Along for the Ride
Along for the Ride affiche

2016

Réalisé par : Nick Ebeling

Avec : Dennis Hopper, Satya De La Manitou, Julie Adams

Film fourni par Carlotta Films

Visionnaire de génie pour les uns, égocentrique dangereux pour les autres, rares sont les artistes à avoir autant polarisé les opinions que Dennis Hopper. D’enfant chéri du sérail hollywoodien à paria de l’industrie cinématographique, son périple s’écrit au gré de ses frasques et de ses turpitudes mentales, sources de sa folie créatrice mais aussi d’une douleur de vivre sous-jacente. D’abord interprète hypnotisant, ayant accompagné son grand ami James Dean dès ses débuts, Dennis Hopper gagne une nouvelle stature en 1969, en devenant réalisateur à l’occasion de Easy Rider. Chef-d’œuvre intemporel aux allures de photographie d’une Amérique en pleine métamorphose, son long métrage ne fait pas que asseoir son nouveau statut de metteur en scène : il bouleverse les normes du monde du septième art. Jamais un film indépendant n’avait rapporté autant d’argent, et Easy Rider confirme l’avènement du Nouvel Hollywood. Dennis Hopper devient alors une personnalité que l’on s’arrache, et pour laquelle les grands studios se livrent une guerre sans merci. Son deuxième film, The Last Movie, est attendu comme la confirmation de son talent, mais il se révèlera être la source de sa déchéance. Bien que salué par les critiques européens, le long métrage divise profondément public et producteurs, au point d’être un flop financier complet. Dennis Hopper n’est plus une valeur sûre, il est même proscrit, odieusement inscrit sur la liste noire des grandes firmes cinématographiques. Reclu dans sa villa de Taos, son propre Xanadu, où des quantités pharaoniques de drogues côtoient les armes à feu, il traverse le désert jusqu’à une renaissance d’acteur, puis de réalisateur, à la fin des années 1970. Une résurrection inespérée dans laquelle ses addictions le poursuivent néanmoins presque jusqu’à son décès en 2010. Qu’on l’adule ou qu’on le déteste, Dennis Hopper ne laisse personne indifférent, il s’impose comme un être hors du commun et aux facettes multiples.

Dès lors, comment capturer l’essence de son parcours et de sa personnalité par nature insaisissable ? Pour parvenir à transcrire cette épopée, le documentaliste Nick Ebeling part à la rencontre de Satya De La Manitou, ami intime de Dennis Hopper depuis le tournage de Easy Rider. Autour d’une tasse de café, le complice de l’acteur cinéaste confie ses souvenirs, faits d’extases artistiques, de descentes aux enfers dans les affres de l’addiction, et de renaissances perpétuelles. De cette entrevue naît le film Along for the Ride, sorti en 2016, mélange des confessions de Satya De La Manitou, d’images d’archives précieuses, et d’entrevues avec ceux qui ont côtoyé de près ou de loin Dennis Hopper. De la rencontre entre les deux frères spirituels à la mort de l’artiste mythique, Nick Ebeling remonte le fil des souvenirs de son interlocuteur, dans une mise à nue de la mémoire.

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Comme si l’âme de Dennis Hopper planait sur Along for the Ride et incitait les éditeurs du film à transcender eux même leurs propres limitations, Carlotta Films offre aujourd’hui un écrin tout à fait exceptionnel au documentaire. En agrémentant la sortie en Blu-ray d’un imposant livre de plus de 200 pages, Carlotta Films prolonge l’expérience proposée par Nick Ebeling en ajoutant une nouvelle dimension à la découverte du destin de l’acteur réalisateur. Film et ouvrage se répondent : la plupart des entretiens synthétisés dans Along for the Ride sont livrés en entier dans le recueil, tout en proposant un ensemble d’interventions inédites, également fruit des recherches du documentaliste. À travers les mots de ceux qui ont frôlé l’icône du septième art, au fil des pages, le lecteur spectateur est placé dans la peau de Nick Ebeling, tentant de mettre à jour la personnalité de Dennis Hopper à travers les dires de ses proches. Alors que dans le film, Satya De La Manitou plonge dans les archives de son ami disparu, le livre offre au public une sensation similaire, en collectant pêle mêle des photographies surprenantes, des bribes de scénario, des courriers adressés à Dennis Hopper, ou de simple ticket de cinéma. Le spectateur en possession de l’objet devient un chercheur de l’âme d’un homme hors du commun.

Même si Along for the Ride témoigne d’une passion intense pour Dennis Hopper, allant jusqu’à taire certaines de ses dérives les plus choquantes pour laisser place à un sentiment parfois étrangement bon enfant, il ne cesse de rendre compte de la trajectoire d’un cinéaste dépassé par son œuvre. À l’évidence, Nick Ebeling et Satya De La Manitou sont profondément amoureux de The Last Movie, et lui accordent une grande place dans le documentaire, mais ils en reconnaissent également les faiblesses. Harassé par la démesure de la tâche qui s’impose à lui, notamment au moment du montage du film, Dennis Hopper est assimilé à un Icare qui s’est brûlé les ailes devant son ambition débordante, drogues et alcool aidant. Dans son royaume de pacotille, à Taos, le cinéaste à perdu le fil de ses réflexions devant le défi de toute une vie, le blessant à tout jamais. Along for the Ride témoigne d’une empathie profonde pour Dennis Hopper, et dénonce implicitement la déchéance inhumaine imposée à son héros, seul face à l’empire des studios hollywoodiens et à leur désamour soudain. Rarement un homme aussi entouré que Dennis Hopper aura semblé aussi seul : le cinéaste à beau clamer qu’il “a des amis”, l’échec de The Last Movie l’a mortifié et plongé dans un enfer psychédélique.

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Cette forme de destruction perpétuelle, de déconstruction permanente, s’applique également à la pratique de la comédie de Dennis Hopper. Si sa déchéance est liée à son parcours de réalisateur chaotique, son renouveau provient de sa trajectoire d’acteur. Cependant, fervent adepte de La Méthode, Dennis Hopper semble laisser une part significative de sa psyché à chacune de ses interprétations, pour laisser place à celle de son personnage. L’acteur apparaît usé par une vie faite de dizaines de destins fictionnels, jusqu’à ne plus être vraiment lui-même mais plutôt un agglomérat improbable de toutes les partitions qu’il a jouées. Nombre de réalisateurs, Wim Wenders et David Lynch en tête, évoquent la faculté hors normes de Dennis Hopper à ne faire qu’un avec son rôle, au détriment de son équilibre mental. Along for the Ride laisse une grande place à la légèreté et aux anecdotes amusantes, mais dans un choix d’extraits significatifs, le documentaire restitue également une douleur ouverte. Ainsi, Dennis Hopper ne prétend pas jouer Frank Booth dans Blue Velvet, mais “être” le personnage. Son étrange rapport à la mort exacerbe la notion de déchirement propre à son approche du métier d’acteur : le comédien refuse l’utilisation de doublure ou de mannequins pour illustrer son cadavre, seul lui a le droit de se mettre ainsi en scène. Ironiquement, son ultime rôle sera celui de la mort elle-même dans Rendez-vous à Palerme.

S’il est permis au sortir de Along for the Ride d’éprouver une forme de fascination naturelle pour l’influence de Dennis Hopper sur le septième art, Nick Ebeling accorde une importance capitale à également mettre en image la passion sans borne du cinéaste pour l’art en général. Dennis Hopper s’affranchit des barrières de disciplines jusqu’à devenir un photographe reconnu, dont certains des plus beaux clichés sont disponibles dans le livre accompagnant l’édition de Carlotta Films. L’artiste pose un regard sur le monde, une vision acide des rues des métropoles américaines, ou bien planantes des paysages du Pérou. Si le style Dennis Hopper porte en lui une forme de mélancolie, il n’en reste pas moins le fruit d’un émerveillement constant devant les forces créatives. Ainsi, la récitation du poème If de Rudyard Kipling dans une émission télévisée de Johnny Cash se découvre comme l’une des performances les plus saisissantes de l’acteur. À plus fortes raisons, Dennis Hopper se dévoile également comme un collectionneur d’art moderne insatiable, véritable dénicheur de talent, pouvant notamment se vanter d’être un des premiers acheteurs d’œuvres de Andy Warhol. Au crépuscule de sa vie, l’artiste confesse même que sa plus grande fierté vient de l’assemblage large de peintures et de sculptures qu’il a accumulé, comme si soutenir d’autres créateurs était plus important que son propre parcours.

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Mais dans l’ombre du géant torturé, la figure complice et parfois protectrice de Satya De La Manitou apparaît indissociable de celle de Dennis Hopper. Dans les plus grands succès comme dans les plus cruelles rechutes dans le monde de l’addiction, l’ami de l’icône veille et accompagne chacun des pas de son mentor. Satya De La Manitou n’a rien d’un mégalomane, et avoue que s’il ne pouvait exister qu’un Dennis Hopper, une multitude d’être similaire à lui-même peuplent Hollywood. Néanmoins, leur amitié dépasse les bornes d’une simple entente pour s’affirmer comme un lien inaltérable, forgé dans le feu des épreuves. Au plus mal d’une cure de désintoxication, c’est bien la compagnie de Satya De La Manitou qu’implore Dennis Hopper. Au moment de voir son étoile installée au Walk of Fame, c’est également à son frère de cœur que l’acteur mythique consacre les premiers mots de son discours, à la recherche de sa présence bienveillante. L’un et l’autre sont unis, et dans un élan émotionnel intense, le documentaire se conclut sur une déchirante visite de la tombe de Dennis Hopper, qui éprouve Satya De La Manitou au plus profond de sa chair.

Davantage qu’un film, cette nouvelle édition de Along for the Ride signée Carlotta Films offre une expérience nouvelle. Le pari du portrait intime d’un artiste insaisissable est réussi.

Along for the Ride est disponible chez Carlotta Films dans une superbe édition Blu-ray, accompagné d’un livre de plus de 200 pages recensant des entretiens et des photographies d’archives précieuses. En bonus du film, vous pourrez retrouver :
. Retour à Chinchero
. Enregistrer la bande originale de “Along for the Ride”
. 6 scènes coupées
. Bande-annonce

Nicolas Marquis

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