2019
de: Quentin Dupieux
avec: Jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy
Cocorico ! S’il y a bien un truc que vos Réfracteurs adorent, c’est l’humour absurde. Ces films qui laissent parfois de côté leur sens profond pour se réfugier dans une délicieuse bulle sans queue ni tête. À ce petit jeu, un frenchy à toute notre sympathie: Quentin Dupieux aka Mr. Oizo. Sa filmographie est faite de pépites d’humour perchées qui frappent comme sorties de nulle part. Après le fantastique “Au poste!”, le voilà de retour avec “Le Daim” et on se fait péter la caboche avec plaisir au rythme de ses loufoqueries.
L’histoire, si elle importe: Georges (Jean Dujardin) décide de tout plaquer pour réaliser son rêve, acquérir un manteau en daim. Son blouson à frange revêtu, il va tout mettre en oeuvre pour devenir le seul homme au monde à porter un blouson, sous prétexte de tournage d’un film alors qu’il ne connaît rien en cinéma. Il va rapidement trouver de l’aide en la personne de Denise (Adèle Haenel), une barmaid du coin et monteuse amatrice.
Toujours plus loin dans l’absurdité, Quentin Dupieux impose tout de même quelques éléments de réalisation propres à son style. Chacun de ses films est l’occasion de parfaire sa technique et le montage de “Le Daim” est exemplaire. La rythmique est essentielle en comédie et le réalisateur a parfaitement assimilé cette logique.
Autre signature, les dialogues cinglants et décousus. Au détour d’une phrase ou à la faveur d’un monologue, les personnages du film ne manquent pas de répliques cultes, à l’instar des autres films du cinéaste. On est très fan du style Dupieux et “Le daim” nous a encore régalé de quelques jolies tirades qu’on n’hésitera pas à ressortir comme de véritables cinéphiles relous.
Mais l’absurdité n’est pas un refuge pour la paresse. Si souvent le cinéaste fut trop cryptique pour qu’on saisisse sa pensée, il semble depuis plusieurs films avoir fait un pas de plus vers le public. “Le daim” est farfelu, bien sûr, mais en même temps, il invite à la réflexion autour de la position du réalisateur sur un tournage de cinéma, comme se prétend Georges.
« Tellement improbable que Dujardin et Haenel sont réunis »
Cette réflexion amène déjà une première idée: un réalisateur est un despote prêt à toutes les bassesses pour accomplir son film. Sa vision unique prend des airs de dictature des plus narcissiques et ses envies de contrôle marquent les esprits.
Mais Georges est également un imbécile fini qui ne connaît absolument rien au cinéma, se contentant de filmer des instants complètement idiots avec un camescope bon marché. Sa bêtise vise à amener très humblement l’idée que le plus indispensable sur un tournage n’est pas le réalisateur, mais plutôt toutes les autres petites mains qui oeuvrent dans l’ombre. D’ailleurs, le message de son faux film, que lui-même ne comprend pas, est mis en avant par le personnage d’Adèle Haenel.
Un film est-il l’occasion de flatter avant tout l’égo d’un réalisateur? C’est l’idée du long-métrage sans aucun doute, et le débat peut s’ouvrir. Dans la position la plus narcissique qui soit, il est vrai qu’un cinéaste opère pour étaler une réalité déformée par sa vision. La position de Mr. Oizo est claire: il est lui-même inutile, et c’est en faisant preuve de beaucoup d’humilité qu’il l’affirme.
Mais Dupieux se répète un peu. La forme du film rappelle ses anciennes réalisations et il est vrai qu’on retrouve les thèmes de prédilection de l’auteur: la vision d’une œuvre et des gens qui la conçoivent est forcément intimement lié à l’ADN d’un cinéaste au style si barré, et on retombe un peu dans les réflexions amenées par ses précédents longs-métrages.
En conséquence, on fait à peu près le même constat à “Le daim” qu’aux autres films de Dupieux: n’y foutez pas un orteil si vous aimez tout contrôler. On ne peut pas tout saisir dans la filmographie du maître de la bizarrerie alors que lui-même semble parfois perdu. C’est un jeu un peu tordu entre le public et le cinéaste: partir d’un postulat de base et laisser le film évoluer de façon complètement ubuesque. Une fois cela savouré, on peut retomber avec joie dans le monde saugrenu de Mr. Oizo.
Si vous êtes familier de Dupieux, “Le Daim” fonctionne tout simplement parce qu’il charrie énormément de thèmes cultes de l’auteur. Pour les autres, on vous aiguillera sans doute davantage vers “Au poste!” si vous voulez jeter un œil à cet univers complètement fou.