2021
Réalisé par: Darius Marder
Avec: Riz Ahmed, Olivia Cooke, Paul Raci
Les handicaps physiques et le cinéma entretiennent une curieuse relation d’amour et de haine. Peut-être parce que le drame de la vie de ceux qui souffrent au quotidien ne saurait tolérer le moindre écart de justesse, on navigue souvent entre mauvais goût et formule préétablie dans un registre qu’on pensait jusqu’à maintenant balisé. Quand en plus c’est la privation d’un sens, comme c’est le cas de l’ouïe dans “Sound of Metal”, qui est exposée, on craint de voir caricaturée une population déjà marginalisée dans notre société. La tâche est complexe mais toutefois possible à accomplir pour qui sait faire preuve de courage artistique: Darius Marder et son équipe ne manquent justement pas d’audace et ensemble, ils vont totalement épouser ce défi. On parcourt ensemble une œuvre au ton unique et au savoir-faire épatant.
Dans “Sound of Metal”, le public va pouvoir suivre le cheminement de Ruben (Riz Ahmed), un batteur de rock frappé de surdité du jour au lendemain. Obligé de mettre entre parenthèses sa carrière, Ruben va “apprendre à être sourd” au sein d’une structure spécialisée. Mais l’isolement pèse sur notre héros qui se morfond loin de sa moitié, Lou (Olivia Cooke). Pour la rejoindre au plus vite, Ruben va envisager des implants de dernière génération qui vont à l’encontre des principes prônés par son centre éducatif.
Dès l’installation de sa problématique, Darius Marder, qui signe également le scénario en compagnie de son frère, va faire preuve de panache. Le mal qui frappe Ruben ne le gagne pas progressivement mais vient plutôt s’abattre sur lui sèchement, avec violence et une pointe d’injustice. Pas question pour le réalisateur de sombrer dans une simple mise en images de la surdité, c’est davantage ici l’ambition de délivrer un coup de poing qui s’affirme, et ce dès les premiers instants. Un ton bien particulier aux accents de choc qui fait le charme de l’œuvre.
Une véritable nécessité dans la narration qui viendra porter une première moitié peut-être un peu convenue, sans grande prise de risque mais qui établit efficacement les axes de réflexion. C’est une fois cette portion digérée qu’on se laisse délicieusement piéger par “Sound of Metal”, que le long métrage de Darius Marder va trouver de la nuance et de l’équilibre grâce à un sens aigu de la retenue qui laisse la proposition germer chez chacun sans forcer le trait. “Sound of Metal” refuse l’autoflagellation et la quête du remède miracle et c’est en délaissant ces pistes maintes fois éprouvées au cinéma que la pellicule rayonne.
« OK Riz! »
Toujours rester centrés, ne pas s’éparpiller mais simplement offrir du contexte: c’est aussi le mot d’ordre auquel Darius Marder semble se tenir en construisant son personnage. Ruben est un ancien accro à l’héroïne, cela le film nous le dit clairement mais pourtant, jamais le réalisateur ne va plonger dans cette thématique, la laissant simplement être là comme un élément de l’histoire du héros mais qui n’est pas fondamentale à l’instant T. Une façon maline d’étoffer les protagonistes du film mais qui laisse surtout de la place pour amener une nouvelle idée, celle que Ruben est avant tout dépendant de la musique et de Lou et que la privation le rend fou.
C’est presque un deuil que l’infortuné batteur doit affronter, le souvenir de la vie d’avant qui s’évanouit alors que le personnage de Riz Ahmed doit apprendre des nouveaux codes, ceux du langage des signes. Darius Marder va intelligemment nous identifier à Ruben au détour de quelques séquences où tout le monde communique avec ses mains autour de lui: livrées sans sous-titres pour volontairement perdre le spectateur, le cinéaste cherche à émuler la solitude et la détresse des malentendants en nous mettant dans une situation symétrique. En séance de questions-réponses, Darius Marder disait:
“Pour une fois, les personnes entendantes sont la minorité, comme Ruben. C’est une expérience fascinante car les personnes entendantes luttent vraiment avec ce sentiment, elles se demandent: “Pourquoi je ne sais pas ça?”. Or, c’est ce que vivent les personnes sourdes tous les jours.”
Darius Marder
Privé de ce qui définissait son existence jusqu’ici, le besoin de s’exprimer autrement est au centre des motivations de Ruben. D’abord réticent, il apprend ensuite le langage des signes rapidement pour pouvoir à nouveau échanger avec les autres. La musique trouve même sa place dans ce monde de silence à travers les vibrations d’un tambour ou celles d’un piano. Ruben est un homme en reconstruction qui à besoin de hurler à la face du monde et qui va devoir le faire sans son audition.
Riz Ahmed s’impose avec talent dans la peau de celui qui a tout du anti-héros tant il semble parfois fragile. En équilibre parfait entre prestation bestiale et introspection prononcée, l’acteur est en symbiose parfaite avec son réalisateur qui utilise toute la palette de l’immersion. Riz Ahmed est la clé de voûte du récit et le long métrage nous emmène aussi loin qu’on se laissera porter par l’interprète. Toujours dans la même séance de Q&A, c’est cette fois à notre question que Riz Ahmed a bien voulu répondre et on l’a interrogé sur la justesse de son jeu.
“C’est amusant de parler d’équilibre car nous pensions avec Darius que le déséquilibre que ressentait Ruben était beaucoup plus effrayant, mais aussi plus libérateur. Je pense vraiment qu’à chaque fois que l’on choisit un rôle, on apprend en tant qu’acteur la même chose que le personnage apprend.”
Riz Ahmed
Puis en dernier point, peut être le plus important: le traitement du son dans le film. Véritable bijou du genre, “Sound of Metal” confine au chef-d’œuvre lorsque son ingénieur du son oscarisé Nicolas Becker joue de sonorités distordues, étouffées, saturées, ou bien lorsqu’il propose différent degré dans l’appréciation du silence. Le technicien français redouble d’ingéniosité et délimite la frontière entre le monde des sourds et celui des personnes entendantes. Dévoué à son challenge, c’est peut être lui qui définit le mieux la portée de son travail:
“Peu de films ont été basés sur le son…Pour moi c’est incroyable d’avoir la chance une fois dans ma vie de participer à un tel projet. Le son peut être un élément de narration.”
Nicolas Becker
“Sound of Metal” en est la preuve.
« Sound of Metal » est distribué par Amazon
C’est une belle réunion de talent que nous propose “Sound of Metal”. Un vibrant exemple d’effort artistique collectif pour venir s’attarder sur une question de société vécue à l’échelle intime.
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