2017
de: Jordan Peele
avec: Daniel Kaluuya, Allison Williams, Bradley Whitford
« Get Out” est l’une des plus grosses claques cinématographiques de la décennie. Pan! Voilà, c’est dit, à demain! Bien évidemment on va développer rassurez-vous, mais il convient de poser ce qualificatif d’emblée tellement le film a été un succès critique et public, au point de propulser son réalisateur Jordan Peele sur le devant de la scène et d’entraîner toutes sortes de films dans sa lignée, en porte-étendard d’une nouvelle école du cinéma d’horreur. Une génération qui n’hésite pas une seconde à mélanger les ressorts les plus prenant des films délicieusement angoissants avec des sujets graves, leur apportant même des réflexions plus que pertinentes. À l’occasion de la mise à disposition sur Netflix de “Get Out”, nouvelles réflexions autour d’une œuvre majeure.
Le scénario est simple et efficace comme le sont souvent les chefs-d’oeuvre. Durant un week-end, Chris (Daniel Kaluuya), un jeune homme à la peau noire, prend la route avec sa petite amie Rose (Allison Williams) pour rencontrer les parents de celle-ci, tous blancs de carnation. Chris va assez rapidement se rendre compte que dans tout le voisinage de petits bourgeois blancs, les afro-américains sont traités presque comme des esclaves, et semblent tous dans un état second proche de la lobotomie. Anecdote rarement soulignée au passage, “Get Out” s’inspire énormément de “Les femmes de Stepford” pour peu qu’on remplace les femmes par des personnages à la peau noire.
Niveau politique, on sort les biceps: Jordan Peele administre un coup de pied dans la fourmilière et ne s’en excuse pas une seconde. Dans le paysage politique de l’époque, tout juste après les années Obama, critiquer l’hypocrisie des blancs démocrates prompts à revenir à une forme de ségrégation, voire pire, c’est foutrement courageux. Sans aucune demi-mesure, le cinéaste fait feu de tout bois avec perte et fracas, mais non sans un sens aigu du cinéma.
C’est simple, le film transpire l’amour du 7ème art: une oeuvre que ne pouvait accomplir qu’un homme dont c’est le premier film, mais qui l’a réfléchi longuement pour en faire son joyau. Pendant tout le film, c’est comme si Jordan Peele communiquait directement avec nous à travers sa réalisation pour nous dire “Merde! Si on ne me laisse faire qu’un seul film, j’irai jusqu’au bout!”. Heureusement le succès de son long-métrage assurera sa pérennité derrière la caméra. Mais il reste ce sentiment que son film est maîtrisé: rythmique sonore et visuelle parfaites, jeu de perspectives presque hypnotiques, direction des acteurs géniale (servie par un très bon casting) et surtout, un sens de la tension originale et réfléchie.
« Courage, le confinement est bientôt fini »
Le stress inhérent au film suit presque la courbe d’un électrocardiogramme qui s’accélère follement. Chaque pic d’angoisse est intense mais suivi par une accalmie, avant de rejoindre sa ligne de conduite de départ, mais en augmentant légèrement plus sa cadence qu’à l’origine. Une réelle originalité forte du film qui lui confère un véritable nouveau regard ludique pour celui qui se replonge dans le long-métrage.
Mais si au premier degré “Get Out” est un thriller haletant, on ne peut pas lui faire l’injure de ne pas disséquer son message. Quand on signe un film si courageux, la critique doit aussi se mettre au niveau. Le long-métrage amène évidemment une vraie réflexion autour de la ségrégation à peine camouflée qui règne encore chez l’oncle Sam. Un secret de Polichinelle franchement gerbant et qui n’attendait que cette occasion pour se dévoiler. Pour autant, on ne dira pas que “Get Out” est un appel à une révolte idiote, bien au contraire. Il demande une révolution plus intelligente, plus poussée, plus intellectuelle.
D’une part évidemment chez les blancs, toujours principaux détenteurs du pouvoir et de la richesse. Ils se réapproprient la culture afro-américaine et ne cachent même plus leur racisme ordinaire au détour de petites phrases assassines dont ils ne comprennent même pas la portée: le film condamne leur bêtise. “Réveillez-vous bordel!” Ce cri de colère, partageons-le. En démontrant que la moitié de l’Amérique vit condamnée par ses origines sociales, le film force les autres à ouvrir les yeux. Si les blancs sont une critique de la place laissée aux noirs dans la société, le héros affirme celle plus légitime à laquelle les afro-américains aspirent.
Pour autant, le film n’oublie pas d’égratigner également les noirs: sa critique est totale et non partielle. Les deux employés de maison de la riche famille blanche, bien que dans une servitude forcée, renvoient aux plus tristes images du temps de l’esclavage: la bonne à tout faire prête aux pires mesures pour défendre ses employeurs/maîtres et le jardinier, réduit presque exclusivement à sa musculature. Ces places-là, forcées certes par la société blanche, le film invite à y réfléchir pour s’en affranchir.
“Get Out” est une dinguerie! À tous les niveaux, il impose des idées neuves et pertinentes. Thriller haletant, message politique, dogme philosophique et tant d’autres facettes sont au rendez-vous. Une remise en cause pertinente nécessaire et transcendée par un langage cinématographique maîtrisé.
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