(Namsanui bujangdeul)
2020
réalisé par: Woo Min-ho
avec: Lee Byung-Hun, Lee Sung-Min, Kwak Do-Won
La Corée du Sud regarde son histoire en face: “The President’s Last Bang”, “1987: When the Day Comes”, “A Taxi Driver”… Autant de films qui ressassent le passé sanglant du pays au siècle dernier. La péninsule a besoin de raconter pour guérir les blessures. Une démarche saluable et un devoir de mémoire essentiel que le cinéma porte sur ses épaules. Les événements tragiques du 20ème siècle, on y revient encore aujourd’hui avec “L’homme du Président” de Woo Min-Ho: le récit des derniers jours du président (et dans une certaine mesure dictateur), Park qui règne d’une main de fer sur le territoire sud-coréen. Dans son ombre, une guerre de pouvoir oppose le KCIA (l’agence de renseignement de l’époque) et la garde privée du dirigeant. Alors que le pays s’embrase, ce combat pour s’attirer les faveurs de Park va mener à une cascade de faits politiques tragiques qui vont mettre la Corée du Sud à feu et à sang.
Si on devait cantonner l’oeuvre qui nous intéresse aujourd’hui à un simple genre, on rapprocherait très certainement “L’homme du Président” au film d’espionnage. Tous les éléments de cette chronique historique rappellent les codes d’un style bien connu: les mises sur écoutes, les échanges de mallettes, les trahisons… On baigne avec ce long-métrage dans un mélange maintes fois utilisé au cinéma et qui permet au film de rester relativement haletant la plupart du temps, ou tout du moins tant qu’on ne gratte pas trop la surface de cet enrobage du thriller politique.
Car derrière le fard du cinéma à rebondissements va rapidement se dessiner certaines limites relativement contraignantes desquelles “L’homme du Président” n’arrive pas à se départir. C’est particulièrement voyant si on s’attarde sur l’élément de narration principal du film: le montage. Tantôt virtuose lorsqu’il met en parallèle les tensions du moment qui se jouent souvent dans des endroits éloignés les uns des autres, tantôt redondant et ronflant lorsqu’il cherche à susciter une émotion un peu fabriquée, le découpage du film souffle le chaud et le froid. Le long-métrage se paye même par moment le luxe d’être quasiment illisible dans des moments clés: de quoi laisser un peu perplexe.
Dommage, car au coeur du film, certaines thèses se révèlent pertinentes. On pense principalement à cette idée fixe que le pouvoir corrompt les meilleurs volontés. Le système politique en place à l’époque est le fruit d’une révolution passée sur laquelle le film revient régulièrement dans ses dialogues. On comprend très rapidement que Woo Min-Ho nous propose une théorie: le président Park se fourvoie après des années de règne et toutes les belles idées de la jeunesse se sont effacées à mesure que son autorité s’est affirmée. Le cinéaste réussit presque à rendre humain un salaud en dessinant les circonstances qui l’ont mené au totalitarisme.
« Mister Blue Sky. »
Autre idée intéressante: les personnages centraux de l’intrigue, le populaire Lee Byung-Hun qui interprète brillamment le chef de la KCIA en tête, ne sont que des laquais qui se battent pour des miettes de pouvoir et pour l’approbation de leur maître comme des chiens serviles. On prend pour exemple concret de ce dogme une scène où les deux agences de renseignements se lancent dans une course à l’assassinat pour éliminer un potentiel danger le plus rapidement possible. Ces protagonistes ne sont finalement que des souris prisonnières d’un labyrinthe, cherchant désespérément leur bout de fromage avant la prochaine épreuve. C’est d’ailleurs l’émancipation du personnage principal qui mènera au tragique dénouement.
Des hommes d’autant plus impuissants que le destin du pays ne semble pas être entre leurs mains: on sait que la péninsule coréenne fut l’un des lieux les plus symboliques de la guerre froide, Nord communiste opposé au Sud proche du pouvoir américain. Cette notion de quasi-féodalité aux USA est omniprésente dans le film. Intelligemment, Woo Min-Ho étale clairement ce fait et son héros est tiraillé entre le président Park qui déraille et les officiels venus d’outre-Pacifique, le harcelant de requêtes. Le directeur de la KCIA est perpétuellement pris entre deux feux, prisonnier de cette tourmente incessante qui le broie.
Le problème du long-métrage, c’est que pour avancer toutes ces intentions scénaristiques plutôt pertinentes, il va se reposer sur une grammaire proche du mélodrame. Les personnages que délimite “L’homme du Président” sont bien trop tranchés, presque manichéens. Une façon de distinguer leurs psychés plutôt utile pour assembler le puzzle, mais en même temps empreinte d’une facilité morale déconcertante. On ne peut pas décemment dire que le directeur de la KCIA était un chic type et pourtant le film semble parfois très compatissant. De la même manière, le président Park et sa garde rapprochée sombrent parfois dans la caricature des vilains de cinéma les moins réfléchis. Woo Min-Ho ne fait pas fausse route, mais il appuie bien trop le trait en romançant exagérément des faits politiques complexes qui auraient mérité un peu plus de temps pour en saisir tous les enjeux.
Ce dictat va complètement plomber l’œuvre, laissant le spectateur relativement indifférent aux conséquences des actes des protagonistes. Certes, le cinéaste nous maintient sous pression avec sa mise en scène de l’immédiat et ses jeux d’espions, mais il nous laisse parfois franchement froids lorsqu’il tente d’élargir le spectre des retombées politiques. Trop simple, trop grossier, trop expéditif: le film ne parvient pas à offrir un niveau de lecture plus large sans passer par des raccourcis gênants. On adhère idéologiquement à la démarche du réalisateur quand il nous demande “qui surveille les puissants?”, mais son exécution est bien trop peu travaillée.
Par son contexte politique passionnant et son aspect thriller, “L’homme du Président” reste un film utile, mais la facilité dont il fait parfois preuve fait passer cette chronique historique pour un acte manqué, laissant le sentiment que le long-métrage aurait pu être bien meilleur.