(Shinboru)
2009
réalisé par: Hitoshi Matsumoto
avec: Hitoshi Matsumoto, David Quintero, Luis Accinelli
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Symbol” de Hitoshi Matsumoto.
Dans une pièce blanche, comme aseptisée, se réveille un japonais (Hitoshi Matsumoto, acteur principal, scénariste et réalisateur du film) en pyjama coloré. Tout autour de lui, recouvrant les murs et jonchant le parquet trônent d’étranges sculptures rappelant les attributs masculins. À chaque pression sur l’un des appendices, un objet complètement inutile apparaît. Prisonnier de ces lieux étranges, notre héros désespère. Pendant ce temps au Mexique, Escargot Man, un lutteur mexicain, s’apprête à monter sur le ring pour un combat qui semble perdu d’avance. Deux histoires distinctes qui ne semblent avoir aucun lien et qui vont se dérouler en parallèle.
Dit comme ça, il y a fort à parier que le résumé de “Symbol” siège sans doute au Panthéon des pitchs les plus loufoques de l’Histoire du cinéma. Nous-même, boulimiques de septième art, devons nous creuser la tête de longues minutes pour entrevoir plus bizarroïde que la proposition de Hitoshi Matsumoto. Ceci dit, à bien y réfléchir et si vous êtes des lecteurs assidus de notre humble site, il n’y a rien de surprenant à voir le réalisateur nippon se complaire dans tant d’originalité, lui qui signera par la suite des oeuvres aussi perchées que “Saya Zamuraï” ou “R100” dont nous avons déjà parlé précédemment. Matsumoto fait partie de ces artistes qui posent un regard unique sur la vie et ses aléas, cherchant par leur logique d’apparence désordonnée à faire sens du monde qui les entoure et on se laisse volontiers entraîner dans l’étrangeté par l’intermédiaire de ce rêveur-cinéaste.
Drôle. C’est le premier mot qui caractérise “Symbol” et c’est sans doute l’élément moteur du long métrage. Impossible de rester impassible devant la grammaire cinématographique du réalisateur qui impose au fil de la pellicule une science de l’humour. On éprouve devant le film le même sentiment que devant de vieux cartoons: le personnage qu’incarne Matsumoto est proche de Coyote, Sylvestre ou Tom des Looney Tunes. C’est un héros un peu looser, souvent marqué physiquement par les élucubrations qui sont les siennes qu’on admire et qui nous invite à rire aux éclats. Gags sur gags, sur un train d’enfer, on prend un plaisir vicieux à voir cet homme innocent subir les pires outrages.
Des péripéties un brin potaches mais suffisamment construites pour ne pas tomber dans la facilité. Matsumoto apparaît très à l’aise pour varier le tempo dans son film, comme on le soulignait déjà pour “Saya Zamuraï”. Certains rebondissement se font dans l’immédiat tandis qu’à d’autres instants, Matsumoto va chercher à construire des attentes chez le spectateur pour mieux prendre le contrepied. Aussi farfelu soit l’histoire de “Symbol”, le cinéaste reste maître de son domaine et nous ballade pour mieux nous gifler.
« Oui? Une question? »
Une maîtrise rendue possible par l’interprétation de Matsumoto: il est presque strictement impossible d’imaginer un autre acteur occuper le rôle que s’attribue le réalisateur tant la fusion avec son personnage semble totale. C’est un véritable numéro de clown qu’offre le cinéaste et ce n’est pas son pyjama bariolé de couleurs vives qui viendra contrarier ce constat. La place qu’occupe Matsumoto donne également une autre dimension au film: en voyant concrètement l’auteur du film actionner tous les leviers possibles pour faire avancer son œuvre, le plus souvent en vain, on peut voir dans la performance du japonais une réflexion intrigante autour de la place du créateur.
Mais on aurait tort de réduire le talent de Matsumoto au simple rang de bouffonnerie. Certes, il n’est pas le plus grand manieur de caméra qu’on ait connu, mais il se dégage une atmosphère particulière des couleurs qu’arbore “Symbol”. Le contraste entre les objets qui apparaissent et le blanc presque immaculé de la pièce où est enfermé notre héros donne une stature particulière à ces accessoires volontairement inutiles. Dans l’optique de disséquer un peu plus la patte Matsumoto, le montage du long métrage semble aussi maîtrisé, un parfait métronome de la folie ambiante qui n’hésite pas à casser parfois la structure du récit pour jouer la carte de la surprise toujours plus barjot.
Alors que se cache-t-il derrière une œuvre aussi singulière? Sans conteste, et à l’instar de “R100”, “Symbol” semble vouloir théoriser autour du sentiment de frustration que chacun éprouve un jour dans sa vie. Le traitement que se réserve Matsumoto est profondément injuste et la gratuité des sévices qu’il s’inflige force ce constat. Un jeu délicieusement pervers s’instaure avec le spectateur, une sorte de pacte de la décadence, un labyrinthe scénaristique qui n’offrirait finalement aucune sortie, simplement un dédale de bizarreries. En découpant son film en deux segments et une ouverture (Apprentissage, Mise en pratique et Futur), c’est presque même la vie dans son ensemble et dans ce qu’elle a de plus agaçante que veut synthétiser Matsumoto. Cet “Apprentissage”, c’est celui de l’insatisfaction.
Soyons toutefois honnêtes: en vous penchant sur “Symbol”, vous pourrez y voir des choses totalement différentes. Le film possède cette capacité à résonner en chacun de nous d’une façon différente, à faire vibrer des cordes opposées de nos âmes de spectateurs. On ne peut pas vous donner d’analyse claire sur le long métrage tant celui-ci reste cryptique, on peut simplement vous faire une promesse: “Symbol” est une expérience cinématographique indispensable et tout prendra son sens à la fin. Pas un sens universel, mais plutôt celui que vous y trouverez personnellement.
Véritable objet filmique non identifié, “Symbol” représente fièrement le cinéma comique expérimental, loin des codes du genre. Matsumoto peut y développer à loisir son univers empreint d’une folie douce enivrante.