Tastr Time: Jeux dangereux

(To Be or Not to Be)

1942

réalisé par: Ernst Lubitsch

avec: Carole LombardJack BennyRobert Stack

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Jeux dangereux” de Ernst Lubitsch.

Alors que le souvenir de la 5ème édition du festival “Vision d’Histoire” que nous avons tenté de couvrir le plus activement possible est encore frais dans nos mémoires, le Tastr Time de cette semaine semble y faire écho, nous offrant une sorte de conclusion cinématographique sympathique. Car cette fois encore, il va être question de Seconde Guerre mondiale et des troubles du siècle passé. “Jeux dangereux” c’est l’histoire d’une troupe de théâtre de Varsovie, qui va subir de plein fouet l’occupation nazie et qui par un concours de circonstances abracadabrantesques va se retrouver au coeur de la résistance.

Mais ne tirez pas une morne figure: le film d’Ernst Lubitsch est une pure comédie, et une de celles qui ont un courage démentiel. Sorti en 1942, le film n’hésite pas une seconde à tourner en ridicule les nazis sans jamais verser dans le mauvais goût. Même avec les gags les plus légers (comme celui de la récurrence du salut nazi que “Jojo Rabbit” empruntera des années plus tard), le long-métrage ne tombe jamais dans un humour déplacé. Un véritable tour de force qu’on doit essentiellement à la mise en scène.

En effet, Ernst Lubitsch va se faire d’apparence discrète visuellement: sa caméra sert essentiellement à magnifier ses acteurs, leur offrant la place principale sans jamais empiéter sur leur performance collective. C’est d’ailleurs cette notion d’équipe qui séduit: certes, certains ont une place plus importante que d’autres dans la logique du récit mais il se dégage une cohésion franchement séduisante dans ce casting soudé.

« Pas franchement le déguisement d’Halloween le plus intelligent. »

Mais si le réalisateur n’affirme pas de grands effets de manche visuels, il va faire preuve d’une maîtrise absolue dans la direction de ses acteurs. Le débit de dialogue est soutenu, ne laissant pas une seule seconde de répit aux spectateurs dans une effusion de dialogues tranchants et hilarants. Les portes claquent, les répliques fusent, les situations cocasses s’enchaînent: Ernst Lubitsch est très théâtral dans son approche et offre un film rempli de ludisme.

Le plus grand tour de force de l’oeuvre est probablement dans l’universalité du rire qu’elle provoque. Derrière le devoir de se moquer des plus horribles tyrans, une tradition du septième art, il y a l’intention de toucher tous les spectateurs. Des cinéphiles exigeants jusqu’au public plus large, tous sont concernés par le long-métrage, tous se laissent séduire, tous explosent d’un rire sincère et communicatif. Grâce au courage des auteurs, on met une fois de plus en perspective les pires contradictions d’un régime despotique.

Mais il n’y a pas que de la légèreté dans “Jeux dangereux”: derrière les sourires, il y a aussi une réflexion plus poussée mais avancée avec beaucoup de naturel. Au plus léger, il y a l’idée, alors que les personnages se déguisent en nazis, qu’on est jamais qu’à un uniforme près du despotisme. Régulièrement, un protagoniste va s’affirmer d’une manière un peu autoritaire à la faveur de ce sinistre accoutrement.

Mais la thèse motrice de l’œuvre réside dans l’opposition entre l’art et la tyrannie. On se laisse complètement séduire par cette proposition fantasque que face aux affreux, les artistes ont un rôle de résistant à jouer. “Jeux dangereux” se place ainsi dans une lignée imposante de films qui ont dénoncé avant tout le monde les horreurs d’Hitler. Que ce soit à l’écran ou derrière la caméra, il y a une notion de courage fantastique dans l’œuvre d’Ernst Lubitsch qui apostrophe le public: riez! Face au pire, riez! L’art est un acte de rébellion et l’humour est une arme fantastique.

On ne cite que trop rarement “Jeux dangereux” dans les œuvres qui ont su faire preuve de courage face à l’Histoire. Découvrez ce film merveilleux, au rire plus fin qu’il n’y paraît, c’est un devoir de cinéphile!

Nicolas Marquis

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