C’est toi que j’attendais
C'est toi que j'attendais affiche

2021

Réalisé par: Stéphanie Pillonca

Avec: Inès Kalfsbeek, Stéphane Munka, Fabrice Brault

Film fourni par Pyramide Films

L’injustice n’est pas toujours le fruit des hommes, la nature sait parfois être cruelle. Bien que indéniablement poussés par l’amour et le désir intense d’un enfant, des milliers de personnes doivent se tourner vers l’adoption: que ce soit par choix personnel, ou suite à un parcours médical complexe, accueillir un nouveau né venu d’ailleurs est souvent la seule solution pour ces parents. Pour eux, un véritable périple s’engage, fait de doutes, de remises en cause, de difficultés administratives bien souvent, mais également de joies et de promesses d’un avenir heureux. Réunis devant la caméra de Stéphanie Pillonca, de multiples parcours, chacun unique à leur façon, se confrontent dans le documentaire C’est toi que j’attendais, porteur d’un message simple: qu’elle se forme biologiquement ou non, une famille est unie par des liens plus profonds que ceux du sang, et par un esprit de compassion.

Couple en l’attente d’un agrément, enfant adopté devenu adulte à la recherche de ses origines, ou mère biologique en quête de ce qu’est devenu le fils qu’elle a été contraint de confier aux services sociaux: toutes ses trajectoires se réunissent dans le long métrage, dans un maillage qui entend couvrir un large spectre de ce qui fait le monde de l’adoption. À l’écran, les sensibilités se découvrent, les confidences se font de plus en plus intimes, et la parole se livre à cœur ouvert.

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Stéphanie Pillonca aborde le délicat sujet de son œuvre avec une grande pudeur et une douceur de rigueur. En mélangeant des interventions face caméra, et surtout le plus souvent des instants pris sur le vif, la cinéaste casse la distance avec ses protagonistes, immergeant complètement le spectateur dans le cocon de ses familles atypiques. Perpétuellement, la réalisatrice fait appel à la compassion de son public, à sa bienveillance, pour faire de nous des accompagnateurs privilégiés. Impossible de dire que l’on vit nous aussi les épreuves de ces êtres face à un défi colossal, mais la logique filmique de Stéphanie Pillonca et son amour pour ses intervenants permet au moins d’en percevoir certaines difficultés profondes.

Si l’espoir est au centre de C’est toi que j’attendais, il est toutefois intéressant de noter que Stéphanie Pillonca insuffle à son œuvre une vraie notion de douleur dans les premiers instants. Que ce soit ces couples qui nous confient les échecs de leurs multiples PMA, cet homme tourné vers un passé qu’il ignore, ou cette mère à la recherche de l’enfant dont elle s’est séparée à la naissance, tous semblent habités par une peine sincère et harassante. La cinéaste a une véritable mission: non seulement elle emporte notre adhésion avec cette construction, mais elle pose également des problématiques concrètes, souvent bouleversantes, avant d’esquisser un itinéraire vers une résolution espérée sans être jamais promise.

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En guise de colonne vertébrale, puisque c’est sur eux que Stéphanie Pillonca s’attarde le plus, deux couples en attente d’une adoption nous livrent leur intimité la plus profonde. Au-delà du calvaire médical qu’ils ont dû endurer par le passé et que la cinéaste restitue subtilement, sans lourdeur, leur odyssée dans les méandres administratifs paraît parfois proche du chemin de croix. Ils ne vivent peut-être pas une grossesse biologique, mais l’attente semble parfois similaire à une véritable période de gestation. Ils n’en ont peut-être pas les contraintes physiques, mais leur préparation à accueillir un enfant est une charge psychologique permanente, qui plus est particulièrement longue. On frissonne par exemple légèrement lorsque qu’un travailleur social vient inspecter le logis de ces futurs parents: là où d’autres époux construisent la venue d’un nouveau-né dans leur bulle, ces hommes et femmes sont eux contraints de se livrer ouvertement.

Toutefois C’est toi que j’attendais ne condamne strictement jamais ce processus. Quitte à embellir un peu la réalité, les travailleurs sociaux sont montrés sous un jour idyllique et Stéphanie Pillonca choisit de rendre hommage à leur dévotion. Bien que la réalisatrice conserve une certaine distance, elle ne cesse de montrer ce rouage essentiel de la machine, qui agit perpétuellement dans l’intérêt de l’enfant. Si leur mission leur impose une certaine neutralité, l’émotion se devine à chacun de leurs gestes. Il ne ment pas ce sourire aux lèvres de celle qui décroche le téléphone pour annoncer la venue prochaine d’un nouveau né à un couple dans l’attente, tout comme elle ne triche pas la douceur infinie dont fait preuve l’employée d’une pouponnière de l’État, tenant un bébé dans ses bras et l’accompagnant d’innombrables attentions vers son nouveau foyer, lui parlant sans cesse. L’histoire de ses enfants débute en ce sein.

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Mais la grande intelligence de C’est toi que j’attendais réside sans doute dans la volonté de ne pas uniquement réfléchir l’adoption dans l’instant T, mais également de s’attacher au destin de ceux qui y ont fait face il y a de nombreuses années. Ici Stéphanie Pillonca se détache des couples dans l’attente pour se lier aux autres acteurs de ces histoires, enfant ou mère ayant fait le choix, souvent forcé par le contexte social, de se séparer de sa progéniture. Le documentaire se transforme alors en véritable enquête, à la recherche de la vérité, mais sans jamais renier aux adoptants leurs statuts de parents. La trajectoire de Sylvain, recueilli enfant et désormais adulte, se fait particulièrement touchante. Son étreinte passionnée avec sa mère adoptive, à qui il déclame son amour, est tout aussi bouleversante que ses recherches pour lever le voile sur son passé, lui dont la peau n’est pas blanche et qui se heurte dès lors à un mur écoeurant lorsqu’on l’interroge sur ses origines.


Tout le pari de Stéphanie Pillonca, et le succès de son œuvre, repose sur l’adhésion qu’on éprouve pour ces protagonistes. Allez-vous pleurer avec Sylvain devant l’impasse qui se dessine ? Allez-vous retenir quelques larmes de joie au moment où un couple prendra pour la première fois son enfant dans les bras ? L’adhésion au long métrage repose entièrement sur cet affect, tissé pendant de longues minutes, et qui casse complètement la barrière émotionnelle. Le cinéma s’efface pour laisser place à la réalité.

Plein d’espoir et de douceur, C’est toi que j’attendais possède la sincérité d’un documentaire passionné par le sujet qu’il traite, mais peut être encore plus intensément amoureux des hommes et des femmes qu’il met en lumière.

C’est toi que j’attendais est édité chez Pyramide Films, avec en bonus:
– Des scènes coupées
– Un entretien avec Stéphanie Pillonca

Nicolas Marquis

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