2020
réalisé par: Brandon Cronenberg
avec: Andrea Riseborough, Christopher Abbott, Jennifer Jason Leigh
D’ordinaire, ce n’est qu’à quelques kilomètres des Réfracteurs que se tient le mythique “Festival du film fantastique de Gérardmer », mais cette année n’est comme nulle autre et c’est cette fois en ligne, accessible à tous ceux qui auront acheté leur précieux sésame, que se déroulera cette nouvelle édition. Une occasion unique de découvrir quelques films assez attendus comme “La nuée”, “Teddy” ou encore le dernier Ghibli. Au milieu des cadors, un long-métrage commence à faire doucement parler de lui: “Possessor”. Dernière réalisation de Brandon Cronenberg, fils du grand génie du cinéma, notamment de SF, David Cronenberg, cette nouvelle proposition nous invite à suivre le parcours de Tasya Vos (Andrea Riseborough, notamment accompagnée par Sean Bean et Jennifer Jason Leigh), une tueuse à gages qui utilise une technologie unique pour accomplir ses missions: un appareil qui lui permet de prendre possession du corps de n’importe qui pour parvenir à ses fins. Mais cette ultime mission va s’avérer être sans doute celle de trop alors que la jeune femme a du mal à garder son emprise sur la réalité.
Comme son virtuose de papa avant lui, Brandon Cronenberg va donc jouer la carte de techno-thriller légèrement hypnotique sur les bords pour offrir une œuvre relativement singulière dans le paysage actuel. Si on pourrait presque penser à “Inception” dans le principe, “Possessor” garde perpétuellement un côté original dans sa démarche qui le rend unique et ludique. Une originalité scénaristique et une vraie bonne idée motrice à laquelle la réalisation du cinéaste va faire écho.
L’aspect cybernétique de la pellicule va ainsi être contrebalancé dans le visuel par une envie toujours présente de trouver de “l’humain” dans ce monde froid. On transpire, on pleure et le sang gicle dans “Possessor”, quitte à offrir quelques séquences un peu dures par moment. Brandon Cronenberg réussit à unir robotique et organique avec un certain aplomb. Un parti pris qui se ressent également dans ses choix de cadrage, toujours très proches des protagonistes, presque à portée de main.
Une réalisation qui va indéniablement braquer certains: “Possessor” est presque volontairement irritant, il ne s’excuse pas une seule seconde du mal qu’il peut vous faire, il le revendique même. Son montage par exemple est sec, acide, rugueux comme la fraise d’un dentiste qui vient percuter vos dents. On nage dans un sentiment d’inconfort déroutant qu’il faut réussir à digérer pour en apprécier la pertinence.
« Binoclard »
Brandon Cronenberg va en fait brouiller les repères scénaristiques et visuels pour nous renvoyer seuls face à nous-mêmes. Sans véritable prise sur le film, on se retrouve confronté à de grandes questions sur l’identité qui habite “Possessor” et on affine notre réponse personnelle. Avec son côté gore, le long-métrage exacerbe les émotions et nous renvoie à notre condition d’humain. C’est presque la limite entre le corps et l’âme que dessine l’œuvre.
Et c’est pourtant avec beaucoup de naturel que “Possessor” convoque ces problématiques. L’ovni de Brandon Cronenberg va chercher de la profondeur sans jamais oublier d’être également un thriller haletant. On ne concède rien gratuitement à la complexité dans l’écriture mais on réussit à inviter l’intellectuel à ce mélange délicat sans entacher le plaisir primaire de visionnage. “Possessor” possède de multiples niveaux de lecture assez clairs.
Le réalisateur va en plus affirmer une belle notion des lignes que décrivent les bâtiments de ses décors. La photo de “Possessor” apparaît particulièrement bonne et pertinente, enfermant parfois les personnages, les délivrant à d’autres moments, avec toujours cette notion intrigante de continuité entre les plans de l’image.
Alors certes, le film du fiston Cronenberg est bien loin d’être parfait, c’est incontestable. À plus d’un recoin de l’histoire, le film se prend un peu les pieds dans le tapis, laissant poindre de petites incohérences ou maladresses qui entachent le tout, mais soyons de bonne humeur collectivement pour une fois! “Possessor” représente assez bien ce que la science-fiction actuelle peut offrir de plus réfléchi.
“Possessor” s’adresse à un public bien particulier, amateur du genre, mais une fois sa niche trouvée, le film réussit à se faire sa place dans l’affect collectif.