1954
de: Jacques Becker
avec: Jean Gabin, René Dary, Dora Doll
Allez on y retourne: à cette époque pas si loin où le nabab c’était le père Gabin. Et j’aime mieux vous dire qu’il était pas là pour se marrer le bonhomme. Oh non! Lui il était là pour foutre quelques taloches, endormir de l’oseille en barre et soulever de la gagneuse entre deux michetons, et au frais de la princesse s’il vous plaît. Ah là y avait des vrais tronches de cinoche, pas du jeunot à la mords-moi le nœud qui claque des genoux dès que ça se bastonne. Alors fermez la lourde a clé et frottez-vous bien les carreaux, parce qu’on part en balade dans le Paname des années 50.
Bon on s’excuse, on a pas le talent des dialoguistes de l’époque, mais ça nous démangeait un peu de s’essayer au vocabulaire parigot si chantant de l’époque. En parlant de dialogue, avouez qu’Albert Simonin pour les écrire et Jacques Becker pour les mettre en scène, on a connu pire. On évoque donc, quelques jours après avoir parlé de “Mélodie en sous-sol” un autre classique de Jean Gabin: “Touchez pas au grisbi”.
L’histoire elle est plutôt simple: quelques jours après avoir dérobé des lingots, Max (Jean Gabin) et Riton (René Dary) s’apprête à convertir tout ça en billets pour aller se mettre au vert. Mais Angelo (Lino Ventura), il l’entend pas de cette oreille et il va tout mettre en oeuvre pour mettre la main sur le pactole.
Un scénario plutôt simple, qui va à l’essentiel mais qui trouve quand même une vraie morale. L’affrontement entre Gabin et Ventura est franchement efficace. Dans une montée en régime progressive de tension, c’est deux visions opposées du gangster de l’époque qu’on retrouve. L’un droit dans ses bottes, qui planterait pas un ami dans le dos et qui est sacrément généreux: Gabin évidemment. Et en face, un Ventura bien plus perfide. Pour lui, quand on parle d’argent, tous les coups sont permis, amis ou pas il s’en moque.
En toile de fond, le Paris de l’époque, pas celui un peu chic de maintenant. Non, celui des canailles en tout genre et des bars miteux. Celui qu’on aime, un peu crade mais vivant. Le tour de force de “Touchez pas au grisbi” c’est de restituer la capitale française bien plus par le verbe que par le visuel. On voit bien quelques pâtés de maisons typiquement parisiens, mais c’est avant tout avec l’argot de l’époque qu’on s’immerge dans cette ambiance. On vous le redit, Simonin aux dialogues c’est pas rien.
« J’aime mieux dire que l’addition c’est pas pour moi. »
Et puis le Jean Gabin de l’époque, c’est du lourd aussi. Une stature hors-norme que le cinéma français n’a sans doute jamais retrouvé. À l’écran, il en impose dans ses costumes bien taillés de bandit de haut vol. Il est pas là pour rigoler, quitte à distribuer quelques taloches quand ça lui chante, notamment à une toute jeune Jeanne Moreau. C’est presque comme si le mot “charisme” était inventé pour lui.
Derrière, Jacques Becker n’a presque plus qu’à dérouler pour que le film devienne chef-d’œuvre. Enfin, c’est facile à dire et sans doute plus complexe à faire: cette histoire qu’on ne voit pas passer tellement sa réalisation est sobre mais efficace, il faut reconnaître que c’est aussi grâce à lui qu’elle coule tranquillement. Pour appuyer des personnages qui en imposent, à l’époque du noir et blanc, il va sublimer le tout par des jeux de contraste et d’ombres extrêmement subtils mais diablement efficaces. Le tout, il le ponctue par des virgules auditives: un thème musical simple et agréable qui reste en tête même après la séance.
À se demander pourquoi le cinéma français a perdu ce savoir-faire. Merde! Pourquoi on arrive plus à produire ce genre de films dont on était les maîtres? Appelez ça de la nostalgie si ça vous chante, mais en contrepartie trouvez-nous un exemple récent de film de gangster où les personnages sont aussi magnifiques d’envergure, où les joutes verbales sont aussi hautement maîtrisées, et où on n’a pas besoin de pétarades gratuites dans tous les sens pendant 2 heures pour être complètement emportés par le long-métrage. Allez-y, trouvez, on attend!
Le film français qu’on aime, il est résumé en 1h30 par “Touchez pas au grisbi”. Des vraies gueules de cinéma au charisme incroyablement puissant, pas des jeunots aseptisés, et des dialogues tellement savoureux qu’on aimerait les entendre à nouveau dans les productions actuelles. Incontournable.