassovitz), un ancien astronaute nostalgique de ses années de gloire. Progressivement, la bande incongrue approche de son but et agglomère autour d’elle d’autres marginaux animés d’une même flamme. Le premier vol spatial amateur semble enfin réalisable et les étoiles ne sont plus qu’à portée de main.

Attirés par les sirènes de la nuit, les rêveurs se réapproprient l’espace et ses mystères dans L’Astronaute. Habitée d’une fragile poésie implicite propre aux âmes ivres d’aventure et frappée d’un humanisme subtil, la fresque précieuse de Nicolas Giraud reprend la conquête spatiale des mains des grandes nations désincarnées pour rendre les doux songeurs seuls dépositaires légitimes de l’infinité du cosmos. La voûte céleste redevient le domaine des hommes animés par la passion et par la certitude galvanisante que les fantasmes sont enfin réalisables. Sous les traits de l’ambitieux Jim, le monde renoue avec la séduction de l’ultime frontière et sort de sa léthargie pour se lancer dans une folle course vers l’inconnu. L’espoir est le premier carburant de l’improbable fusée au centre du long métrage, tout aussi essentiel que le mélange que confectionne André et qui constitue le principal élément fictionnel du récit. Les nouveaux arpenteurs des cieux sont propulsés par un optimisme euphorisant et par une confiance inébranlable, proche de la foi, selon le réalisateur du film. L’espace est le temple de d’une imagination divine vers laquelle s’élance Nicolas Giraud, le panthéon d’Hergé, cité dans le long métrage à travers l’apparition fugace de la fusée de Tintin, ou de Fritz Lang et autre George Méliès, les explorateurs cinéastes dont le réalisateur de L’Astronaute est désormais un lointain et très modeste descendant. L’aéronef est un phare pour les esprits insoumis, fédérés autour d’un idéal commun. L’improbable assemblée de scientifiques rebelles épouse l’héritage des précurseurs de l’aéronautique pour que les découvertes du siècle passé soient à nouveau au service de l’homme seul, et non plus détenues par des entités invisibles. Après l’âge de la colonisation spatiale s’ouvre délicatement celle de l’individu découvreur d’un nouvel espace de liberté et de ses mythes. Jim est à la recherche des astres du ciel, et rencontre en chemin ceux qui se trouvent sur Terre, sous l’incarnation de la mathématicienne Izumi (Ayumi Roux), dont le nom peut se traduire par “celle qui porte la bonne étoile”, et qui après une phase de défiance et de division se révèle être la voix qui le guide dans son odyssée. Irrémédiablement attiré par la lumière, le protagoniste est prêt à se brûler les ailes comme Icare pour tutoyer le Soleil, dévoré par sa folie dépensière qui le pousse à hypothéquer ses biens, tout comme par sa soif intarissable de s’élancer vers les hauteurs en faisant fi d’un danger clairement énoncé. En construisant sa fusée, Jim se défait des échecs de son destin, à n’importe quel coût, et le sacrifice potentiel d’une vie paraît presque vertueux. La passion de l’espace a défini son existence depuis sa plus tendre enfance, devenir spationaute est son seul rêve et sa flamme a effrayé les juge de l’ESA. Pourtant, rien ne peut contraindre sa volonté. Il partage avec Alexandre une vérité émotionnelle céleste qui le destine à accomplir une destinée manifeste. Les assoiffés de l’espace ne peuvent pas être entravés. À l’ère proche de la démocratisation de la technologie, les obstinés sont sur le point de réclamer leur dû et d’investir leur royaume spatial. Le rêve terrasse la peur.

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Néanmoins, l’être seul n’est rien sans une confluence de caractères et de savoirs qui s’agglomère autour de lui. Jim est la folle impulsion qui donne naissance à un projet dément, mais la réalisation de son désir déraisonné ne peut s’accomplir sans le soutien d’autre parias du monde odieusement prosaïque. Le chasseur de fantaisie est fort du secours d’une galerie de personnages délicieusement associables, exclus attachants d’une société pragmatique. Une nouvelle couche de l’humanité trouve son incarnation dans L’Astronaute. À l’écran, des hommes et des femmes aux pieds solidement ancrés dans le sol, mais à la tête dans les étoiles, brillent de leur splendeur parfois naïve mais toujours sincère. André est un homme simple, attachant de candeur, mais son rêve concret de faire décoller la fusée au prix de ses efforts n’est pas moins vertueux que celui de Jim. Izumi est une femme parfois froide, qui affronte la réalité concrète et mathématique, mais sa parole sincère est essentielle pour le bien de l’incroyable entreprise collective. Ses mots se découvrent même curieusement prescients. Ils réveillent le protagoniste bercé de ses illusions qui s’enrichit à contre-coeur de cette sagesse pour construire sa témérité, et s’unir sans contact mais par le dévoilement de son intimité enfantine à la jeune femme moderne. Jim est le nouvel apôtre des cieux, le récepteur du flambeau que lui transmet Alexandre de ses conseils et de son entraînement. Davantage que toute autre relation exposée dans le long métrage, leur union semble indéfectible, elle transcende la gestuelle et le langage pour devenir spirituelle. L’élève a trouvé un maître, l’ancien spationaute a rencontré un disciple légitime, habité par un désir défait des codes des grandes agences spatiales internationales. Jim et ses protégés sont des insoumis. Ils s’affranchissent des règles, des lois, des conventions et de la raison pour caresser ensemble l’espace. La capsule est monoplace, pourtant aux côtés du héros, une part de chaque personne investie dans le projet l’accompagne. Si l’expérience et le savoir scientifique est essentiel au bien de la mission, la vérité affective occupe également une place centrale dans L’Astronaute. Le film ne relate pas qu’un périple technologique, il se découvre aussi sous l’apparence d’une odyssée humaine, entre espoir et doute. La grand-mère du protagoniste (Hélène Vincent) n’apporte rien d’autre que sa ferveur, son soutien et sa soif des étoiles à Jim, pourtant elle est au centre de la mise en image de Nicolas Giraud, incluse dans les plans collectifs et omniprésente jusqu’à offrir son nom, Odette, à la fusée. À l’inverse, la contre-parole désespérée face au danger du père du protagoniste (Jean-Henri Compère) est un temps reniée, avant que la crainte paternelle légitime d’un passionné de Formule 1 qui a vu s’éteindre Ayrton Senna ne finissent par être assimilée comme une composante de l’épopée. Présent sur le pas de tir au moment du lancement, l’homme apeuré est un fil du tissage humain complexe, une autre entité dont l’expérience alimente l’accomplissement des rêves. Sans reconnaître les risques, le défi n’est que folie.

Sur le terrain de guerre spatial, le rêve indomptable affronte l’austérité d’une société devenue dépendante du ciel, mais qui s’est détournée de ses mystères. Les ogres de l’aéronautique se sont emparés des cieux, ont privatisé les astres et entendent conserver leur influence en entravant les désirs de Jim. Emmurés dans les bâtiments de l’ESA, les lourds moteurs de fusée tournent dans le vide, ne propulsent plus d’explorateurs vers l’immensité du cosmos, il ne sont là que pour faire démonstration de leur puissance à des acheteurs potentiels. L’espace a été démystifié pour devenir un business sans saveur et sans splendeur. Le génie technologique a été dévoyé pour servir des intérêts financiers. Derrière les nuages, l’orbite terrestre n’est plus un territoire vierge. Parmi les embûches qui se dressent sur la route de Jim et de son équipe, la potentielle présence d’avions lors du décollage de la fusée ou le tir hypothétique de missiles pour anéantir l’aéronef de fortune sont clairement énoncés et constituent des obstacles qui ne seront franchis qu’à la dernière minute. L’Odette et son pilote sont englués sur le sol des hommes, mais ils se libèrent de leurs entraves pour accomplir le rêve, tout comme le spationaute amateur se défait littéralement de ses chaînes dans la piscine qui lui sert d’espace d’entraînement pour simuler un environnement de gravité zéro. Si la science occupe une place centrale dans L’Astronaute, le long métrage milite pour une révolution de la pensée critique des érudits. Confronté à l’austérité d’un mathématicien qui condamne sa démarche, Jim se heurte aux mentalités étriquées qui veulent protéger un statu quo empirique, refusant l’innovation technique et sociétale. En se cachant à peine, Nicolas Giraud invite les dépositaires du savoir à renouer avec l’intrépidité et la poursuite des fantasmes. Le réalisateur semble ainsi conférer une grande confiance en une nouvelle génération de scientifiques, qu’incarne Izumi. Pour les plus jeunes, il est encore temps de refuser le pragmatisme oppressant et d’accomplir les ambitions les plus folles. Néanmoins, le cinéaste est soucieux de mettre en garde cette nouvelle école et l’incite à refuser l’attrait des sponsors de grands groupes. La beauté de l’épopée de l’Odette est solidement attachée à son amateurisme. Les aventuriers des temps modernes sont précurseurs autant par leur indépendance financière que par leur accomplissement mécanique. La splendeur de leur entreprise réside dans le berceau insoupçonné, hautement rural, où elle prend place, et dans le doux flirt avec l’illégalité qui accompagne le périple. Jim et les siens sont des indignés de la modernité qui exige un changement notable des rapports de force. Ils se nourrissent de l’héritage de l’ingénierie fondamentale et des découvertes des précurseurs du ciel, pour se réapproprier la machine, et pour que l’individu retrouve sa place au cœur d’une mondialisation idéologiquement désordonnée. 

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En se nourrissant du passé et en lorgnant vers le futur proche, L’Astronaute capture l’essence de notre propre époque, soucieuse de se nourrir des enseignements des ancêtres et de renouer avec leur idéal, tout en ouvrant la voie vers un avenir différent de l’apocalypse environnementale promise, grâce à une conscience écologique renouvelée. Les désirs de Jim sont le fruit d’un leg familial, de l’influence d’un grand-père absent du long métrage, depuis longtemps disparu, mais omniprésent dans chaque espace vide du film, comme lorsque lors d’une scène unissant Odette et Alexandre, Nicolas Giraud filme en silence une chaise laissée vacante. Les disparus contemplent implicitement la marche des vivants, parfois avec bienveillance, parfois avec méfiance, mais toujours avec compassion et tendresse. L’essor de la fusée ne peut se faire que grâce à leur leg, ici matérialisé par une dalle de béton coulée par l’ancêtre de Jim, ayant par le passé servi à l’envol de leur aéronef miniature et désormais pas de tir de l’Odette. Le rêve des étoiles est né dans le passé, évoqué lorsque les plus anciens personnages confrontent leurs souvenirs du premier alunissage, ou lorsqu’un album de coupures de presse ayant trait à la conquête spatiale est feuilleté comme un livre saint. Néanmoins, revenus des temps anciens, les pionniers du ciel apostrophent le présent. Face à une projection de Alexei Leonov effectuant la première sortie extravéhiculaire de l’Histoire, Izumi s’imprègne de son fait de gloire pour alimenter sa propre construction personnelle. Jusqu’alors tournée vers l’espace par crainte de voir un jour l’humanité quitter la Terre face à la folie généralisée, la jeune femme prend conscience qu’elle s’inscrit dans un plus large courant d’êtres vaillants, qui ont affronté le destin avant elle et qui l’ont vaincu. L’optimisme s’invite et un trait d’union se trace à travers les âges et à travers l’espace. Grâce à sa mise en image organique, L’Astronaute capture d’innombrables instantanés de la nature terrestre avant les dernières minutes plongées dans l’espace. Un lac gelé, un arbre caressé, la mousse sur un banc de pierre sont autant de petits fragments de notre monde, qui composent la gigantesque toile de notre planète, avant que le recul soit pris durant la conclusion du film pour laisser percevoir la Terre dans son entièreté. Les racines de Jim sont attachées à notre sol mais son esprit plane désormais dans les cieux. À bout de bras, il livre à l’insondable immensité du cosmos les reliquats de son grand-père, dans une scène qui ponctue avec splendeur le long métrage, non sans rappeler First Man. Entremêlées avec le scintillement des étoiles, la mémoire des aïeux brillent d’un même éclat.

Avec douceur et tout en subtilité, L’Astronaute souffle sa douce poésie céleste dans son épopée originale et euphorisante.

L’Astronaute est disponible en Blu-ray et DVD chez Diaphana Éditions, avec en bonus : 

-Entretien avec Nicolas Giraud et Gabriel Legeleux (Superpoze), compositeur de la musique du film.

-Entretiens avec Nicolas Giraud, Mathieu Kassovitz et Jean-François Clervoy, ingénieur et spationaute.Nicolas Giraud, la tête dans les étoiles entretien réalisé par Cin’Ecrans.

Nicolas Marquis

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