Une robe pour Mrs. Harris
Une robe pour Mrs. Harris affiche

(Mrs. Harris Goes to Paris)

2022

Réalisé par : Anthony Fabian

Avec : Lesley Manville, Isabelle Huppert, Lambert Wilson

Film vu par nos propres moyens

En 1958, l’auteur Paul Gallico donne naissance au personnage fantasque de Mrs. Harris. Dans un récit oscillant entre humour et ingénuité, l’écrivain esquisse pour la première fois les contours d’une héroïne qui allait durablement marquer sa carrière. Si l’auteur reste également célèbre pour ses ouvrages L’oie des neiges et L’aventure du Poséidon, sa série de romans autour de cette femme de ménage londonienne apparaît comme un fil rouge de son oeuvre. En quatre romans distincts, tous de véritables succès de librairie, l’artiste emploie sa plume pour faire voyager sa création, entre la France, New York et Moscou. Candide par nature, Mrs. Harris apprend les us et coutumes de chacune des contrées qu’elle découvre et fait de chaque rencontre une leçon de vie, dans des récits qui prennent l’apparence de contes moraux. Des fleurs pour Mrs. Harris, la première étape de cette saga littéraire, transporte ainsi l’humble veuve des faubourgs anglais jusqu’au quartiers huppés parisiens et fait vivre à l’héroïne un grand écart social propice à souligner les inégalités de l’après-guerre. Malgré la renommée de chaque livre, plus de 70 ans auront été nécessaires pour que Mrs. Harris quitte le papier afin d’investir le monde du cinéma. Plusieurs téléfilms la mettant en scène ont émaillé le XXème siècle, mais jamais le septième art n’avait posé son regard sur l’héroïne débonnaire. Reprenant la trame du premier ouvrage, Une robe pour Mrs. Harris, de Anthony Fabian, opère cette réunion attendue par les adeptes de Paul Gallico. Malheureusement, le film se révèle être un échec total qui s’apparente davantage à une torture artistique de chaque seconde qu’à une virée légère et enjouée.   

La base du récit originel est pourtant la même. Mrs. Harris (Lesley Manville) est une modeste servante londonienne qui vit des maigres revenus obtenus en faisant le ménage chez les habitants fortunés de la capitale anglaise. Seule depuis des années, la protagoniste entretient le maigre espoir que son mari parti à la guerre reviendra un jour. Lorsqu’elle apprend le décès de son compagnon dans un accident d’avion, Mrs. Harris se retrouve désemparée et décide d’utiliser la pension que lui octroie l’armée pour accomplir son rêve le plus fou, se rendre à Paris afin d’acquérir une onéreuse robe de la maison de haute couture Dior. Sur place, elle se heurte à la bourgeoisie française et à ses codes qu’elle ne maîtrise pas. Heureusement, la bonté excessive d’une galerie de personnages secondaires insipides lui permet d’accomplir son curieux projet.

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Implicitement, Une robe pour Mrs. Harris fait de la robe espérée un transfert de l’amour de la protagoniste. Désormais livrée à elle-même et dépourvue de ses derniers espoirs de retour de son mari, l’héroïne transpose son affection sur un bien matériel. Dans ce qui est sa seule idée de mise en scène intéressante, même si ostensiblement grossière, Anthony Fabian trace un trait d’union visuel entre le brillant de l’alliance que rendent les gradés militaires à Mrs. Harris et celui des strass du vêtement de chez Dior que convoite la veuve. À travers une succession de plans maladroits et de goût douteux, le réalisateur invite Lesley Manville a proposer un émerveillement complètement surjoué face à la création de mode, et bouleverse l’unité esthétique d’un long métrage d’ordinaire absolument banal. Une première fois, le cinéaste emploie les miroirs présents dans son décor pour donner une perspective infinie à la découverte de la robe, avant d’utiliser un effroyable travelling contrarié pour restituer l’extase de la britannique face à la découverte d’un défilé de haute couture. Dans les premiers instants d’Une robe pour Mrs. Harris, la protagoniste abandonne son alliance dans la Tamise londonienne, et la fin du film réutilise pareille mise en scène, lorsque l’héroïne se défait de la robe qu’elle a achetée, achevant le parallèle entre la perte du mari et l’ambition d’assouvir son rêve. Toutefois, malgré cette note finale, jamais le déroulé du film n’interroge sur la pertinence de se lancer à corps perdu dans la quête d’une possession matérielle et passe ainsi complètement à côté de son sujet. Mrs Harris possède des qualités de cœur indéniables, voire complètement fantasmées, mais son désir de s’inscrire dans une haute société au fonctionnement contraire à ses valeurs profondes est perpétuellement montré comme naturel et même idiotement nécessaire, sans aucune cohérence avec la morale de l’histoire. Un metteur en scène et pas moins de quatre scénaristes unissent leurs efforts pour démontrer qu’ils n’ont absolument rien compris au roman originel et qu’ils sont prêts à tout pour trahir l’âme du récit de Paul Gallico. La fin du long métrage est l’apogée de cette perversion du message de l’auteur. Dans le roman, Mrs Harris se défait de la robe et comprend que ce sont les rencontres qu’elle a faites qui l’ont enrichie. Dans le film, la protagoniste est récompensée de son sacrifice par une nouvelle robe offerte altruistement par Dior, laissant à penser que l’élévation de l’esprit compte peu en comparaison de la possession.

Le geste final généreux du créateur de mode est symptomatique d’une candeur exaspérante qui plane sur absolument tout le long métrage. Mrs. Harris est une intruse dans un monde qu’on devrait percevoir comme réticent à sa venue, pourtant, en permanence et sans aucune raison valable, presque la totalité des personnages fortunés lui vient en aide dans des envolées scénaristiques dignes d’un programme télévisée pour les plus petits. Une robe pour Mrs. Harris est le fruit d’une équipe créative devenue démente, qui exerce une influence démiurge sur le récit dans une succession d’incohérences irraisonnées et de retournements de situation strictement impossibles à admettre pour le spectateur. Ainsi, Mrs. Harris est perdue à sa sortie de l’avion qui l’emmène à Paris et perçoit la précarité de notre capitale, mais fort heureusement, les sans domicile fixe avinés acceptent immédiatement de la guider dans les rues durant vingt minutes de marche, jusqu’à la maison Dior. Sans que l’on sache réellement pourquoi, les sympathiques clochards se révèlent par ailleurs experts en philosophie et mettent un point d’honneur à citer Jean-Paul Sartre, à l’instar de presque tous les français du film. En épousant un registre proche du conte de fée, un genre évoqué dans les dialogues, mais sans jamais pleinement l’assumer, le film évolue dans un terrain vierge entre vision d’une réalité oppressante et récit fantastique, sur lequel rien de solide ne peut se bâtir. La naïveté du long métrage n’en serait pas excusée, mais la magie du réconfort que prodiguent les autres à Mrs Harris pourrait se voir comme un idéal, une ultime bouée de sauvetage lancée à une femme noyée sous le chagrin et un quotidien précaire, si seulement Anthony Fabian s’était un tant soit peu donné la peine de faire éprouver au public la détresse de la veuve. En refusant l’expression du moindre sentiment pessimiste, Une robe pour Mrs. Harris rate ainsi complètement sa phase d’introduction et empêche la critique sociale qui aurait pu sauver la suite de ce naufrage. Non seulement les employeurs de la protagonistes sont parfaitement charmants, mais en plus, la femme de ménage s’extasie de nettoyer le moindre de leur déchets dans une ferveur absolue. Mrs Harris est une femme précaire et harassée par son labeur, mais est profondément heureuse de sa condition, hantant le spectateur de son sourire démoniaque. Anthony Fabian semble ravi de la servilité des plus démunis, qu’il imagine spontanée face à toutes les gentillesses de la population riche.

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Ce qui devait être une comédie légère et humaniste devient alors un plaidoyer politique particulièrement douteux. En faisant l’expérience du monde de la bourgeoisie, Mrs Harris ne prend pas conscience des inégalités mais est invitée à rejoindre sa place dans le rang des serviteurs. Non seulement le long métrage nous montre qu’une fois le rêve fini, elle n’aura d’autre solution que de redevenir une prolétaire corvéable sans espoir d’autre futur, mais dans un nouvel élan nauséabond, il fait de la protagoniste la propre artisane de son retour au bas de l’échelle sociale. Un semblant de sens naïf pourrait expliquer ce choix si les valeurs de cœur ne se retrouvait que parmi les plus démunis, mais Une robe pour Mrs. Harris annihile cette idée puisque dans la logique déviante de Anthony Fabian, tout le monde est profondément altruiste. À travers une succession de scènes exécrables, son œuvre souffle l’idée puante que certaines personnes ne sont bonnes qu’à servir les autres et que leur nature profonde les y invite. Ainsi, Mrs Harris n’a besoin de l’ordre de personne pour se mettre à faire le ménage chez le comptable de la maison Dior, ni pour se mettre à coudre avec les ouvrières de la firme. L’espoir d’un soulèvement populaire s’installe lors d’une scène de protestation des employées, sans la moindre ampleur visuelle, mais les travailleuses ne réclament jamais une amélioration de leur condition, simplement la préservation de leur statut de larbin. À ce titre, l’ouverture commerciale de la maison Dior vers des classes moins aisées n’est pas le fruit d’une réflexion qu’a portée l’héroïne du film, mais bien d’un éclair de génie fulgurant d’un cadre de l’entreprise. Les puissants imposent, les oppressés disposent dans l’allégresse. La lamentable vision des luttes pour l’égalité d’Une robe pour Mrs. Harris se synthétise autour d’une grève des éboueurs qui frappe Paris. Anthony Fabian se désintéresse outrageusement de cette couche du récit au point de ne jamais la traiter au-delà des problèmes de circulation que crée la révolte dans la capitale. Lorsque les manifestants se perçoivent à l’écran, ils sont en général une dizaine, preuve de l’importance que le cinéaste accorde à la parole des précaires.

En plus d’un univers dépeint pathétique de candeur et effroyable dans les messages profonds qu’il porte, le film s’autorise à le parachever d’une dynamique entre personnages qui ne répond à aucun sens commun. Outre le fait que Paris semble mesurer une centaine de mètres carrés et qu’au détour d’une rue on finit toujours par croiser un visage connu, faisant de la métropole un village, l’évolution des relations entre les personnages n’est pas juste prévisible, elle est hurlée au visage du public par un réalisateur incapable de créer la moindre surprise. Une robe pour Mrs. Harris est si attendu qu’après vingt minutes déjà regrettables, il apparaît évident qu’Anthony Fabian n’a plus rien du tout à raconter. Le long métrage tente de se donner une fausse contenance en citant, une fois de plus, Jean-Paul Sartre, mais loin de comprendre la substance profonde de l’auteur qui devait simplement être la seule référence littéraire française du cinéaste, les écrits du philosophe ne sont qu’un artifice grossier pour unir deux personnages dont la romance évidente n’échappe qu’à leur propres yeux. Le manque constant d’antagoniste dans le récit balise encore davantage un chemin parcouru aux allures de calvaire pour le spectateur. La secrétaire de Dior qu’incarne Isabelle Huppert assume un temps cette charge, avant qu’elle ne se révèle être sympathique, puisque de toute façon dans le monde d’Une robe pour Mrs. Harris, la méchanceté n’existe pas. Anthony Fabian est soit incapable de retranscrire à l’écran les disparités des années 1950, soit il n’y voit aucune forme de problème de société. Dans les deux cas, un changement de carrière s’impose.

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Comme une tentative vaillante d’être l’échec le plus cuisant possible, Une robe pour Mrs. Harris se paye le luxe d’être une horreur visuelle absolue. Passe encore le maniement de la caméra qui alterne expérience de mauvais téléfilms et coup de coude sans réelle signification narrative à certains cinéastes que le réalisateur doit admirer énormément, mais comment pardonner l’amateurisme constant de la reconstitution d’un Paris fait de plastique et de carton pâte, au point de faire passer les sitcoms des années 1980 pour un El Dorado esthétique. Tourné presque entièrement à Budapest, le long métrage pense jeter de la poudre aux yeux du spectateur en l’agressant de clichés qui cachent la misère d’une direction artistique démissionnaire. Les scènes sur les quais de Seine, le panorama sur une fausse tour Eiffel et un Sacré-Coeur artificiel, ainsi que la balade sur le marché aux fleurs subtilement nommé “Fleurs de France” ne suffisent pas à masquer l’incompétence d’une équipe technique qui a dû faire ses repérages sur des cartes postales. Même les robes, censées être l’apogée de l’œuvre et qui valent pourtant une nomination aux Oscars à Une robe pour Mrs. Harris semblent de goût douteux. Jenny Beavan s’inspire parfois de véritables créations Dior, mais dès qu’elle s’en écarte, elle se joint à l’infernale manège de la décrépitude artistique qu’empruntent tous les participants au film. L’âme meurtrie par le scénario, les yeux boursouflés par l’hideuse patte graphique, il ne reste plus au public qu’à faire le deuil de ses oreilles lors des nappes sonores vraisemblablement élaborées dans le but de faire souffrir le spectateur, et qui se payent en plus le le luxe d’être omniprésentes, comme si Anthony Fabian n’était plus à un crime près.

Non content de la niaiserie de son scénario, Une robe pour Mrs. Harris s’offre le plaisir sadique d’y adjoindre un message détestable et une direction artistique calamiteuse. Assurément l’un des pires films de la cuvée 2023 des Oscars.

Nicolas Marquis

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