(A Time to Love and a Time to Die)
1958
réalisé par: Douglas Sirk
avec: John Gavin, Liselotte Pulver, Jock Mahoney
À découvrir dans le cadre du festival « Vision d’Histoire » au cinéma « Caroussel » de Verdun, le samedi 17 octobre 2020 à 16h30.
On a coutume de dire que “L’Histoire est écrite par les vainqueurs” et on peut le constater chaque jour: les films qui glorifient les héros de guerre sont légion et dans le conflit qui nous intéresse aujourd’hui, la Seconde Guerre mondiale, le soldat américain rempli de valeur jusqu’à ras bord trône encore fièrement comme modèle scénaristique. Pourtant, il n’y a pas de vainqueurs dans une guerre, seulement un camp qui perd moins que l’autre et des populations civiles prises en étau. “Le temps d’aimer et le temps de mourir” va tenter un audacieux pari, celui de nous plonger dans le quotidien de la population allemande alors que la défaite se dessine.
Un parti-pris dès le pitch qui donne un souffle d’originalité au film. Hors de question de comparer la douleur des victimes mais il est ici question de mettre en évidence les difficultés des allemands alors que nombre d’entre eux ne soutiennent pas le régime en place. La défaite est dans tous les esprits, mais clamer haut et fort de tels propos offre un aller simple vers les camps de la mort comme prisonnier politique, où la misère et la famine sont encore plus prononcées.
Pour nous guider dans ces macabres chroniques, on suit le périple de Ernst (John Gavin), un soldat fraîchement revenu du front et qui cherche désespérément ses parents dans les décombres d’une ville ravagée par les bombardements. En chemin, il va s’amouracher d’Elizabeth (Liselotte Pulver), une voisine de quartier qui attend le retour de son père d’un terrible camp de travaux forcés où il a été emmené.
Ce personnage principal est idéal pour s’y identifier: nous qui n’avons pas l’habitude de vivre la guerre de ce coté sommes effarés en même temps que John Gavin. Ce qu’il découvre dans les ruines et l’injustice ambiante qui règne, on l’éprouve pour la première fois nous aussi. Bien sûr, on est pas trop idiot et ce que montre le film était connu, mais dans l’imaginaire collectif, la détresse de la population allemande reste discrète et le cinéaste Douglas Sirk peut graver quelques images inédites dans nos mémoires
« Love Story. »
Pas la peine d’en faire fatalement des caisses et le film l’a parfaitement compris. En s’appuyant sur une réalisation assez académique, Sirk parvient à marteler quelques symboles pertinents. Dès l’introduction, la main d’un cadavre sortant de la neige et interprétée comme le signe d’un printemps qui arrive par un des soldats démontre que l’horreur de la guerre sera mis sur la table froidement.
Plus problématique, la place des rôles secondaires. John Gavin porte le film sur ses épaules et le script laisse peu d’espace aux autres comédiens pour s’exprimer. Même sa fiancée à l’écran peine à exister. Son jeu manque de naturel, même si son image, foulard rouge sur la tête, reste en mémoire.
C’est aussi la structure du film qui nous a interpellé. Vivre cette permission comme une course contre la montre en attendant la mort qui règne sur le front est bien vu. 2h, c’est parfois conséquent au cinéma et une limite temporelle inamovible donne un côté plus ludique et digeste à l’oeuvre.
Un périple également au milieu de la décadence et du vice du régime nazi. Avec la fin des échauffourées, c’est toute la cruauté d’un gouvernement abject qui ressurgit. Après avoir broyé certains de leurs ennemis, les nazis se tournent vers les civils pour continuer de sévir. Pour eux, la fin de la guerre rime avec boissons alcoolisées alors que dehors, on crie famine. Le contraste frappe.
Bulle précaire d’amour dans ce climat anxiogène, la relation de nos deux amoureux est une respiration qui semble parfois presque anachronique. Le film interroge: un tel amour est-il possible dans tant de misère ou est-ce là un tour de magie du cinéma? Chacun y trouvera sa réponse et dans les deux cas, la mission est accomplie: dresser des chroniques de la souffrance des civils en temps de guerre.
“Le temps d’aimer et le temps de mourir” ne fait pas tout bien mais lorsqu’il s’en donne la peine, le film alarme sur des victimes oubliées de la Seconde Guerre mondiale.