(Ludwig)
1973
réalisé par: Luchino Visconti
avec: Helmut Berger, Romy Schneider, Trevor Howard
Avant “Game of Thrones”, il y avait Visconti. Bon ok, on en rajoute pas mal mais pourtant, le cinéaste italien a réfléchi ses personnages et les a inscrits dans l’Histoire. Enlever les dragons du show télé et les jeux de puissants qui sont légion dans le show de HBO rappellent ceux que se livrent les héros du réalisateur culte. De pied en cape, tous les éléments du scénario deviennent des pistes de réflexion philosophique d’une complexité et d’une élégance totale. Alors on va pas vous mentir, en retirant les batailles titanesques et en les remplaçant par des monologues, “Ludwig” ne plaira pas aux plus obtus des fans de “Game of Thrones” bien évidement, mais pour ce qui est des intrigues politiques, on peut causer les yeux dans les yeux.
Dans cette pellicule, Visconti nous propose une évocation du roi Ludwig (Helmut Berger), qui occupa le trône de Bavière à la fin du 19ème siècle. Esseulé et prisonnier des exigences de son rang, il tente de vivre sa vie mais se confronte inlassablement aux conventions et aux responsabilités.
Sans aucune surprise, Visconti fait preuve d’un talent sans pareil dans sa mise en image. La conjugaison de ces acteurs costumés et de ces décors d’époque donne l’impression d’être devant un tableau de maître. Le cinéaste s’inscrit dans une continuité artistique certaine, propre à l’Italie. Il réfléchit avant, conçoit ensuite, et filme enfin comme un véritable orfèvre de la mise en plans.
Plus étonnant, le traitement du contenu de l’oeuvre. Si on reviendra sur les thèses que développe Visconti, il convient de vous prévenir avant d’aller plus loin: le cinéma du réalisateur italien est affreusement verbeux. Même nous qui ne sommes pas les derniers à savourer une bonne prise de tête existentielle, on est souvent dérouté par la philo de comptoir qu’amène “Ludwig”. On ne peut pas lui faire de procès d’intention sur le fond, simplement regretter sa forme pataude.
Un écueil qui pénalise forcément la prestation d’Helmut Berger. Obligé de sortir les rames, il s’enlise à chaque minute un peu plus dans ce rôle de décomposition total jusqu’à en faire trop. Le roi Ludwig apparaît comme un monarque à l’agonie qui ne cesserait de franchir des paliers vers plus de souffrance: un rien barbant.
« On est classe ou on l’est pas! »
Ce côté too much s’explique peut-être par la forme de l’oeuvre. Proche d’une fable ou du moins d’un conte moral, le film impose fatalement des personnages à la psychée tranchée pour dérouler son propos. Ce qui exacerbe un peu les performances ne sort pas de nulle part mais est plutôt la conséquence d’une grammaire qui appelle à plus de caricature. Admettons-le donc.
Une fois cela fait, on peut mieux savourer la leçon qu’administre Visconti. On réfléchit ici à la fin d’une lignée, celle où le dernier descendant tente de régner alors que le pouvoir ne lui échoue plus vraiment. Toujours contraint aux pires efforts pour s’entourer de gens qu’il admire, il est sans cesse trahi ou esclave des conventions qui l’empêchent d’accéder à sa seule aspiration: simplement vivre avec des gens qu’il aime.
Devant cette impossibilité, la trajectoire de Ludwig est forcément logique. Ce monarque aux abois va subir une lente et douloureuse descente aux enfers qui le mène vers la solitude et la perte de ses pouvoirs politiques. Une façon d’extirper une foule de morales dans l’oeuvre: sans les bonnes personnes autour de soi, un dirigeant ne saurait régner par exemple. Ou encore que la quête de l’élévation spirituelle n’a rien à voir avec celle du pouvoir.
Il est là le crépuscule des dieux, dans la fin de cette lignée monarchique qui est devenue esclave de son époque. Le roi n’est plus tout puissant mais doit répondre de ses agissements. Les rumeurs le fragilisent et il ne peut transgresser les codes en toute impunité. Chacune des actions de Ludwig est scrutée par son peuple et souvent tournée en ridicule par les on-dit.
De quoi étendre le propos: les exigences des plus hauts rangs politiques sont-elles humaines? Un dirigeant peut-il satisfaire le peuple ou est-il condamné à n’être qu’un bouc émissaire? Certes, les revendications du peuple apparaissent légitimes mais le roi ne semble tout simplement pas avoir les moyens d’y répondre. “Ludwig” invite à remettre en perspective une interrogation simple: “Qui est responsable de son destin? Et qui peut vivre pleinement en ne cherchant qu’à satisfaire l’autre?
On peut pas vraiment vous dire que “Ludwig” n’est pas pompeux. Par nature, notamment à cause de sa durée, on réservera le long-métrage à ceux qui connaissent déjà Visconti et son style traînant. Mais “Ludwig” ne manque pas de fond pour celui qui réussit à le trouver.