(قهرمان)
2021
Réalisé par: Asghar Farhadi
Avec: Amir Jadidi, Mohsen Tanabande, Fereshteh Sadr Orafaee
Film vu par nos propres moyens
L’Iran de Asghar Farhadi se dessine au fil des longs métrages. En s’emparant des thèmes de société de son époque et de son pays, le cinéaste tisse une réflexion poussée qui s’étoffe et se raffine d’années en années. Dans cette mission capitale, une constante semble habiter son cinéma: la volonté d’inscrire les enjeux qu’il dépeint au plus près du spectateur, à travers des personnages humbles et proches de nous. Asghar Farhadi n’est pas l’auteur de grandes fresques politiques symbolisées par des puissants, il se pose en chroniqueur d’un quotidien de gens ordinaires, pris dans l’engrenage de leurs dilemmes. Son dernier film, Un héros, malgré son titre qui pourrait présager du contraire, s’inscrit pleinement dans cette lignée artistique.
Amir Jadidi y incarne Rahim, un homme incarcéré pour une dette d’argent qu’il ne peut rembourser. Au cours d’une permission qui lui permet de regoûter un temps à la liberté, il fait la découverte d’un sac rempli de pièces d’or. Envisageant un temps de les vendre pour éponger une partie de sa créance, Rahim fait finalement le choix de se mettre en quête du propriétaire légitime du butin pour le lui restituer. D’abord célébré pour son altruisme, le personnage principal du film se voit lyncher par les médias, les institutions, et l’opinion publique.
Mutisme
Asghar Farhadi pose avant tout le portrait d’un homme candide. Rahim apparaît perpétuellement trop naïf pour son propre bien, esclave des événements qui sonnent sa déchéance. Il est aisé de se prendre d’amitié pour sa sincérité, même si elle n’est pas constante et s’il cède par endroit aux sirènes de la gloire éphémère, tant le poids du pouvoir en place en fait un martyr moderne. Sans cesse, sa version des faits lui est contestée, son droit à la parole bafoué: il est un pantin bien morose dont on tire inlassablement les ficelles.
Dans sa mise en scène et ses choix scénaristiques, Asghar Farhadi semble d’ailleurs mettre le droit à l’expression au centre de son œuvre. La dénonciation de l’appareil médiatique qui déforme est vivace, celle de l’administration qui contraint Rahim au mensonge tout autant, mais le cinéaste ne s’arrête pas là. Le fils du protagoniste principal du film est frappé par un bégaiement qui l’empêche de se livrer pleinement. Un parallèle intelligent est ainsi créé entre le père et l’enfant, tous deux dépossédés de leur moyens de communiquer, tous deux outrageusement utilisés, à dessein, par le système iranien.
Crime et châtiment
Un autre trait de la destinée de Rahim interpelle: la nature de son crime initial. Même si Asghar Farhadi nuance cette idée, son délit apparaît sans victime. Oui, son créancier est bien sûr en droit de réclamer son dû, mais sa situation semble confortable malgré tout, et son entreprise florissante. À plus forte raison, une peine de prison pour une dette d’argent est perçue comme disproportionnée. Le cinéaste fait le choix de rester implicite: d’abord dans les origines de cette situation, qui ne se découvrent que par le dialogue, puis dans la dénonciation subtile du cadre législatif de son pays, qui place les victimes en garant de la punition. Un simple pardon suffit à libérer Rahim.
Dès lors, on comprend mieux le propos profond d’Un héros. Rahim est prisonnier d’une situation invivable, réussit à s’en extirper, mais est condamné à répéter sa déchéance. Le long métrage réfléchit la nature même de son titre, la position de l’homme de bien. Célèbre-t-on réellement les bonnes personnes? Les intentions justes sont-elles récompensées? Ou à l’inverse, la société se parjure-t-elle en se contentant de jugements de surface? La réponse de Asghar Farhadi est aussi nette qu’acide, et transforme son œuvre en brûlot. L’administration pénitentiaire est un camouflet ne vivant que pour l’image reluisante illusoire qu’elle entretient, les tribunaux n’ont aucun pouvoir de vérité, et l’Iran plus fortunée maudit celle plus précaire. Rahim n’a rien d’un innocent, mais a tout du bouc émissaire.
L’image véritable
Au centre d’Un héros, le cinéaste interroge également son propre vecteur artistique: l’écran. Asghar Farhadi n’est peut être pas le plus grand faiseur d’image, et comme à son habitude il brille avant tout par la mise en place de ses situations, même si ses choix esthétiques sont irréprochables dans la représentation du chaos des échanges. Il apporte toutefois pour ce film une critique fine des médias et de leur pouvoir, qu’il met en scène de manière très naturaliste. En utilisant par moment des images de télévision, il ancre son récit dans le réel, et part en guerre contre les diktats des chaînes d’information et des réseaux sociaux, qui fabriquent des héros pour mieux les lyncher.
Ne reste finalement à Rahim que la vérité du cœur. Celle d’une famille qui le soutient, d’une petite amie fidèle, et de son fils. L’humain détient la sagesse dans son long métrage, est le garant de l’affectif opposé à un monde froid et cruel. Comme un symbole, c’est d’ailleurs la relation filiale qui devient le vecteur de la prise de conscience à laquelle invite le film. D’abord accro aux écrans, la progéniture de Rahim s’en détourne progressivement pour renouer avec ce père en perdition.
Un Héros est distribué par Amazon Studio.
Asghar Farhadi dresse un portrait au vitriol de son pays, sans oublier de placer l’humain au centre de sa démonstration. En mettant en opposition l’individu face à la société, le cinéaste atteint la vérité.