2022
Réalisé par : Ryan White
Avec : Opportunity, Spirit, Angela Bassett, Steve Squyres
Film vu par nos propres moyens
La saison des Oscars bat son plein, tous les grands studios profitent de cette fin d’année pour sortir leurs films les plus ambitieux d’un point de vue artistique et la catégorie des meilleurs documentaires n’échappe pas à la règle. Good Night Oppy, produit à grands frais par Amazon, réalisé par Ryan White et narré par Angela Bassett, revient en un peu moins de deux heures sur plus de 15 ans d’efforts colossaux pour lancer le programme Mars Exploration Rover, raconté par les scientifiques à l’origine du projet aussi charismatiques que passionnés.
Le film retrace la vie de Spirit et d’Opportunity, les deux robots lancés dans l’espace en 2003 à destination de la planète rouge dans le but d’identifier des preuves de l’existence d’eau à l’état liquide dans le passé de Mars. Les deux rovers sont conçus pour durer un peu plus de 90 jours terrestres sur Mars mais leur longévité dépasse toute les espérances puisque Spirit va tenir 7 ans avant de s’enliser dans le sable martien tandis qu’Oppy, le petit surnom donné par ses créateurs à Opportunity, cesse d’émettre en 2017, soit 14 ans après son atterrissage, suite à une tempète de sable longue de 6 mois.
Au début des années 2000, ce programme d’exploration n’est pas le premier initié par la NASA, mais fait figure de dernière chance pour l’agence spatiale américaine puisque le programme précédent, Mars Climate Orbiter, lancé en 1999, est un échec cuisant que cela soit sur le plan scientifique, car les deux sondes ont été détruites avant même leur arrivée sur Mars, mais aussi et surtout sur le plan de l’image auprès du grand public puisque cet échec estimé à 125 millions de dollars provient d’une simple confusion sur les unités métriques. La NASA est devenue la risée de tous et son avenir financier n’est plus assuré.
Animé d’un sentiment de revanche, le groupe de scientifiques dirigé par la vision et l’enthousiasme de Steve Squyres conçoit deux nouvelles machines à l’anthropomorphisme évident. Leur taille est celle d’un homme, leurs caméras ressemblent à des yeux et chacun des deux robots possède sa personnalité propre; Spirit est capricieux et difficile tandis que Oppy fait figure de bon élève. De la course contre la montre pour que les robots soient prêts au moment de la fenêtre de tir idéale, aux éruptions solaires qui nécessitent le redémarrage des rovers avant même qu’ils n’atteignent Mars, à la question de savoir comment descendre les parois abruptes d’un cratère ou comment sortir d’une dune de sable, le spectateur suit pas à pas la vie de ces deux machines faites de hauts et de bas, mais également les histoires des scientifiques et ingénieurs qui les contrôlent à distance. Toute la force et l’intérêt de ce documentaire résident dans la compétence, le sérieux et la dévotion qui se dégagent de ce travail d’équipe mais aussi et surtout la quasi humanité de ces deux robots que les scientifiques considèrent comme des personnes à part entière qu’ils aiment comme ils aiment leurs propres enfants. D’ailleurs, il est aisé de comparer les premiers tours de roue de Oppy aux premiers pas d’un nourrisson et les premières images que les deux rovers envoient de Mars sont une fierté comparable à celle que ressentent des parents face à leur enfant entrant à l’université. C’est hélas aussi une des limites du film. Par exemple, une des scientifiques n’hésite pas à associer la perte de la mémoire flash de Oppy aux pertes de mémoire que connaît sa grand-mère atteinte par la maladie d’Alzheimer. L’attachement du spectateur pour les robots est réel et l’empathie que les scientifiques ressentent est communicative mais le panel d’ingénieurs présenté est tel qu’il est difficile de ressentir la même chose pour les humains qui, ironiquement paraissent moins incarnés que Spirit et Oppy. Une autre limite du film réside dans la difficulté d’incarner le temps qui passe entre les premiers instants de la mission riches en événements a ceux moins passionnants de la fin de vie des rovers qui consistaient à parcourir des kilomètres jour après jour afin de rejoindre des zones jugées potentiellement plus intéressantes. Le documentaire reste d’ailleurs très évasif sur la portée scientifique réelle des informations rapportées lors des dernières années de vie des deux robots. Ryan White choisit de présenter alors la nouvelle génération d’ingénieurs en charge de Spirit et de Oppy, montrant ainsi leur incroyable longévité. Les scientifiques se succèdent, les rovers restent. Il est cependant légitime de penser, même si le film ne le dit jamais, que les jeunes ingénieurs en charge des robots le deviennent car la portée scientifique des résultats rapportés devient moins importante et que la NASA a déjà décidé d’investir dans les remplaçants des deux robots à la technologie vieillissante.
Néanmoins, il est passionnant de partager le quotidien des scientifiques et des ingénieurs qui se donnent corps et âme pour leur mission mais de pouvoir aussi entrer dans leur intimité de travail, du rituel de la « chanson de réveil » à leur rythme calé sur les journées martiennes plus longues de 40 minutes que celles sur Terre. Ils vivent sur Mars par procuration avec leurs “bébés” et si les connaissances scientifiques que permettent l’exploration de ces robots est très probablement considérable, le film insiste principalement sur l’évocation rêveuse que représente ce voyage vers les étoiles et le désir de l’Homme de toujours chercher à explorer l’inconnu. L’émotion, palpable à chaque instant du documentaire, prend le pas sur la science dans un souci de vulgarisation constant pour éviter de perdre les spectateurs non connaisseurs.
Dans ce souci de privilégier l’émotion sur l’intérêt scientifique, une des dernieres action de Oppy avant de définitivement rendre l’âme est de retourner son bras mécanique vers lui même afin d’immortaliser son passage sur la planète rouge et de prendre un selfie, manière pour ses ingénieurs de pouvoir observer leur création une dernière fois, la seule sur Mars, Le résultat est imparfait, la photo, reconstitution de multiples prises de vues, est floue mais le vrai Oppy laisse apparaître toute sa superbe, vu de Mars, pour la seule et unique fois. En effet, si le film contient énormément d’images d’archives de la NASA retraçant divers événements depuis la salle de contrôle, aucun rover n’a tourné d’images de qualité cinématographique depuis Mars. La tâche a donc été confiée à Industrial Light & Magic, ILM pour les initiés, d’imaginer la vie sur Mars pour les deux robots afin de permettre aux spectateurs d’explorer la surface martienne en compagnie des deux machines. Si le procédé paraît un peu surprenant lors des premiers instants du film, les images sont suffisamment convaincantes pour se laisser prendre et oublier qu’elles ne sont que pure fiction.
Good Night Oppy est un film documentaire mélangeant images d’archives, entretiens face caméra et images reconstituées numériquement. L’émotion l’emporte très largement sur l’impact scientifique de la mission rendant le film à la fois touchant mais aussi assez frustrant.
Good Night Oppy est disponible sur Amazon Prime Video.