Girl

2018

de: Lukas Dhont

avec: Victor PolsterArieh WorthalterOliver Bodart

S’il y a bien une chose que les années précédentes ont démontré, c’est que la transidentité reste l’un des derniers grands tabous de notre société. Pour preuve, le nombre de mouvements réactionnaires taxant de lobbyistes des personnes qui cherchent simplement à s’épanouir physiquement et moralement. Naturellement curieux de tout, Les Réfracteurs se penchent aujourd’hui sur “Girl”, un film évoquant cette problématique à travers le parcours d’une adolescente, Lara, femme née dans un corps d’homme et qui va entreprendre les démarches nécessaires pour opérer son changement de genre médicalement.

Dès les premiers instants, le film affirme une volonté de “cinéma vérité”: en centrant le cadrage presque perpétuellement sur son héroïne, Lukas Dhont, le réalisateur, fait le choix de l’intime. Son histoire, c’est celle du parcours intérieur de cette jeune femme et sa caméra est au service de Victor Polster qui interprète probablement le rôle de sa vie. Souvent hors-champ, les répliques des personnages secondaires se lisent sur le visage de l’acteur principal qui nous offre une belle palette d’émotions, notamment lorsque le scénario reflète la pudeur et la gêne physique et psychologique de Lara.

Cette démarche on la comprend, c’est celle de ne vouloir montrer que le mal-être intérieur de son personnage dans un cheminement médical compliqué. Mais on est déjà face à un problème majeur, qui va entacher tout le long-métrage: la bienveillance du film. On le redit, les flots de haine des récentes années à l’encontre de ces personnes en mal de reconnaissance sont indéniables. Les héritiers de la “Manif pour tous” sont toujours trop présent et nul ne peut nier cette hostilité idiote. Ici, Lara semble être entourée par une masse de personnes compréhensives à l’extrême, et n’est confrontée en tout et pour tout qu’une seule fois à l’exclusion sociale.

« Nina, rêve d’étoile »

C’est un parti-pris du cinéaste, celui de ne pas vouloir mettre en scène une ostracisation des personnes transidentitaires (notamment en offrant ce cadre idéal à Lara) pour uniquement se concentrer sur la souffrance morale déjà intense. Soit, c’est un message audacieux et pertinent. Mais il va falloir l’admettre d’emblée et on ne peut s’empêcher de voir ça-et-là des personnages terriblement gentils, à l’image du père “parfait” de notre protagoniste principal. “Girl” n’est pas un appel au calme de la société mais un portrait de l’intime: ce message de rébellion manque au film.

Une démarche toutefois si personnelle qu’elle aide à l’identification. On a beau être le plus convaincu des hétérosexuels, il faut une vraie étroitesse d’esprit pour ne pas rentrer dans l’intimité de Lara, tant les procédés de réalisation nous y invite. Cela, “Girl” le réussit parfaitement, et nul doute que c’était là sa mission première. La souffrance de cette jeune femme, pourtant idéalement entourée, on ne peut qu’y compatir.

Ce processus montre tout de même quelques limites, notamment en terme de rythme: on sait presque toujours où l’on va, et le film ne réserve que peu de surprises. Pas toujours un problème en soi, mais une forme de répétitivité plane sur le film, gênant partiellement le plaisir de visionnage. Toutefois, cette cadence n’est pas non plus innocente, elle permet d’appuyer sur la lenteur du milieu de la santé: Lara est en demande de réponses rapides à son malheur intérieur et les médecins lui imposent des démarches longues et fastidieuses, couplées avec un suivi psychologique qui peut laisser perplexe. Mission totalement accomplie pour ce pan de l’histoire.

Reste enfin le milieu de la danse classique, le rêve de Lara. Très honnêtement, et bien que ce soit l’un des axes principaux du film, cette symbolique nous est apparue un peu facile de prime abord: cette passion pour exprimer la féminité apporte un léger côté cliché à l’œuvre. Mais il est indéniable que ce but de l’héroïne amène tout un côté intéressant sur la contrainte physique. Une dualité entre les espérances de ce protagoniste principal et son corps qui n’y correspond pas totalement. C’est particulièrement intelligent et le côté traditionnel de la danse classique accentue ce sentiment. Se faire du mal pour aboutir devient une extension du parcours médical et s’y confond assez brillamment.

Girl” nous a laissé quelques regrets, en premier lieu celui d’ignorer la pression sociale, du moins en partie. C’est un choix de l’auteur, et y adhérer est parfois fastidieux. Reste tout de même une vraie authenticité dans l’interprétation de Victor Polster et dans la restitution de l’enfer personnel et médical qui pèse sur les personnes transidentitaires.

Nicolas Marquis

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