2021
Réalisé par: Jaume Collet-Serra
Avec: Emily Blunt, Dwayne Johnson, Jesse Plemons
La maison Disney serait-elle en train de se déchirer? Sous le feu des projecteurs depuis quelques jours, la stratégie de sortie des films conjointe en salles et sur Disney+ qui persiste encore et toujours malgré un retour progressif à la normale. Première à avoir donné un coup de pied dans la fourmilière, l’actrice Scarlett Johansson pointe du doigt la firme aux grandes oreilles et accuse: le contrat signé pour “Black Widow” n’est pas respecté selon elle et la sortie quasi-simultané en SVOD constituerait un manque à gagner conséquent pour la Veuve Noire qui a décidée de régler le litige devant les tribunaux. Une exploitation hybride qui permettrait à Disney d’assurer sa marge au détriment des artistes, selon les avocat de la comédienne. Deux autres noms reviennent également dans l’actualité, deux autres stars d’Hollywood particulièrement remontées pour des raisons similaires: Emma Stone, héroïne de “Cruella”, et Emily Blunt pour “Jungle Cruise” dont il va être question dans ces lignes. Alors au-delà de la sympathie pour l’action des trois drôles de dames et de l’incompréhension vis à vis de Disney qui ne semble pas vouloir jouer le jeu de la reprise, que nous reste t-il à nous spectateurs? Un long métrage qui se présente malgré tout devant nous et qu’on va s’atteler à disséquer pour se rappeler que des œuvres existent à l’ombres des démêlés judiciaires.
Inspiré d’une attraction des parcs d’attractions Disney, comme “Pirates des Caraïbes” en son temps, “Jungle Cruise” c’est l’histoire, à l’aube de la Première Guerre mondiale, d’une scientifique et exploratrice, Lily Houghton (Emily Blunt), obsédé par une plante légendaire aux vertus curatives exceptionnelles et qui pousserait au cœur de l’Amérique du Sud. Pour la débusquer, elle va s’embarquer sur le navire de fortune de Frank (Dwayne Johnson) pour remonter un fleuve d’Amazonie. Entre course poursuite avec les allemands et histoires fantastiques qui entourent la fleur mythique, nous voilà lancés pour une grande aventure au fil de l’eau.
Cette épopée va s’avérer relativement grandiose: “Jungle Cruise” s’inscrit dans la grande tradition des longs métrages à grand spectacle de Disney. Loin des habituelles histoires de super-héros ou des versions live des grands dessins animés du groupe auxquels nous ont habitués Mickey et sa bande ces dernières années, le film renoue avec les grandes fresques plus anciennes du studio. On ressent un souffle proche de certaines productions des décennies passées. On va voir par la suite que l’une des principales faiblesses de “Jungle Cruise” tient sans doute à ses influences beaucoup trop marquées pour être novateur, mais il est assez agréable de découvrir un nouvel univers à l’écran.
“Jungle Cruise” va bénéficier du savoir-faire de Disney, et dans la continuité de cette idée, de la force de frappe financière de la firme. La direction artistique qui s’affirme à l’écran est convaincante, plus travaillée que le rendu plastique de certaines des dernières errances filmiques du groupe, et assurément plus originale dans le cadre qu’elle propose. Si on lève les yeux au ciel devant des effets spéciaux numériques assez navrants, les décors sont eux ensorcelants, bien plus que dans un “Mulan” ou “La Belle et la Bête”, et sont un terrain de jeu propice à une action décomplexée.
« Popeye et Olive. »
Il faut dire que “Jungle Cruise” peut s’appuyer sur un imaginaire collectif déjà bien installé dans la tête des spectateurs. Le début du 20ème siècle est toujours favorable aux grands récits rythmés et on se surprend à repenser parfois à notre bon vieux Jules Verne dans ce voyage. Malheureusement, la pellicule ne va pas véritablement construire d’idées nouvelles dans cet environnement pourtant prometteur. On l’a dit plus tôt, “Jungle Cruise” va, dans plusieurs strates de son élaboration, venir lorgner du côté de la concurrence sans ménagement. Il est strictement impossible de vivre cette aventure sans penser à Uncharted (dont le film se rapproche), et bien sûr à “Indiana Jones”. La proposition de Jaume Collet-Serra ne s’affranchit pas suffisamment de cette ascendance et la comparaison ne lui rend pas forcément hommage.
Il faut dire, et tant pis si notre réflexion s’apparente à un tacle, que le cinéaste à tout du “Yes Man” dévoué à la cause de son studio. Sans jamais prendre de risque, Jaume Collet-Serra déroule un récit dans lequel il se cantonne à un cahier des charges efficace mais rigide. Il n’ y a pas de vision d’auteur dans le film, davantage une recette établie par avance par des décisionnaires à laquelle se plie le réalisateur. Rien d’étonnant de la part d’un homme qui a fait le plus gros de sa carrière en collaborant sur des films d’action lambdas avec Liam Neeson, mais un pointe d’inquiétude naît avant de le voir retrouver Dwayne Johnson dans “Black Adam”, un personnage qu’on aime.
Heureusement donc que le scénario offre une écriture drôle et une dynamique efficace entre les deux personnages principaux. Leur alchimie marche même si elle est affreusement proche dans sa construction de “Pirates de Caraïbes« , autre inspiration bien trop marquée. Malgré tout Emily Blunt apparaît fidèle à elle-même et laisse exploser son talent, tandis que Dwayne Johnson est convaincant grâce à ses répliques piquantes qui font généralement mouche.
Alors on ne va pas surinterpréter un film qui n’est qu’un divertissement et strictement rien de plus, aussi efficace soit il. On a quand même été très interpellé par l’histoire de Frank. Sans rien révéler de l’intrigue, le long métrage va finir par lui offrir une stature nouvelle qui ferait presque écho à l’image qu’on se fait du comédien. “Jungle Cruise” devient cynique malgré lui et cet axe réussit à convaincre. Les belles idées sont parfois le fruit d’accidents.
On est beaucoup plus sur la défensive lorsque notre réfraction du jour va s’aventurer sur des thèmes de société qui font écho à notre époque. Maladroit et hors de propos, “Jungle Cruise” va légèrement se perdre en tentant d’élever son message vers des sphères qu’il ne maîtrise pas. Le frère de Lily cristallise ce sentiment: alors qu’il est réduit au rôle de caution comique un peu navrante, on tente d’un coup de lui donner une épaisseur toute fabriquée qui ne lui convient pas. Idem pour les quelques élans féministes très timides qui apparaissent un brin forcés ou tout du moins trop désinvoltes pour peser. Mais après tout “Jungle Cruise” a pour principal ambition d’offrir de l’action et c’est sur cela qu’on le jugera.
Certes “Jungle Cruise” est un film convenu qui répond aux exigences d’un marché plutôt qu’à une vision d’artiste, mais sa mission est atteinte et le moment agréable. Le film ne haussera pas le niveau moyen du genre, mais il n’a pas non plus à rougir.