City on Fire
City on Fire affiche

(龍虎風雲)

1987

Réalisé par: Ringo Lam

Avec: Chow Yun-Fat, Danny Lee Sau-Yin, Sun Yueh

Film vu par nos propres moyens

Fut un temps, vivre la passion du cinéma asiatique était synonyme d’une relative marginalisation pour ses adeptes. Souvent réduit au simple genre du cinéma d’art martiaux par le grand public, dans le sillage tracé par les succès de Bruce Lee ou encore Jackie Chan, la vision des longs métrages de tout un continent était étriquée, malgré quelques véritables propositions d’auteurs. Pour les plus curieux, les vidéoclubs d’une part, et les magazines spécialisés pionniers d’autre part, étaient en général les seuls vecteurs de découverte. Pourtant, en 1987, quand sort City on Fire de Ringo Lam, Hong Kong est en passe de devenir une place forte du thriller musclé, grâce notamment à l’explosion de John Woo. À l’orée du XXIème siècle, tout évolue. Internet fédère des communautés, entre autres grâce aux forums, et les fans ne sont plus seuls. Un courant de pensée, gage d’une plus grande ouverture d’esprit, s’affirme, et le monde redécouvre des pépites que les éditeurs n’hésitent plus très longtemps à ressortir. Si City on Fire n’a pas encore eu l’honneur du support Blu-ray sous nos latitudes, gageons que le temps fera son œuvre.

En guise de tête d’affiche de ce polar mythique, souvent cité dans d’autres films de tous horizons, on retrouve celui qui deviendra ensuite la figure de proue de ce courant cinématographique: Chow Yun-Fat. Il y incarne Ko Chow, un policier infiltré dans le monde du banditisme hongkongais, tentant d’intégrer un dangereux groupe de braqueurs de bijouterie, à la suite d’un casse qui a viré au drame. Mais Ko Chow est en plein dilemme et ne rêve que de quitter son existence clandestine pour retrouver la droiture et épouser sa petite amie ignorant tout de la vérité. Son ultime mission le pousse dans ses derniers retranchements, alors qu’il doit échapper à toute une partie des forces de l’ordre qui ne connaît pas sa véritable identité, mais aussi car une amitié profonde se lie entre lui et Tiger (Danny Lee Sau-Yin), l’un des hors la loi.

City on Fire illu 1

City on Fire possède une qualité rare, qui rend l’attachement du spectateur presque inaltérable: sa générosité de chaque instant. Ringo Lam flirte en permanence avec les limites de la suspension d’incrédulité, mais réussit parfaitement son numéro d’équilibriste. Ainsi, une simple balle de revolver peut faire exploser une voiture dans une gerbe de flammes ahurissante, mais le public adhère tout de même à chaque nouvelle fantaisie du réalisateur. Il existe une équation simple ou se lie ce que le spectateur est prêt à admettre comme vraisemblable, et le plaisir primaire qu’il en retire. Dans les affrontements, le long métrage devient un exemple typique de ce dogme propre au cinéma hongkongais de cette époque, et qui a contribué à sa popularité.

Loin de se retrancher dans un style cinématographique particulier, Ringo Lam cherche avec City on Fire à démontrer son savoir-faire dans de nombreux genres, parfois aux antipodes les uns des autres. Le socle de son récit reste le polar brut, non sans rappeler Infernal Affairs à certains égards, ou peut être encore plus fortement Reservoir Dogs, à travers la dualité qui habite Ko Chow. L’action est également un élément central du film et l’occasion pour le cinéaste de faire étalage de sa maestria caméra en main, pour donner une stature toute particulière à ses personnages. Pourtant, même si on ne reniera jamais à City on Fire son surplus de testostérone, l’histoire d’amour entre le héros et sa petite amie est aussi présente à l’écran que le polar, voire même un aspect indispensable de l’oeuvre pour éprouver les malheurs de ce policier dans le secret. Encore plus étonnement, c’est dans le registre de la comédie que cette romance se découvre initialement, dans des élans fantasques proches du burlesque. Toujours plus loin dans le contrepied, le virtuose Ringo Lam verse subtilement à quelques rares occasions vers le cinéma d’horreur auxquels il fait la révérence: un mort se réveille dans une scène d’hallucination, un crâne sort d’une tombe au milieu d’un cimetière embrumé… Le cinéaste est un touche à tout.

City on Fire illu 2

Son cocktail improbable ne devient cependant jamais versatile ou brouillon grâce à une volonté affirmée, qui confère à City on Fire une certaine cohérence, celle de marquer une vraie progression lente entre la légèreté des débuts, et le drame âpre de la fin. Ainsi, la romance commence par de parfaites clowneries de la part de Chow Yun-Fat avant qu’on ne saisisse que la menace de la rupture installée à l’entame du film est une réalité presque inévitable. Dans le même ordre d’idée, la plongée de Ko Chow dans le monde du crime est initialement faite de petits larcins, de plus en plus révoltants. Ce que Ringo Lam puise dans le scénario, il le retranscrit également à l’écran: son image apparaît relativement coloré dans les premières minutes, avant de s’enfoncer de plus en plus dans l’ombre et la noirceur. Un langage simple mais diablement efficace.

La seule constante semble être la cruauté dont font preuve les malfrats, coupable de meurtre dans l’introduction. Mais là encore, Ringo Lam joue sur la nuance, et les oppose à sa vision de la police. Les bandits sont cruels, mais ils sont soudés, se qualifient de véritable famille, leur loyauté est sans faille, et Tiger devient un frère pour Ko Chow. Le champ lexical de la famille revient aussi lorsqu’il s’agit des forces de l’ordre, au moment où le héros rend compte à son supérieur, le qualifiant d’oncle, alors que celui-ci évoque également la grand-mère du protagoniste principal. Mais l’union est-elle pour autant de mise ? Assurément pas: ce mentor refuse à Ko Chow une exfiltration alors que celui-ci l’implore, même s’il reste paternaliste. Plus en avant, le reste de la police est synonyme de danger plus omniprésent que les gangsters pour le héros. Un jeune arriviste torture même celui à qui le spectateur s’est si profondement attaché. Ringo Lam ne croit pas au manichéisme, il le renverse.

City on Fire

Ko Chow en ressort martyr, écrasé entre la loyauté de son cœur, celle qu’il réserve à sa fiancé et à Tiger, et celle de sa mission. Ringo Lam nous offre la vision d’un être écartelé, broyé, sacrifié, pour un intérêt supérieur qui échappe presque à la logique tant les décisions de ses supérieurs apparaissent injustes à son égard. Grâce au charisme naturel de Chow Yun-Fat, l’acteur incontournable de cette époque à Hong Kong, mélange de noble bouffon et de vaillant justicier, le long métrage gagne en épaisseur. City on Fire est presque autant un film de Ringo Lam que de Chow Yun-Fat, dont les filmographies ne cesseront de se croiser au fil des années.

Pour alimenter la trajectoire tragique de Ko Chow l’utilisation du sang et des coups de feu sert de ponctuation aux rebonds de l’histoire. Indéniablement violent au premier degré, City on Fire n’est pourtant jamais gratuit. La cruauté est un élément de narration central qui sert le scénario autant que le scénario s’en sert. Le film n’épargnera rien, personne, sa morale est fataliste mais réaliste également: l’homme seul face à deux camps corrompus ne peut finalement rien d’autre que le sacrifice.

Figure de proue du thriller hongkongais des années 80, City on Fire est aussi jouissif que judicieusement choquant, tout en restant dans le giron du divertissement accessible.


City on Fire n’a pas encore eu l’honneur d’une sortie Blu-ray en France. Une occasion à saisir, chers éditeurs.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

Cet article a 2 commentaires

Laisser un commentaire