2022
Réalisé par : Matt Reeves
Avec : Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Paul Dano
Film vu par nos propres moyens
Depuis plus de 80 ans, Batman fait planer l’ombre de sa cape sur le monde artistique, le plus souvent avec succès. Initialement imaginé par Bob Kane, mais surtout par Bill Finger dont la contribution à la naissance du personnage et à son univers mettra de longues années à être reconnue à sa juste valeur, le chevalier noir de Gotham apparaît pour la première fois en 1939, dans les pages de Detective Comics. En plein âge d’or du comics, le héros séduit les lecteurs fidèles, et s’impose rapidement comme l’un des porte-étendards de DC. Du papier à l’écran, Bruce Wayne poursuit son irrésistible ascension et devient une icône de la culture américaine, plus contrastée que Superman. Un an seulement après sa création, Batman est naturellement porté à la télévision, dans deux séries distinctes, mais connaît surtout une explosion sans précédent de sa popularité en 1966, lorsque l’acteur Adam West lui prête ses traits pour la première fois. La genèse de l’histoire cinématographique du justicier est intimement liée à cette itération télévisuelle, puisque le premier film Batman est un prolongement de la série. Dès lors, chaque génération a le droit à son incarnation de Bruce Wayne. Des longs métrages de Tim Burton dans les années 1980 et 1990, à la vision musclée de Zack Snyder au cours de la décennie passée, en passant par la grotesquerie des oeuvres de Joel Schumacher ou l’élégance de la saga Dark Knight de Christopher Nolan, l’héritage de Batman se transmet à travers les différentes époques.
En 2022, Warner Bros entreprend de mettre en chantier une nouvelle déclinaison du super-héros. Empêtrée dans un Snyderverse qui ne cesse d’accumuler les échecs, la société de production souhaite réitérer le succès du Joker de Todd Phillips, en s’affranchissant d’un univers partagé sous lequel se noie la firme. En laissant une certaine liberté artistique au réalisateur Matt Reeves, Warner Bros espère que le cinéaste saura imposer sa patte au héros, dans une ambiance plus réaliste et mature que les précédentes œuvres, et que le succès qu’a connu l’auteur en ressuscitant La Planète des Singes se reproduira. Si les objectifs au box-office ne sont en définitive que partiellement atteints, le film sobrement appelé The Batman bénéficie d’une excellente presse, et à l’heure où la Warner est en pleine restructuration, l’une des rares certitudes actuelles de l’avenir de DC au cinéma est que Matt Reeves aura le droit de plancher sur une suite, preuve de la confiance qui lui est accordée.
Dans cette nouvelle aventure de Batman (Robert Pattinson), le chevalier noir est plongé dans un Gotham crépusculaire, à feu et à sang. Un mystérieux tueur en série surnommé L’Homme-mystère (Paul Dano) met à mort une à une les figures d’autorité de la ville et sème le chaos. En laissant sur chacun des cadavres d’étranges énigmes adressées au justicier, le psychopathe laisse apparaître une logique dans sa frénésie meurtrière. Les hommes assassinés sont tous unis par la corruption qui sévit dans Gotham depuis de nombreuses années. Dans son investigation, Batman est aidé par le commissaire Gordon (Jeffrey Wright), un des rares policiers intègres de la ville, et s’allie rapidement avec Catwoman (Zoë Kravitz), une jeune femme elle aussi en quête de justice.
À l’instar de Joker, The Batman fait fi des explosions décomplexées pour s’épanouir dans une ambiance presque anti-spectaculaire. Loin de l’exubérance d’une production Marvel ou des tentatives du Snyderverse, Matt Reeves fait de son film une revendication au droit d’être plus proche de la réalité. Si le long métrage offre bien quelques scènes de haute voltige, la grande majorité de son déroulé est consacré à l’exploration d’un talent inhérent à Batman, trop oublié ces dernières années, ses facultés d’investigateur. Le chevalier noir redevient détective virtuose, preuve que les scénaristes du film ont une connaissance certaine du personnage. Les coups d’éclat du justicier sont autant cérébraux que physiques, et son pouvoir de déduction s’affirme en qualité première. L’une des sources d’inspiration originelles notables de Bob Kane et Bill Finger, Sherlock Holmes, rejaillit aux yeux du spectateur alors que Bruce rassemble les indices. Mais si The Batman évoque les enquêteurs iconiques de l’Histoire de l’art, le réalisateur du film semble également soucieux de convoquer l’âme des polars plus récents du septième art. En empruntant une esthétique noire et poisseuse, au point de commettre parfois l’erreur de sous-éclairer son film, Matt Reeves se rapproche ostensiblement de Seven, influence indéniable de l’œuvre. The Batman fait descendre le héros de son piédestal, pour le ramener au niveau de la rue, là où errent les gens normaux. Régulièrement, la caméra illustre cette volonté en filmant l’action au ras du sol, comme posée par terre. Le chevalier noir n’est plus une figure inaccessible au commun des mortels, il en est proche. Il est bien équipé, mais pas surarmé; il semble entraîné, mais essuie une myriade de coups malgré tout; ses véhicules sont sophistiqués, mais bien moins délirants que dans les derniers films.
À l’instar de Batman, les décisionnaires de Gotham sont appelés à quitter de force leurs tours d’ivoire et à répandre leur sang dans les caniveaux de la ville, sous l’impulsion de la figure vengeresse de L’Homme-mystère, privé d’incarnation concrète pendant la majorité du film. L’ombre s’empare de la cité, et chacun de ceux qui devraient éclairer les ténèbres ne font que les rendre plus opaques. Pouvoirs financiers, politiques et policiers sont tous mis à mal par la fronde anarchiste du forcené, mais n’en restent pas moins coupables d’une trahison idéologique de leur mission première. The Batman se déroule très majoritairement de nuit, et c’est dans l’insondable noirceur que prolifère le mal de la corruption. Chacune des victimes mène une double vie, l’une factice et médiatisée, l’autre glaçante d’hypocrisie, dans les entrailles de Gotham, au cœur du club secret du Pingouin (Colin Farrell). Passer à la lumière est synonyme de mort pour les futurs condamnés, à l’instar de Carmine Falcone (John Turturro), abattu sous un lampadaire. Néanmoins, la clarté que jette L’Homme-mystère sur ses cibles est toujours artificielle, et bien souvent associée à l’éclairage électrique des caméras dont fait usage le forcené. À l’inverse, Batman, qui pense “être l’ombre” au début du film, est amené à progressivement s’approprier la lumière naturelle. Lors d’une scène sensuelle qui l’unit à Catwoman et où il brise sa carapace émotionnelle, le soleil se lève sur la ville, avant que le final du long métrage, lorsque le justicier porte secours aux citoyens, ne s’affiche en plein jour.
The Batman contredit ainsi volontairement, et intelligemment, son parti-pris initial qui visait à faire du chevalier noir et L’Homme-mystère deux incarnations semblables de la vengeance. Lorsque l’antagoniste du long métrage est introduit pour la première fois dans le récit, dès la scène d’ouverture, Matt Reeves propulse le spectateur dans la peau du psychopathe, optant pour une vue subjective. Un peu plus tard, le public est placé dans pareille situation, cette fois pour épouser le regard de Bruce. Les deux protagonistes ont un point de départ analogue et ne se différencient qu’à l’aune du chemin parcouru au cours du film. Dans une quête de fureur irraisonnée et manichéenne, L’Homme-mystère sème la mort, alors que Batman fait l’expérience d’une zone morale plus grise, notamment au contact de Catwoman qui vit dans l’illégalité, mais incarne une noblesse de cœur indéniable. Dans la troisième vue subjective proposée par Matt Reeves, Bruce emprunte d’ailleurs les yeux de sa partenaire grâce à une lentille de contact, s’ouvrant ainsi métaphoriquement à ses tourments. L’antagoniste du long métrage est un champion de la répression froide et donc injuste, le héros est lui inscrit dans une nuance perpétuelle, assimilant que les crimes ont des racines profondes et parfois des circonstances atténuantes. Batman se fait appeler Vengeance au début du film, mais toute la suite du scénario l’invite à se défaire de ce patronyme et à tendre vers un idéal plus vertueux, celui de la justice.
Le commissaire Gordon apparaît comme une autre incarnation de cette droiture morale dont les limites sont parfois floues. Souvent esseulé face à sa hiérarchie, qui voit Batman avec défiance, le policier conserve toute sa foi envers le justicier. L’homme solitaire se heurte à un pouvoir aveugle, et reste néanmoins fidèle à ses convictions, au point de transgresser les ordres. L’une des scènes les plus épiques du film, l’évasion de Batman du commissariat, s’initie ainsi suite à l’insoumission de Gordon envers ses supérieurs. Avec ce personnage, Matt Reeves prolonge l’idée que Gotham se définit davantage par ses habitants les plus simples que par ses imposants bâtiments. En rapprochant la ville fictive de l’image de New York, clairement établie à travers l’apparition d’ersatz de Time Square ou du Madison Square Garden, le cinéaste propose au public américain l’image de la mégalopole de la côte est, et en conséquence celle de la résilience de ses habitants. Gotham est frappée par les bombes et les inondations, tout comme New York a subi le terrorisme et les catastrophes climatiques récentes. Pourtant, les citoyens se relèvent inlassablement. Une part de sagesse leur est même octroyée au moment critique du récit. Proche du terme de l’intrigue, Batman ne doit la résolution de l’ultime énigme qu’à l’intervention d’un simple agent de police, qui comprend qu’un indice présent depuis le début du film est un outil servant à installer de la moquette, se souvenant du travail de son père ouvrier. L’homme simple détient un savoir que les élites ne possèdent pas.
Mais pour envisager un futur commun que The Batman n’évoque qu’à la fin du film, à travers l’élection d’une nouvelle maire, la ville doit se défaire des fantômes du passé. Bruce, Catwoman et L’Homme-mystère sont à ce titre des orphelins, devant composer avec l’ombre néfaste de leurs géniteurs, qui semblent avoir tous fauté. Pour le héros, la corruption des parents devient un fardeau, pour la jeune femme, un père mafieux la force à vivre avec le poids d’une cruelle ascendance, tandis que pour l’antagoniste, c’est Gotham dans son entièreté qui est responsable de ses malheurs. Dans un dialogue qui confesse l’horreur de l’orphelinat dans lequel il a grandi, l’ennemi de Batman laisse transparaître l’abomination que vivent les oubliés de la ville, loin des regards. Si la croisade de haine dans laquelle se lance L’Homme-mystère est profondément condamnée, elle répond néanmoins à une forme de loi du Talion, qui met en évidence les errements d’une société qui opprime l’être et qui maquille ses crimes derrière le masque de l’indifférence.
The Batman apporte une nouvelle vision dans le parcours cinématographique du chevalier noir. Plus sombre que ses prédécesseurs, le film de Matt Reeves dresse le portrait d’une société coupable.
The Batman est disponible chez Warner Bros, notamment dans une Édition Spéciale Fnac comprenant :
- Le Blu-ray 4K du film
- Le Blu-ray du film
- Le Steelbook spécial Fnac (Un disque de bonus exclusif de 20 minutes)
- La Bande Originale du film
- Une plaque en métal au visuel exclusif 276mm x 171mm
- Un présentoir
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