2022
Réalisé par : Sara Gunnarsdóttir
Avec : Pamela Ribon, Jackson Kelly, Dylan Darwish
Film vu par nos propres moyens
Si son nom n’est pas connu du grand public, Pamela Ribon est loin d’être une inconnue dans le petit monde du cinéma d’animation. À 47 ans, la scénariste possède une filmographie déjà conséquente, essentiellement marquée par ses travaux pour Disney. Dès 2016, elle est créditée au cœur d’une équipe d’auteurs fournie, pour l’écriture d’un des succès récents de la firme, Vaiana, la légende du bout du monde. Si son rôle est à l’époque encore discret, la suite de son parcours au sein de la société démontre la confiance que lui accorde les décisionnaires. Avec Ralph 2.0, sorti en 2018, Pamela Ribon n’est plus en retrait. Elle élabore seule l’histoire originale du long métrage, avant d’en diriger le scénario. Sa plume semble alors se destiner essentiellement aux enfants et une carrière toute tracée s’offre à elle. Pourtant, en 2022, la scénariste quitte les œuvres conçues pour le jeune public et s’accorde une parenthèse autobiographique qu’elle pense corrosive avec le court métrage d’animation My Year of Dicks, traduisible en français par “Mon année de bites”. Initialement pensé pour être une série télévisée, le film ambitionne d’offrir une vision relativement crue de la découverte de la sexualité à l’âge adolescent, à travers cinq chapitres de la vie d’une jeune américaine. À l’évidence, se tourner vers Disney apparaît impossible pour Pamela Ribon, qui confie dès lors la réalisation de son court métrage à la cinéaste Sara Gunnarsdóttir et à son équipe technique. Collectivement, ils élaborent une œuvre pourtant très personnelle.
Sous des faux airs de confessions intimes ancrées dans les années 1990, My Year of Dicks relate le parcours de Pam (Pamela Ribon elle-même), une adolescente fermement décidée à perdre sa virginité. Entre fantasmes et réalité, la jeune fille tente de trouver le partenaire idéal mais se heurte sans cesse aux désillusions d’une quête d’apparence impossible. Au fil d’une accumulation d’échecs sentimentaux, chacun des garçons sur qui elle jette son dévolu finit par la décevoir, ses parents n’offrent aucun réconfort et seuls ses amis proches semblent réellement la comprendre.
Pour illustrer l’odyssée sentimentale de son héroïne, My Year of Dicks oscille constamment entre rêves et réalité, jouant de son esthétique pour passer d’un monde à l’autre. Si le quotidien est restitué avec des traits simples et secs, peu séduisants, les rêves de Pam changent d’approche graphique à chacun des cinq chapitres, pour offrir un hommage à différents genres cinématographiques. Des films d’horreur au septième art français d’auteur, en passant par le registre gothique, le court métrage fait des fantasmes de sa protagoniste un espace d’imagination débridé, témoin d’un âge où les influences culturelles s’élargissent, dans une découverte d’un monde artistique nouveau. Pourtant, l’onirisme est toujours brisé par un retour froid à la réalité. Pam s’enferme dans son imagination et s’invente des univers imaginaires mais ses déboires la ramènent toujours à la dure et froide réalité. Ses rêves de petites filles sont encore présents, notamment dans le segment qui emprunte des allures d’animation japonaise, mais ils sont mis à mort par la découverte de la véritable nature humaine des garçons de son âge. L’innocence se perd dans un quotidien cruellement banal. Pam en devient malheureusement désespérément crédule, au point de ne pas voir l’évidence sous ses yeux que chaque spectateur constate immédiatement. My Year of Dicks voudrait faire épouser au public le point de vue de son héroïne mais sa candeur maladive confine si souvent à la bêtise que l’identification devient complexe. L’écriture de l’œuvre est grossière, voire exaspérante devant certains prétendants d’emblée néfastes, et perd toute son universalité. Le court métrage n’est en définitive que le journal intime d’une adolescente pas franchement attachante et n’a de corrosif que son titre, malgré ses ambitions.
Pourtant, My Year of Dicks à l’intention d’aborder la sexualité adolescente de manière crue, en la déconnectant presque de tout sentiment. Pam veut aimer, mais elle veut avant tout en finir avec sa virginité, passer une étape pour devenir une adulte, sûrement trop vite. Le lendemain affectif n’est presque pas envisagé, seul compte le passage à l’acte, comme pour se débarrasser d’un fardeau. Le court métrage avait là l’occasion de trouver une froideur et un cynisme pertinent dont il n’a jamais de cesse de se détourner pour se réfugier dans la psyché d’une jeune fille exaspérante de mièvrerie. Perpétuellement, le film nous fait sentir à juste titre que Pam fait fausse route, mais Pamela Ribon commet l’erreur de parsemer l’ensemble de scènes qui ne laissent aucun doute sur l’issue de l’aventure. Au terme du récit, la protagoniste est destinée à comprendre la force de l’amour du cœur plutôt que celui du corps, dans une explosion de bons sentiments, et jamais le spectateur n’imagine une fin différente, et ce dès les premières secondes. La subtilité, et peut être même la cohérence, s’évapore devant un schéma scénaristique éculé. Une unique séquence, ironiquement la seule qui s’écarte de la structure narrative répétitive, semble pertinente en confrontant Pam à une évocation de la sexualité de ses propres parents. Devant le discours du père de famille qui prétend que faire l’amour est une douleur pour la femme, le spectateur comprend que l’absence de modèle parental laisse l’héroïne désemparée et seule dans son périple affectif.
Néanmoins, si My Year of Dicks offre ainsi des racines aux tourments de Pam, il ne parvient pas à faire comprendre au spectateur une forme de bêtise latente qui caractérise assez nettement le personnage principal. La détermination de la protagoniste à perdre sa virginité est admissible, mais il est relativement compliqué de concevoir qu’elle s’interdise de conjuguer son envie avec le sentiment amoureux. Son meilleur ami, dont on ne doute jamais qu’il finira par devenir son petit copain, est altruiste, bienveillant, attentionné, et à l’évidence charmé par Pam. Pourtant, dans un nouvel élan scénaristique maladroit, l’adolescente ne le considère même pas. Probablement Pamela Ribon souhaite nous faire comprendre que son incarnation dans le film doit d’abord faire le deuil de ses fantasmes avant de constater ce que tout le monde observe depuis vingt longues minutes, mais l’omniprésence du garçon dans les instants de détresse lui confère une place si précieuse que le rendre invisible est rigoureusement impossible. Il n’est jamais spectateur du récit, il en est un acteur clair à chaque chapitre, et sa marginalisation ne fait aucun sens. My Year of Dicks est davantage une chronique puérile qu’une quête de sagesse.
My Year of Dicks n’a de politiquement incorrect que son titre. À travers la quête affective de son héroïne, le film sombre dans l’immaturité, laissant apparaître des faiblesses scénaristiques et esthétiques claires.
My Year of Dicks est disponible légalement sur Vimeo.
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