Tastr Time: Hunger

2008

réalisé par: Steve McQueen

avec: Michael FassbenderStuart GrahamLaine Megaw

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Hunger” de Steve McQueen.

Alors que ces jours-ci on égrène un à un les films sélectionnés pour le festival “Vision d’Histoire” de Verdun, le hasard du Tastr Time y ferait presque écho. En nous proposant un long-métrage inspiré de faits réels, comme il est coutume de dire, on plonge là aussi dans l’Histoire tourmentée du 20ème siècle. Mais cette fois, le cadre change: “Hunger” de Steve McQueen nous immerge dans les prisons d’Irlande du nord, en 1981. Au plus fort des tensions entre les indépendantistes et le gouvernement anglais, une horrible grève de l’hygiène s’organise dans les cellules et se transformera à terme en grève de la faim, mené notamment par Bobby Sands (Michael Fassbender).

Au coeur d’“Hunger”, Steve McQueen théorise un sentiment simple qui transcende le simple cadre politique. Il affirme à travers une mise en images parfois dure à soutenir la détermination d’une poignée d’hommes, galvanisés par les enjeux de leur combat, sûrs de leurs faits. Le film n’est pas réellement un hommage aux luttes politiques mais davantage une réflexion autour du renoncement de soi, l’abandon de sa propre vie pour écrire l’Histoire.

À l’évidence, cette idée se traduit par une négation du corps: tous ces manifestants abandonnent leur dignité physique alors que leurs cellules sont maculées d’excréments dans un premier temps, mais aussi à partir du moment où la grève de la faim marque leur corps devenu décharné et de plus en plus défaillant médicalement. Steve McQueen affirme un status quo aussi affreux que courageux: l’idée prime sur l’individu.

Dans sa démonstration, il est épaulé par un Michael Fassbender complètement démentiel, signant l’une de ses toutes meilleures prestations. Il y a d’abord sa transformation physique totalement saisissante alors que sa silhouette s’amaigrit. Il faut une sacrée dose de courage pour s’infliger de tels sévices pour un simple rôle.

« Manque plus que le café. »

Mais on ne peut pas réduire sa partition à sa simple apparence. Dans la scène pivot du film, un dialogue entre Bobby Sands et un homme d’église, tout le talent d’acteur de Fassbender va éclabousser la pellicule. Une scène où les rapports de force s’inversent perpétuellement alors que l’acteur défie le divin. Un combat verbal de chaque instant jusqu’à ce que le comédien se lance dans un monologue brillamment écrit, véritable uppercut verbal qui affirme toute la mentalité du film.

La lutte n’est pas que physique dans “Hunger”, elle est aussi affective. Les scènes de parloir, censées être des respirations pour les prisonniers, ne sont en fait que des excuses pour passer en douce des mots des leaders de la lutte indépendantiste et du matériel divers. Ces hommes vont jusqu’à s’interdire la compassion de leurs proches, toujours transcendés par leur combat. C’est sans doute plus subtil que les images des différentes grèves, mais Steve McQueen maintient ainsi le spectateur la tête sous l’eau.

Sa mise en scène fait écho à cette état de fait. Le cinéaste va s’inscrire dans une démarche de “cinéma vérité” en proposant des cadres rectilignes, le plus souvent fixes, faisant de la caméra un simple témoin des luttes politiques et humaines. Une volonté de sobriété qu’on retrouve aussi dans un autre parti-pris: celui d’exclure quasiment totalement la musique au film, se contentant de sons normaux, sans enrobage factice.

En 1h30, “Hunger” propose d’une part une performance d’acteurs saisissante, mais également un message philosophique d’une profondeur titanesque en se contentant de se faire témoin des événements. Un véritable modèle rempli de sobriété.

Nicolas Marquis

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