Waiting for the Barbarians

2020

réalisé par: Ciro Guerra

avec: Mark RylanceJohnny DeppRobert Pattinson

En préambule, on va aujourd’hui essayer de définir un concept parfois complexe moralement: la dette coloniale. Derrière cette expression se cache un principe qui divise, celui qui consiste à dire que les anciennes colonies devenues indépendantes ont été pillées par les européens qui les avaient annexées et que le retard de développement actuel de ces pays est en partie dû aux pratiques morbides du passé. Difficile de trouver un consensus autour de cette question: d’un côté l’envie légitime de ces nouveaux états de s’élever à une place plus importante, d’un autre une génération qui refuse de payer pour les erreurs de ses ancêtres. Il n’y a pas de réponse facile à ce dilemme mais il y a un impératif pour mieux comprendre cette idée: le devoir de mémoire. Payer ou non, on doit regarder l’Histoire en face pour ne jamais reproduire l’horreur du passé et c’est ce que va proposer “Waiting for the Barbarians”, avec certes un résultat mitigé mais une intention louable.

Pourtant, à la base, le status quo est fictif. Dans un coin désertique à la frontière entre un empire imaginaire et une terrible mer de sable, un groupe de colons maintient l’autorité avec douceur envers les autochtones tout en redoutant une attaque de barbares. Mené par “le magistrat” (Mark Rylance), ces soldats sont en harmonie avec les habitants du village mais tout va être bouleversé par l’arrivée du colonel Joll (Johnny Depp) et sa cruauté révoltante.

Une histoire qui est donc une véritable métaphore de ce qu’ont pu vivre tous les territoires colonisés du globe et dans laquelle “le magistrat” apparaît lui-même comme un symbole. Il incarne la bienveillance, habité par une curiosité sincère pour ce territoire qui n’est pas le sien. Le cinéaste Ciro Guerra impose ici un idéal,  un personnage plus vrai que nature que Mark Rylance joue parfaitement.

« Y a un mec qui crache dans ta gourde! »

Impression confortée lorsque le héros de cette histoire s’éprend d’une mendiante. En la convoitant, tout en respect, on appuie là encore sur une allégorie assez évidente, voire peut-être trop. Dans ce flirt entre ces deux personnages, on comprend que c’est “le magistrat” qui épouse la culture qui l’entoure alors que ce pays se refuse à lui. Pas idiot malgré ce côté forcé.

Exactement le même feeling en ce qui concerne le colonel Joll. Dans ce rapport de force entre la douceur et la violence vraiment très crue, on oppose deux visions du colonialisme. “Le magistrat” tente de s’insérer, Joll n’a lui aucune considération pour la vie des villageois qu’il torture même de manière franchement gratuite.

Et premier énorme problème du film: Johnny Depp. Alors que l’acteur n’a qu’une minuscule poignée de répliques, son jeu d’acteur est perpétuellement à côté de la plaque. D’ailleurs, peut-on vraiment parler d’acting alors que le comédien n’affiche aucune expression, à la limite du désintérêt? La descente aux enfers de l’ancienne idole continue alors qu’il se saborde cette fois lui-même.

Mais ça ne contrarie pas un point fort du film: la photo. Le réalisateur magnifie ses décors et saisit toute la beauté de ce qui l’entoure. Des plans stylisés sur un désert infini et on se rappelle que Ciro Guerra avait déjà signé “Les oiseaux de passage”, un autre exemple du genre, même si “Waiting for the Barbarians” est moins coloré.

Mais le cinéaste va commettre un impair qui va condamner son film: le rythme est effroyablement mauvais. Franchement, mettons les pieds dans le plat, “Waiting for the Barbarians” est un long-métrage incroyablement chiant malgré sa durée acceptable. Le problème tient sûrement au fait qu’en quelques minutes on sait exactement où l’œuvre va nous amener et le reste semble superflu. Les métaphores qu’incarnent les personnages sont étirées à l’extrême, jusqu’à être privées de leur pertinence. Le film est d’une lourdeur totale et se regarde même régulièrement le nombril.

À oublier! “Waiting for the Barbarians” est un film au message louable mais à l’exécution ratée. Étonnant venant d’un cinéaste habituellement habile mais impossible à contester.

Nicolas Marquis

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