(The Great Dictator)
1940
réalisé par: Charles Chaplin
avec: Charles Chaplin, Paulette Goddard, Jack Oakie
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Le dictateur” de Charles Chaplin.
Si on devait choisir le film le plus important de tous les temps, « Le dictateur » s’inviterait aisément dans la discussion. Ce long métrage, on le connaît tous, au moins partiellement, et il symbolise à lui seul une forme de bravoure artistique. Tourner en ridicule le régime nazi en 1940 n’est pas seulement un élan artistique, c’est un geste de résistance. Dans son film, Chaplin va se mettre dans la peau d’un barbier juif pris dans l’enfer de la persécution, mais aussi et surtout dans celle d’un dictateur imaginaire mais qui est une claire parodie d’Adolf Hitler, et utiliser ses cabrioles bon enfant habituelles pour dénoncer l’absurdité du fascisme. Retour sur un monument.
Le courage du long métrage, c’est d’abord celui d’un artiste total, Charlie Chaplin, face au plus grand défi de sa carrière: faire rire en campant l’horreur. Le comédien va prendre le film à bras le corps et donner tout ce qu’il a pour maintenir une unité de ton étonnante, mélange d’humour et de dénonciation des exactions nazies. Rarement un acteur aura pris de tels risques avec autant de réussite.
Son talent s’exprime avant tout par sa science du mouvement toujours fascinante. Chaplin porte en lui l’héritage du cinéma muet et joue la carte de la démesure gestuelle. L’acteur bondit, virevolte et cabriole pour capter l’attention. La quintessence de l’art d’un génie du 7ème art qui s’exprime pleinement dans la scène du globe, à jamais au panthéon des séquences cultes.
Le plus grand des clowns évolue dans un décor simple mais toujours propice aux élans comiques de Chaplin. Les lignes droites et les angles secs du palais du dictateur s’opposent à la vie foisonnante malgré tout dans les ghettos. Chaplin a une façon de travailler son environnement en adéquation avec le reste qui force l’admiration.
Contrairement à la plupart de ses films, c’est ici un Chaplin très sonore qui se présente à nous. Une grande partie de la thèse et du rire inhérents à l’œuvre passe par les dialogues. On garde également tous en tête l’hilarant passage où Chaplin singe la langue allemande avec aplomb dans une scène mythique.
« Saut du lit. »
La mission du film est cependant plus importante que ces simples considérations techniques. « Le dictateur » épouse totalement un dogme cher à nos cœurs de Réfracteurs: le devoir d’en rire. Chaplin tourne en ridicule totalement les puissants de son époque sans jamais s’excuser, avec une force titanesque. Les décisions des tyrans influencent le peuple, le meurtrit et pourtant, le comédien va démystifier les dictateurs par le rire, exposer qu’ils n’ont rien de grandiose mais qu’ils sont au contraire des êtres méprisables de bassesse.
Un esprit d’exhaustivité plane également sur la pellicule. Des tranchées de la Première Guerre mondiale aux alliances terrifiantes des années 40, des ghettos aux camps, Chaplin tente avec succès de capter avec son humour l’âme de l’Europe pour mieux la critiquer.
Avec une témérité sans faille, Charlot va s’échiner à représenter avec acidité Hitler et Mussolini par exemple: deux gamins capricieux et bagarreurs. Là encore, c’est toute une volonté de ramener à notre portée les barbares pour en saisir les gros défauts.
C’est ce qui permet à Chaplin de gagner en ampleur. On rit aux éclats devant « Le dictateur » avec une sincérité déconcertante et pourtant, on ne perd jamais de vue le poids de l’Histoire et de ses horreurs. Sans s’en rendre compte, on réfléchit avec ce bijou éternel, on devient moins idiot avec un simple visionnage. Une émotion particulièrement présente lors du monologue final, véritable chef-d’œuvre d’écriture.
« Le dictateur » est plus qu’un film, il est un témoignage de ce qu’est le courage artistique. Pas de concessions avec les tyrans, même face à l’apocalypse.