Blancanieves

2012

réalisé par: Pablo Berger

avec: Macarena GarciaMaribel VerduDaniel Gimenez Cacho

Il était une nouvelle fois: rares sont les histoires aussi solidement ancrées dans l’imaginaire collectif que les contes de fées. Abordés dès le plus jeune âge, ces récits font partie de notre patrimoine commun et constituent très souvent le premier livre ou film qu’un enfant va appréhender. Pourtant, se pencher à nouveau sur l’unes de ces histoires sous l’impulsion d’un auteur différent, comme Pablo Berger le réalisateur de “Blancanieves”, est souvent l’assurance de redécouvrir sous un nouveau jour ce qu’on pensait acquis. On va donc retrouver ce qui fait le funeste destin de Blanche-Neige (ici appelée Carmen et incarnée par Macarena Garcia): le décès tragique de sa mère, le remariage de son père avec une diabolique belle-mère (Maribel Verdu), et même les (environ) sept nains du conte originel. “Blancanieves” va toutefois se démarquer sur trois points: son ton plus adulte que la version edulcorée de Disney, la volonté de propulser totalement Blanche-Neige dans la culture espagnole, et enfin le pari un peu fou de proposer en 2012 un film non seulement en noir et blanc mais également muet.

Pour s’approprier totalement l’œuvre mille fois restituée sur grand écran, Pablo Berger va donc jouer la carte du dépaysement le plus total pour nous faire voyager en pleine péninsule hibérique. Blancanieves n’est plus une princesse mais la fille d’un torero célébrissime, on troque les robes de bal pour les tenues de flamenco qui constellent le film, et l’architecture générale suffit presque à changer notre vision du conte. Il existe une part de ludisme dans le long métrage, un jeu malicieux des différences qui prend place entre le spectateur et le réalisateur, un dialogue complice.

Mais c’est évidemment dans l’exercice de style dément du noir et blanc muet que l’identité profonde de “Blancanieves” se forge. En revenant aux procédés de l’époque, Pablo Berger réussit à donner une patte inédite à Blanche-Neige et à se réapproprier la légende. Il existe quelque chose d’assez unique dans l’atmosphère du film, un accent baroque qui vient clairement de ce défi de réalisation. On ne peut pas réduire “Blancanieves” à la simple pirouette technique tant le fond et la forme y tire une force d’évocation commune.

Dans cette nouvelle vision d’auteur, Blancanieves nous apparaît plus affirmée, presque sûre d’elle malgré les épreuves. Fini la pleureuse qui pouvait irriter, Carmen est ici une femme forte et déterminée. Il n’y a pas de prince charmant dans cette relecture différente, l’héroïne est seule face à sa trajectoire tragique et c’est à elle de s’en sortir.

« Peur. »

Une touche scénaristique qui apparaît un peu plus glauque que d’ordinaire mais surtout très fataliste sur le monde qui nous entoure, car malgré tout son maquillage, c’est une version plus moderne de Blanche-Neige qu’on savoure. En un simple changement d’auteur, c’est tout l’aspect morbide, cruel et profondément injuste du conte de fée qui ressurgit: on réévalue notre vision de l’histoire avec notre regard plus acerbe que dans notre tendre enfance et se sont des idées nouvelles qui émergent.

Techniquement, Pablo Berger ne va pas tricher avec son pari initial et il semble même que le cinéaste s’amuse des contraintes qu’il s’inflige. On pourrait totalement dater le film du début du siècle dernier tant le réalisateur s’épanouit dans sa démarche. Prenons sa direction d’acteurs par exemple: Berger va parfaitement saisir que la limite entre surjeu et justesse n’est pas la même dans un film muet et il va trouver un équilibre presque parfait chez ses égéries entre l’émotion de plus et celle de trop. “Blancanieves” est avant tout porté par ses actrices.

De la même manière, la photo du long métrage impressionne. Berger y trouve une pointe d’ampleur et de démesure qui s’accorde parfaitement avec un montage haché et agressif. Le metteur en scène enchaîne les visuels évocateurs et saisissants mais sur un train d’enfer. Cette envie de rythme, qui assume une part de violence dans son élaboration, peut gêner, elle est omniprésente, mais elle reste relativement pertinente.

Comment enfin ne pas placer un simple petit mot autour de la musique d’Alfonso de Vilallonga qui s’impose en indispensable narrateur. Les soubresauts du scénario sont aussi ceux des instruments qui accompagnent sans relâche le spectateur comme une importante rambarde à laquelle se raccrocher. Film muet certes, mais film sonore tout de même sans aucun conteste possible.

Pour plonger dans « Blancanieves« , il faudra une véritable curiosité pour ne pas décrocher son attention, mais Pablo Berger récompense nos efforts et remplit haut la main son défi.

Nicolas Marquis

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