2007
réalisé par: Jeff Nichols
avec: Michael Shannon, Douglas Ligon, Barlow Jacobs
De larges étendues de terres cultivées qu’un fleuve serpente, des maisonnettes qui semblent faites de matériaux de fortune et ses habitants, travailleurs manuels pour la plupart, qui croquent le rêve américain dans ce qu’il a de plus humble: l’Arkansas est l’un de ces endroits qui paraissent familiers sans jamais y avoir mis les pieds. Même s’il n’est pas toujours nommé, on a vécu des centaines d’histoires différentes là-bas, et on y replonge volontiers avec “Shotgun Stories”.
Une histoire de rivalité entre deux familles qui partagent un lien commun fort: le père. D’un côté, ceux que l’on suit en quasi-permanence, les “héros”. Trois frères issus d’un premier mariage nommés d’une façon tragiquement inhumaine: Son, Boy et Kid, comme si leurs personnalités leur étaient aliénées dès la naissance. D’un autre côté, ceux qui sont issus d’un deuxième mariage, les antagonistes. Ayant eu le bonheur de naître d’une autre mère après que le paternel se soit résolu à abandonner les turpitudes qui le maintenaient dans un rôle de tortionnaire. À la mort de leur ascendant commun, ces deux fratries vont s’opposer, se télescoper, exploser l’une contre l’autre dans une escalade de violence qui semble inéluctable.
Dans cette espèce de “Règlement de compte à O.K. Coral” moderne se détachent des personnages attachants. Son, Boy et Kid ont chacun leur petit défaut, leur petit truc qui les rend unique. Une vraie réussite d’écriture sur ce point: ils sont tangibles, inscrits dans le réel, à mille lieux du héros habituel. Une bonne partie de la réussite du film repose sur l’affection qu’on leur porte.
Derrière Michael Shannon, pour citer l’acteur le plus connu et celui qui campe le personnage principal, c’est tout un casting qui semble aller dans la même direction. Leur talent est inégal mais leur démarche sincère. On les imagine sans mal, on s’y attache volontiers, on vit avec eux et on souffre avec eux.
« Bougez pas, on arrive! »
Le problème, c’est qu’ils interagissent plutôt mal ensemble. Pris individuellement, on peut savourer leurs différences mais lorsqu’ils doivent se confronter, le film devient plus laborieux, comme alourdi. L’explication, elle est assez simple et malheureusement elle est un point capital du film: le père.
On ne le voit jamais à l’écran (l’histoire débute à sa mort qui est le déclencheur des événements) et on a bien du mal à admettre un tel personnage pourtant fatalement omniprésent dans les échanges verbaux. Le gap social est tel entre la pauvreté incontournable de Son, Boy et Kid et la petite bourgeoisie affichée par sa “nouvelle” famille que ce père absent est compliqué à imaginer. Il dénote. On comprend que le film veut confronter deux Amériques très différentes, justement pour mettre en évidence leurs disparités, mais le long-métrage le fait en utilisant une excuse difficilement recevable.
Et ces longues scènes lancinantes sur les frères qui s’affairent à leur travail, très manuel, ou ces panoramas sur les paysages de l’Arkansas n’aident pas. Le film sent un peu trop “Sundance” pour être complètement honnête. C’est toute une grammaire du cinéma indépendant américain qu’épouse “Shotgun Stories”. Comme une bonne paire de chaussons, on aime s’y retrouver mais l’originalité n’est pas franchement là.
Dommage car dans ses dialogues et sa sincérité, au moins dans la démarche, le film affirmait un ton et une identité bien à lui. Pas de quoi réinventer le cinéma mais il existe en “Shotgun Stories” une espèce de bienveillance agréable pour ces personnages que l’on partage volontiers. Une bienveillance dans l’écriture et dans la mise en scène qui offre une dose d’originalité plus que nécessaire au long-métrage.
L’histoire de “Shotgun Stories” sent un peu le déjà-vu et passe par des raccourcis gênants pour étaler son propos. Mais la qualité d’interprétation et une forme d’affection sincère pour ses personnages assurent un moment plutôt agréable.