Tastr Time: Onibaba, les tueuses

(Onibaba)

1964

réalisé par: Kaneto Shindo

avec: Nobuko OtowaJitsuko YoshimuraKei Sato

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Onibaba, les tueuses” de Kaneto Shindo.

Le Japon, peut-être davantage que n’importe quel autre pays, tend à proposer des films aux concepts uniques et presque impossibles à ranger dans une case précise. Si dans notre petit coin d’internet nous avons régulierement évoqué avec passion le cinéma du maître Kurosawa, nous avons également fait quelques incursions dans l’esprit plus bizzaroïde du septième art nippon, avec par exemple “R100” et sa folie douce ou encore “La femme des sables” et son concept minimaliste. “Onibaba, les tueuses” se rapproche sans conteste de ce dernier avec son contexte simple et rapidement posé qui va servir de moteur à la narration.

Au temps du Japon féodal, une vieille femme et sa belle fille survivent tant bien que mal au chaos de la guerre qui frappe leur pays. Pour subvenir à leurs besoins, elles tuent les combattants qui se sont égarés près de chez elles, jettent leur corps dans un gigantesque trou et revendent leurs armures et leurs armes à un receleur local. Le jour où un voisin rentre du front et leur annonce la mort du fils et époux de nos héroïnes, une attirance malsaine va se nouer entre cet homme et la nouvelle veuve, provoquant la colère de l’ancêtre.

Sous couvert de chronique d’une population poussée dans ses derniers retranchements par les guerres incessantes, “Onibaba, les tueuses” se rapprocherait finalement plus d’une sorte de conte philosophique. Tout est très imagé dans le long-métrage et exige du spectateur un certain recul sur l’œuvre qu’il contemple. Le plaisir vient de l’interprétation que l’on se fait de la pellicule et il convient d’être aguerri à ce genre d’exercice pour savourer le film. En réduisant ses protagonistes principaux au rang de survivants presque devenus animaux, le cinéaste Kaneto Shindo amplifie les émotions et les ressentis.

« Bouh »

Alors de quoi traite-t-on dans ce second niveau de lecture? D’une manière très franche, “Onibaba, les tueuses” va théoriser autour de la convoitise et de l’attachement dans son aspect le plus vicieux. En se disputant les faveurs de la plus jeune femme, l’homme et la vieille dame cherche avant tout à satisfaire leurs besoins primaires, l’un pour combler son appétit sexuel, l’autre pour ne pas vivre seule et dépérir. Notre œuvre du jour est d’un fatalisme total sur la condition de l’être humain: “Onibaba, les tueuses” est un film rugueux qui n’embellit pas son message.

Ce sentiment de long-métrage presque acide est totalement porté par un montage très haché, au rythme soutenu. La cadence des images prend à la gorge et Kaneto Shindo propose parfois sans ménagement des instantanés sur les visages grimaçants de ses héros. Une façon de procéder adaptée à l’esprit du film mais qui divisera sans doute le public: les plus sensibles pourraient se sentir agressés par “Onibaba, les tueuses” et se braquer, mais c’est sans doute l’envie de l’auteur.

Autre élément qui ne fera pas l’unanimité, cette récurrence de plans sur les hautes herbes qui encerclent l’habitat des deux héroïnes. Shindo se repose très régulièrement dessus, sans doute trop pour ne pas paraître un peu répétitif. Bien sûr, quelques prises de vues sur cette nature qui noie les personnages sont d’une beauté absolue mais on sent qu’à d’autres moments, Shindo fait un peu de remplissage.

Mais ce processus participe à une entreprise plus large. En inondant ainsi son image, le cinéaste appuie encore un peu plus la marginalisation des deux femmes. “Onibaba, les tueuses” parle du “bas peuple”, des oubliés, de ceux que les puissants écrasent sans ménagement. Pour peu, Shindo paraît presque anarchiste dans sa démarche et dans son message.

Histoire d’en rajouter encore un peu, le réalisateur va réduire à néant la pudeur de ses protagonistes. On refuse presque à ces tristes héroïnes leur corps, multipliant les scènes où leurs carcasses décharnées flottent dans des vêtements en haillons. La vie humaine n’a plus vraiment de valeur dans le film, seule la survie comme un sentiment bestial résiste.

Il faut faire un véritable effort pour se plonger dans “Onibaba, les tueuses” et il est aussi indéniable que compréhensible que certains restent froids. Pour les autres, le film creuse un message intriguant sur nos instincts primaires.

Nicolas Marquis

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