(Letyat zhuravli)
1957
réalisé par: Mikhail Kalatozov
avec: Tatyana Samoylova, Aleksey Batalov, Vasiliy Merkurev
Suivant les pays, les manuels d’Histoire sont souvent bien différents. Ce qui se résume en quelques lignes chez nous remplit des chapitres entiers ailleurs. Pour notre exemple du jour, le front de l’Est pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que les Alliés progressent à l’ouest, les russes renversent aussi le rapport de force, mais au prix de sacrifices humains innombrables. Pour aider à approfondir ce que les livres scolaires survolent, le cinéma est un outil de choix. Venu de partout, il revêt fatalement les pires anxiétés de tous pays venus.
C’est le cas de “Quand passent les cigogne” de Mikhail Kalatozov. La chronique brute d’une famille russe en pleine guerre. Alors que les fils partent pour le front, les amours se brisent, les rapport se tendent et les liens familiaux se déchirent alors que le monde autour d’eux devient fou. Tout au milieu de ce chaos, l’histoire d’amour entre Boris (Aleksey Batalov) qui part pour le front et Veronika (Tatyana Samoïlova) qui est contrainte à l’attente anxiogène.
Un cadre différent mais une histoire déjà vécue au cinéma. Le cercle familial qui explose en même temps que les obus semble avoir été souvent décrit dans le monde du septième art. Pourtant, c’est toujours diablement intéressant de voir un véritable auteur en donner sa version. Ici, la vision du réalisateur est d’une modernité franchement incroyable pour l’époque.
Il y a cette maîtrise des contrastes qui vient immédiatement en tête. Simplement en inclinant leurs visages, l’ensemble du casting vient chercher une lumière différente qui fait souvent sens dans les situations vécues. Un code simple, compréhensible par tous et efficace à chaque coup.
Le montage est lui plus traînant. “Quand passent les cigognes” reste un film des années 50, avec tout ce que les habitudes de l’époque impliquent. Si les acteurs sont saisissants, le long-métrage les contraint parfois un peu à déclamer de longs monologues avec peu de naturel.
« Pas dans l’escalier, c’est dangereux! »
Heureusement, chacun de ces passages un peu étiré est contrebalancé par une modernité totale dans certaine prises de vue. De longs plans séquences où Veronika se fraye un chemin dans la foule viennent griffer la pellicule et adresser un uppercut puissant chez les plus cinéphiles. Kalatozov fait preuve de génie dans la forme comme dans l’interprétation.
Milles idées fabuleuses constellent le film. Un exemple concret: alors que les bombes s’abattent sur la ville, un personnage joue inlassablement du piano pour tenter de couvrir les bruits d’explosions et des cris, tel un forcené. Ce genre de symbole saisissant fourmille.
Puis vient le temps de prendre du recul sur le message de l’œuvre. Un véritable appel à la remise en cause des luttes armées, “Quand passent les cigognes” est une invitation au pacifisme. Il met en évidence que dans les jeux de guerre des puissants, les premières victimes sont toujours ceux qui vivent au bas de l’échelle sociale. Sans remettre en cause le bien fondé de la Seconde Guerre mondiale, le film réussit à nous faire entendre son appel à la non-violence.
Mais la pellicule n’oublie pas l’après. Ces familles déchirées se recomposent autant que possible, souvent de manière pataude. Les orphelins rencontrent les parents qui ont perdu leurs enfants, les amants endeuillés se confrontent, s’essayent à vivre une nouvelle vie. Mais toujours plane sur le récit le spectre des morts, sous-entendu, qui reviennent inlassablement hanter les survivants de l’infâme.
« Quand passent les cigognes » est distribué par Potemkine.
“Quand passent les cigognes” est une œuvre dense et complexe, où le fond et la forme sont d’égale importance pour saisir toutes les subtilités du film.
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