2022
Réalisé par : Maxim Arbugaev et Evgenia Arbugaeva
Avec : Maxim Chakilev, des morses (plein)
Film vu par nos propres moyens
Les morses vivent la plupart de leur temps sur la banquise. Malheureusement, le changement climatique réduit considérablement les surfaces disponibles, contraignant ces gros mammifères marins à migrer afin de trouver le repos nécessaire entre les plongées pour se nourrir. Des milliers de morses parcourent donc des distances de plus en plus grandes et doivent même se réfugier sur des rivages lorsqu’il n’y a plus de glace disponible. Sur terre, ils se rassemblent en grands groupes appelés “échouages” ou “haulouts” en anglais, où, exténués par leur périple, nombre d’entre eux meurent, en particulier les plus jeunes.
Sur une plage de l’Arctique russe, le biologiste marin Maxim Chakilev vit seul, du moins à l’écran, dans une cabane décatie. Accompagné, en fait, pendant trois mois par les réalisateurs, les frères et sœurs Maxim Arbugaev et Evgenia Arbugaeva, il attend un arrivage annuel massif de morses, toujours plus nombreux chaque année, poussés sur les rivages par la fonte des glaces. L’attente est une part importante de la vie de Maxim et les deux cinéastes la retranscrivent très bien car si les morses sont le vrai sujet du film, ils sont complètement absents des premières minutes.
Avant que les morses n’arrivent, Maxim les attend, dans sa cabane ou sur le toit, muni de simples jumelles, tuant le temps avec des mégots de cigarettes ou en buvant un café que l’on devine assez sommaire. Il fait preuve de patience et le spectateur avec lui, tout en se délectant de la magnificence des paysages de cette Sibérie méconnue. La volonté manifeste des deux cinéastes est à ce stade du récit, l’immersion dans le quotidien répétitif et rugueux du scientifique. Maxim vit seul, ne parle que très peu, et uniquement à son dictaphone, et les informations, que le spectateur peut glaner sur son activité, ne proviennent que d’indices épars. Toujours dans une volonté immersive, parallèlement aux images, le son est également d’une importance primordiale, et ce dès les premiers plans, car les bruits de la mer et du vent rendent parfaitement compte de la dureté et de l’aridité de la région.
À l’arrivée soudaine des morses, la scène la plus spectaculaire du film, ce jeu constant entre ce que l’on voit et ce que l’on entend continue et la force évocatrice est cinématographiquement exceptionnelle. Après avoir quitté Maxim pour la nuit, bercé par une lumière blafarde et le vent qui cogne contre le bois de sa cahute, Maxim et Evgenia, dans une séquence digne d’un film d’horreur, choisissent un noir complet, accompagné de bruits mystérieux et de grognements, jusqu’alors absents; ceux d’une nouvelle présence que l’on devine potentiellement dangereuse. Maxim découvre alors l’arrivée pendant son sommeil de dizaines de milliers de morses sur sa plage reculée de Sibérie.
Pour tenter d’effrayer le moins possible ces nouveaux arrivants, Maxim et les deux cinéastes, restent dans la cabane et observent ces mammifères à travers une porte ouverte, ou les nombreuses fissures présentes entre les murs. Ces monstres marins, s’ils semblent inoffensifs pour Maxim, sont impressionnant de par leur taille mais surtout de par leur nombre qui fait plus songer à un essaim d’insectes qu’à un rassemblement de mammifères de plusieurs centaines de kilos chacun. Maxim Arbugaev et Evgenia Arbugaeva utilisent alors même l’humour dans une séquence émouvante où Maxim, muni d’un balai, tente de chasser un morse qui essaie de s’introduire dans sa cabane, probablement autant effrayé par cette présence humaine que poussé par l’envie de fuir la promiscuité excessive avec ses congénères. L’impact sur le spectateur est toutefois bien réel et l’utilisation d’une caméra montée sur un drone permet également, le temps d’un plan, d’encore mieux apprécier l’importance de ce phénomène d’échouage.
Haulout, de par la puissance de ses images, qui émerveillait jusque là le spectateur réceptif à ce phénomène naturel exceptionnel, prend un tournant dramatique dans sa troisième partie puisque suite à l’admiration succède l’effroi lors du départ des mammifères et la réalisation de la catastrophe qui s’est déroulée sous nos yeux. La colonie de morse a laissé derrière elle de très nombreux cadavres d’animaux trop exténués pour repartir. Des cartons explicatifs bienvenus expliquent alors au spectateur que le phénomène ne fait que s’amplifier suite au réchauffement climatique et que la population de morse vivant dans cette région ne pourra que décroitre. L’émerveillement à fait place à la tragédie, l’impact de l’activité humaine frappe même les zones les plus reculées du monde .
Haulout est un documentaire lent et hypnotique dans sa première partie avant de révéler l’importance de son message. La préservation de la planète est une évidence sans cesse bafouée qui frappe de plein fouet les populations de morses obligées de fuir leurs zones d’habitats naturels. Un film nécessaire.
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