Édito : Crise de foi au cinéma
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Dans un monde en perpétuel mouvement, et où l’année 2025 qui vient de s’ouvrir est des plus incertaines, il est des sujets délicats à traiter. Parmi eux, tient en haute place la question de la foi, dont l’évocation est toujours propice à l’embrasement du “débat”. Parmi les principales religions monothéistes, il est évident que l’Eglise catholique souffre, depuis plusieurs années déjà, d’une remise en question dans nos sociétés, quasiment sans précédent dans son existence. Avec un nombre de fidèles en recul et une idéologie polarisante, les valeurs traditionnelles portées par l’Eglise catholique sont en conflit permanent avec les nombreux bouleversements sociaux qui traversent l’Occident. Cette situation n’a d’ailleurs pas manqué récemment d’attirer la curiosité artistique de nombreux metteurs en scène, parmi lesquels Paul Schrader et Edward Berger.

La religion est une thématique qui jalonne la filmographie de Paul Schrader ; en filigrane, comme une part constitutive des personnages du michiganais, ces derniers sont ébranlés entre les préceptes et les actions qui constituent leurs existences dans la foi. Il n’est dès lors pas très surprenant de le voir choisir en 2017 comme figure tutélaire de son Sur le Chemin de la Rédemption Ernst Toller, pasteur éprouvé dans sa foi par les sombres secrets qui infiltrent ses propres piliers moraux. Dans une certaine frontalité, habituelle chez le cinéaste, ce dernier creuse les rapports d’une société d’apparence Sainte-Nitouche gangrenée par une impersonnelle amoralité, au cœur d’un pays où la foi religieuse garde une place capitale dans la société

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Sur le Chemin de la Rédemption

Un an auparavant, de l’autre côté de l’Atlantique, le journaliste britannique Robert Harris sort dans les librairies anglo-saxonnes Conclave, un thriller fictif sur la réalisation houleuse d’un conclave, trois ans après l’élection du pape François. Conclave justement, adapté il y a quelques semaines par Edward Berger, et porté par un Ralph Fiennes, candidat affirmé à l’Oscar, traite aussi du rapport à la foi ébranlée, à une échelle plus internationale. Davantage conventionnel, adaptation fidèle de l’œuvre d’origine, Conclave évoque les conflits internes du cardinal Thomas Lawrence, qui doit confronter ses propres doutes à l’organisation d’un sulfureux conclave.

Si les deux œuvres présentent des différences de lieu, d’échelle, de genre et même de confession, elles présentent la volonté de questionner le rapport de l’Homme à la foi. Car en rappelant nos théologiens à leur propre nature de mortel, les deux films ouvrent les failles qui laissent place aux doutes. Le doute justement, Lawrence l’évoque par son opposé dans un long monologue, scène charnière de Conclave, où “la certitude est l’ennemi de l’unité”. Douter, c’est se remettre en question, c’est s’ouvrir aux erreurs qui nous entourent pour essayer de progresser. En critiquant ouvertement l’immobilisme des cultes, les confrontant à des thématiques actuelles amenées de manière plus ou moins alambiquées, les deux œuvres défendent une version libérale de la foi, obligeant les Églises à s’adapter pour survivre. 

Une survie, tel un instinct primaire, qui va être au cœur des quêtes des deux protagonistes principaux. Ethan Hawke et Ralph Fiennes, monolithiques et introspectifs, offrent dans leurs grandes prestations un sentiment d’urgence qui les contamine à mesure que les récits avancent. Deux êtres profondément solitaires dans leurs rôles collectifs, où l’on se questionne sur l’effacement de l’être au profit du bien commun, de plus en plus prononcé dans nos sociétés. Si l’un cherche à se reconstruire en choisissant une certaine radicalité, préférant redonner un sens à son existence par une action face à un culte qu’il trouve passif (mentalité peu surprenante aux Etats-Unis), l’autre s’efforce lui à enfin exister, découvrant son ego et ses limites pour retrouver une forme d’équilibre, dans une forme beaucoup plus passive, plus en adéquation avec une vision européenne de la sagesse dans l’âge.

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Conclave

Plus que la crise de foi de leurs protagonistes principaux, ce sont ici les cinéastes eux-mêmes qui s’interrogent sur la place de la foi dans nos sociétés. Dans sa recherche vertueuse du bien, le culte craint le plus les vagues ou toute forme de scandale, obstacle à leur apparente justice divine implacable. Dans une période de rupture, notamment avec les traditions, il n’est dès lors pas surprenant que les films interrogent sur la place à faire du Mal, et ce même dans la quête du Bien. En confrontant leurs protagonistes aux failles de leur système qu’ils idéalisent par leurs valeurs, les cinéastes interrogent sur cette vision sans défauts des figures, divines ou bien terrestres, qu’on confère aux religieux en oubliant qu’ils sont avant tout des êtres humains. La radicalité de Schrader ou l’universalisme de Berger nous interrogent alors : face à l’image ternie (pour ne pas dire plus) des figures du culte, quelle réaction doit-on avoir ? Doit-on s’effacer face à ces injustices, ou doit-on les affronter ? 

C’est dans le jusqu’au-boutisme néanmoins que Paul Schrader surpasse son confrère allemand. Car là où Sur le Chemin de la Rédemption assume son parti-pris et donne l’impression d’aller au bout de ses idées, Conclave lui est moins téméraire, noyant son potentiel dans une volonté de spectacle plus grand public, notamment sur le plan scénaristique. S’il n’est pas dénué de qualités, Conclave donne cette sensation d’édulcorer certaines de ses critiques, multipliant les combats en laissant dans leurs développements parfois un goût d’inachevé. C’est là sûrement la différence entre le bon et le grand, entre ces deux films aux sujets similaires ; il y a dans le film de 2017 ce supplément d’âme cinématographique qui le sublime, quand pèse sur son acolyte un cahier des charges que son metteur en scène, aussi talentueux soit-il, n’arrive pas à pleinement à se libérer pour aller plus loin que les performances de son interprète et son esthétique léchée. Peut-on cependant dire que Conclave est un échec ? Les enjeux, les échelles et les cibles ne sont point les mêmes ; et chacun d’eux aura divisé et fait douter au sein même des fidèles. En remettant sur le devant de la scène les débats du sexe, de la corruption ou de l’emprise, il choque pour ne pas faire oublier que l’Eglise est avant tout terrestre et possède aussi ses failles béantes. C’est bien là la preuve qu’il met le doigt sur des enjeux qui dépassent nos existences de simples mortels, plus ou moins sulfureux soient-ils, et qui ont encore leur place dans le débat public. Et c’est finalement là que réside leur victoire majeure ; car comme le disait le philosophe espagnol Miguel de Unamuno, “une foi qui ne doute pas est une foi morte”.

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