À nos amours

1983

réalisé par: Maurice Pialat

avec: Sandrine BonnaireMaurice PialatChristophe Odent

Allez savoir pourquoi, les films sur l’adolescence reprennent en général les mêmes codes surfaits. Dans ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui les “coming of age movies”, pardonnez l’anglicisme, le cinéma se réfugie généralement derrière des idées recyclées encore et encore dans une certaine forme de facilité rébarbative. Pourtant, on va voir aujourd’hui que les long-métrages qui cristallisent les tourments des premiers pas dans l’âge adulte ont parfois été théorisé par des grands noms du cinéma, insufflant un esprit différent et salutaire dans ce marasme de pudibonderie. Exemple avec “À nos amours” du grand et regretté Maurice Pialat qui donnait avec son film un énorme coup de pied dans la fourmilière.

Son oeuvre est un portrait, celui de Suzanne (Sandrine Bonnaire), une jeune femme libre qui papillonne d’aventure en aventure sans jamais vraiment s’attacher à ses partenaires et va rapidement être taxée de “salope”. Pialat va au fur et à mesure complexifier les sentiments de son personnage pour lui donner beaucoup plus de consistance que cette simple insulte.

La quête de Suzanne est bien plus profonde en réalité. Derrière ses airs volages, c’est une tentative désespérée de ressentir l’amour que l’on devine. Un affreux dilemme intérieur qui la pousse à toujours plus se donner pour accéder à des sentiments plus profonds. Alors qu’autour d’elle ses amis y parviennent progressivement, c’est une héroïne totalement désabusée que nous offre Pialat.

Se contenter du charnel, c’est un aveu d’échec pour cette toute jeune femme, comme si l’amour physique devait forcément précéder le sentimental. Le cinéaste casse complètement l’image que l’on a de nos enfants pour offrir un portrait plus sec, cru, rugueux qui interpelle fatalement chaque parent. Pialat nous prend même à parti: notre éducation est-elle la bonne ou transmettons-nous à nos enfants des valeurs factices, presque des contes de fée affectifs qui n’existent pas forcément dans le monde réel?

Le réalisateur fait d’ailleurs preuve d’une véritable bienveillance envers Suzanne. Elle n’est pas une “pute”, il serait trop simple de le penser. Elle est plutôt une marginale qui ne rentre pas dans les cases de la société et qui en subit les affronts. Sa famille en pleine explosion appuie ce sentiment de décrépitude amoureuse: quelles véritables chance s’offrent au personnage de Sandrine Bonnaire alors que son monde s’écroule autour d’elle?

« Si on t’emmerde faut le dire! »

Pialat va même vigoureusement gifler notre société avec tout le savoir-faire d’un génie du cinéma. Dans un court moment où Suzanne décide de se “ranger” en rejoignant un internat, c’est son cercle d’amis qui continue de la stigmatiser alors qu’elle tente de changer. Le cinéaste donne à son oeuvre une couleur particulière qui force le questionnement de chacun. Il n’est même pas vraiment sujet de rédemption ou de deuxième chance pour une adolescente qui n’en a jamais eu de première, mais plutôt la schématisation de modèles sociaux là aussi factice.

Pour arriver à un tel degré de sophistication, il faut une interprétation collective parfaite. Il y a bien sûr Sandrine Bonnaire, envoûtante, malicieuse et ensorcelante, mais Maurice Pialat va lui-même passer devant la caméra pour jouer le rôle du père de Suzanne. Véritable clé de voûte du récit, la cellule familiale tient bon tant qu’il est présent mais s’écroule totalement lorsqu’il prend la fuite. Pialat est d’une telle prestance qu’en une poignée de scènes, il griffe totalement la pellicule et y laisse une empreinte indélébile.

C’est même là une mise en abîme totale du rôle de réalisateur et de scénariste. Comme un père bienveillant le cinéaste délimite le personnage de Suzanne puis se retire pour la laisser vivre sa vie, simplement captée par une mise en images simple, au cadre complet qui enveloppe les protagonistes mais également avec une quasi absence de musique qui appuie le sentiment d’une approche presque documentaire.

On ne saurait conclure sans souligner le travail incroyable autour des dialogues. Pialat n’est presque jamais donneur de leçon mais propose plutôt des répliques ciselées et cohérentes. C’est comme si la vie courante était écrite par le cinéaste: un savoir-faire qui manque cruellement au cinéma français depuis la disparition de cet auteur de génie.

À nos amours” offre une vision sans concession de l’adolescence et de la quête de l’amour. Pialat ne fait pas dans la dentelle pour nous obliger à regarder en face les torts de notre triste société.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Laisser un commentaire