(Turning Red)
2022
Réalisé par : Domee Shi
Avec : Rosalie Chiang, Sandra Oh, Ava Morse
Film vu par nos propres moyens
À seulement 33 ans, Domee Shi s’affirme comme une valeur montante des studios Pixar, dont elle est une protégée depuis ses débuts en 2011. En parallèle de son rôle de pure technicienne sur les grosses productions Vice-versa, Les Indestructibles 2 et Toy Story 4, la canadienne d’origine chinoise se transforme en cinéaste accomplie avec ses deux premiers films. Comme souvent au sein de la firme à la lampe de chevet virevoltante, la forme courte est le premier pas vers l’épanouissement artistique total. En 2018, la réalisatrice signe ainsi les 8 minutes poétiques du très remarqué Bao, qui confine à l’hommage adressé à sa propre mère tout en rendant honneur à ses racines asiatiques. Les thèmes fétiches d’une artiste en pleine éclosion s’affichent pour la première fois sur les écrans. Le premier long métrage de Domee Shi, Alerte rouge, sorti en 2022, s’inscrit dans le prolongement de son premier essai. De nouveau, rapport maternel et héritage culturel se marient, pour cette fois épouser le point de vue d’une jeune fille qui découvre l’âge adolescent avec panache. Si le film n’a pas eu les honneurs d’une sortie cinéma et a été uniquement diffusé sur Disney +, il n’en a pas moins été apprécié de la critique et du public, au point de figurer dans la liste des nommés aux prochains Oscars, dans la catégorie “ Meilleur film d’animation”. La metteuse en scène voit le chemin d’une gloire naissante s’ouvrir, et annonce déjà fièrement auprès de la presse qu’Alerte rouge n’est qu’une nouvelle étape de son mariage passionnel avec Pixar, qui entend bien la propulser tout prochainement à la tête d’un nouveau projet.
À plusieurs générations d’écart et du haut de ses 10 ans, notre jeune complice Tsuyu est une autre enfant de Pixar. Évidemment uniquement spectatrice, même si ses cahiers de dessins trahissent son âme rêveuse, notre partenaire des Kids Corner est bercée depuis son plus jeune âge par les aventures de Woody, Nemo et Flash McQueen. Au seuil de l’adolescence, la sortie d’un nouveau film de la firme reste un événement attendu impatiemment par cette jeune fille actuellement en pleine ouverture vers le septième art et qui ne cesse d’élargir son horizon artistique. Comme à l’accoutumée dans cette rubrique spéciale de notre site, le regard analytique des parents ne compte pas, seul ce que Tsuyu a compris d’Alerte rouge a son importance, entre réussite légère mais aussi échecs ponctuels. Le Kids Corner traduit les émotions d’une enfant, pour permettre aux parents d’aborder le long métrage en compagnie de leur famille en toute connaissance de cause.
Mei (Rosalie Chiang), l’héroïne d’Alerte rouge, est âgée de 13 ans et partage difficilement sa vie entre son quotidien de collégienne proche de ses amis et ses obligations familiales. D’origine asiatique, les siens ont la charge d’un temple au cœur de Toronto, témoignage de la mémoire de leurs ancêtres et des figures historiques qu’ils vénèrent. L’adolescente aide chaque jour ses parents à l’entretien des lieux, assumant une part significative de son patrimoine culturel. Toutefois, Mei reste une jeune fille comme les autres qui commence à appréhender le monde sous un prisme nouveau. Ses premiers amours s’affichent à l’écran, mais la mère de la protagoniste, Ming (Sandra Oh), est fortement angoissée à l’idée de voir son enfant se détacher progressivement d’elle pour céder à ses nouvelles obsessions. Surprotectrice, l’aïeule étouffe Mei d’un amour mal exprimé, et empêche la protagoniste de cultiver son propre jardin secret. Un soir de colère, l’extériorisation des émotions tourmentées de la jeune fille prend une forme surprenante. Comme par enchantement, Mei se transforme en gigantesque panda roux et éprouve bien de la peine à retrouver son aspect normal. L’héroïne découvre alors que chaque femme de sa famille est frappée de la même malédiction et que seul un rituel mystique permet de s’en débarrasser. Une fois la surprise digérée, Mei entreprend dans le plus grand secret d’utiliser sa forme animale pour vendre des photos et produits dérivés afin de financer son rêve le plus cher, obtenir des places de concert pour la venue au Canada du boys-band dont elle et ses amies sont fans.
Le mélange des cultures est au centre d’Alerte rouge, qui ne cessent jamais de confondre à l’écran les influences propres à l’Asie et à l’Amérique du nord pour dépeindre un univers où la diversité est perçue comme une chance. Toronto est une ville célèbre pour sa mixité dont les habitants sont particulièrement fiers. Tsuyu ignorait cette particularité de la cité canadienne, mais a été apte à le découvrir en voyant se succéder à l’écran des évocations de multiples religions cohabitant dans l’harmonie. Le cocon soyeux qu’offre le film séduit le jeune spectateur qui se nourrit des différences. Les origines chinoises propres à la famille de Mei reste néanmoins l’axe central du récit, sans pour autant que Domee Shi ne cède à la candeur. Notre complice des Kids Corner a ainsi clairement vu la transformation en panda roux comme une métaphore du leg culturel, aussi bien porteur de joie que de peine. À travers les générations, une identité se perpétue, de mère en fille. Faire ainsi de la protagoniste du film une gardienne du temple dès son plus jeune âge a semblé pertinent à Tsuyu qui a parfaitement assimilé la dualité qu’il existe entre l’importance d’entretenir le souvenir de ses racines, mais aussi la responsabilité démesurée que doit assumer Mei alors que l’héroïne est une jeune fille qui souhaite s’épanouir.
En poursuivant cette idée, notre jeune partenaire a décrit Mei comme libre, aventureuse, mais aussi parfois agaçante et têtue. Autant de traits de caractère que Tsuyu reconnaît posséder et qui devraient permettre une forte identification des adolescentes à l’héroïne qu’Alerte rouge veut ostensiblement faire naître. Pourtant, dans un échec cuisant, jamais notre complice ne s’est sentie proche de la protagoniste du récit, au caractère trop affirmé pour être réellement attachant. L’exagération constante et le manque de subtilité ont profondément entaché l’adhésion au personnage, faisant du film le regard tronqué d’une femme adulte sur ses jeunes années, davantage qu’une aventure fantastique et universelle. Les crises de colère de Mei n’ont ainsi pas été perçues comme un propre de l’adolescence que vit pourtant déjà Tsuyu, mais simplement comme une excentricité de l’héroïne, faisant ainsi s’effondrer tout un axe de lecture du film. Alerte rouge est trop tranché dans sa caractérisation pour émouvoir notre complice, qui comprend tout au plus qu’au terme du périple, Mei s’est acceptée et a trouvé la paix, sans que cela ne guide le spectateur vers une quelconque sérénité personnelle. Le message profond n’a pas quitté l’écran pour envahir la psyché de notre spectatrice privilégiée. Presque sans cesse, Alerte rouge emploie un montage saccadé pour transcrire le caractère de son personnage principal, mais là encore, difficile pour les plus jeunes, déjà habitués à des contenus brefs sur internet, de déceler la subtilité du langage cinématographique de Domee Shi. En voulant fédérer absolument petits et grands, la cinéaste fait peut-être l’erreur de ne séduire totalement personne.
Davantage que la protagoniste exubérante, ce sont les relations humaines et essentiellement filiales qui ont interpellé Tsuyu. Sans transposer là non plus son propre vécu, notre jeune complice a parfaitement réussi à comprendre le déséquilibre des rapports de forces Mei et Ming, qualifiant leur union de défaillante. Le refus de l’intimité accordée à l’adolescente a ainsi marqué notre spectatrice, partiellement choquée par le manque de tact absolu et exagéré d’une mère qui ne sait pas comment concilier son amour et le lâcher-prise. S’il semble évident pour un public adulte que le panda roux est une manifestation de l’adolescence, pour Tsuyu, c’est avant tout une matérialisation métaphorique d’une colère légitime contenue par la protagoniste jusqu’à l’explosion. L’accession à l’harmonie ne peut néanmoins se concevoir sans qu’enfant et parent face un pas l’un vers l’autre. Notre partenaire des Kids Corner s’est montrée parfaitement satisfaite de la résolution de l’intrigue qui invite à un nouvel équilibre, certes attendu, mais surtout que cette symbiose soit le fruit d’un effort mutuel d’acceptation de l’autre.
Puisque s’attacher à Mei semble difficile, notre complice s’est rabattue sur les amis de l’héroïne pour se transposer dans le récit. Nouveau petit constat d’échec pour Alerte rouge puisque les personnages les moins creusés semblent être ceux qui ont le plus emporté l’adhésion de Tsuyu. Unis à l’extrême, le cercle de copines loufoques de la protagonistes incarnent une sincérité, une pureté et une retenue plus à même d’interpeller notre jeune camarade, au point d’évoquer un semblant de ressemblance avec ses propres amitiés. L’union fusionnelle des adolescentes du récit reste néanmoins dénoncée comme exagérée par notre complice, qui aurait tendance à rester hermétique à la grotesquerie volontaire du film. Alerte rouge devrait lui parler directement mais une fois de plus, une forme de lourdeur ressentie l’empêche de s’immerger totalement dans le récit. Cependant, associer la plénitude et l’épanouissement de l’âme aux copines de Mei, beaucoup plus qu’à sa famille, est une idée qui a marqué notre cobaye totalement volontaire. Elle a ressenti là une façon pertinente d’exprimer un réconfort face aux tourments de l’âge adolescent, qui ne se trouve plus simplement dans le cadre de l’amour filial mais surtout dans une ouverture aux autres. Dommage néanmoins que la qualité de l’écriture de Domee Shi concernant les filles de la bande ne se transpose pas aux personnages masculins et notamment aux amours de Mei. Des romances de l’adolescence censées constituer un pivot du film, Tsuyu n’a absolument rien admis, trouvant que le film cède à une exagération grossière.
Si l’adhésion au personnage principal est complexe et si les thèmes forts apparaissent parfois difficiles à admettre en l’état, que reste-t-il à Alerte rouge pour convaincre une jeune spectatrice ? En creusant un peu, peut-être que l’obsession de Mei pour le boys-band est finalement ce qui rapproche le plus notre complice et l’héroïne du film. Tsuyu, même si elle est critique par rapport à sa propre attitude, comprend que la protagoniste soit prête à tout pour réaliser son rêve, dépassée par son ambition, même si faire commerce de son apparence ne lui a étrangement pas semblé condamnable, et n’est d’ailleurs que relativement peu mis en accusation par le film. La poursuite de l’argent est assimilée à une étape nécessaire vers l’indépendance et à une façon de renforcer les liens d’amitié, sans réflexion sur la forme inquiétante que prend cette démarche. Dans un long métrage qui a profondément divisé notre jeune complice, même cette poursuite d’un idéal a toutefois été contrastée. Jamais Tsuyu n’a réussi à comprendre la défiance de Ming envers le groupe, trouvant là que l’aïeule de Mei souffrait une fois de plus de vraies lourdeurs scénaristiques.
La note de Tsuyu :
Si le temps d’un film, Alerte rouge réussit à capter l’attention de Tsuyu, le long métrage échoue à laisser une trace durable chez notre jeune spectatrice, qui bien que directement concernée, n’en ressort pas grandie.
Alerte rouge est disponible sur Disney +.
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