2021
Réalisé par: Lana Wachowski
Avec: Keanu Reeves, Carrie-Anne Moss, Jessica Henwick
Film vu par nos propres moyens
Au demeurant prometteur, Matrix Resurrections est malheureusement une œuvre bancale, phagocytée par sa propre légende. Malgré quelques fulgurances, le retour de Neo sonne quelque peu comme un pétard mouillé.
Revenir là où tout a commencé, il y a 22 ans. Dans un cinéma américain gavé jusqu’à l’overdose de franchises, remakes et autres crossovers, le retour de la saga culte des sœurs Wachowski avait de quoi faire lever un sourcil d’étonnement. Qu’y avait-il à raconter d’une saga dont la portée philosophique semblait avoir été close par le troisième opus, Matrix Revolutions ? Lourde tâche à laquelle s’est employée Lana Wachowski, seule à la barre de ce quatrième film, sa sœur étant partie vers d’autres horizons. Une tâche qui nous apprend que le retour aux sources peut parfois avoir un goût amer…
Back to the Matrix. Thomas Anderson/Neo (Keanu Reeves) est revenu dans la matrice et dans son rôle de programmateur informatique. Pourquoi, comment, dans quel but ? Le film se chargera de donner les réponses qu’on se gardera bien de dévoiler. En revanche, il convient d’évoquer l’étonnant mais très couillu pari métaphysique qu’opère le film dans sa première demi-heure. Faisant de la trilogie originale un élément à part entière du scénario, à grands coups de dissertations sur la nature profonde de Matrix, le film s’engage sur un chemin vivifiant, où la conscience de son propre univers et de sa dimension fictionnelle deviennent éléments constitutifs de la psyché du personnage de Neo, qui semble complètement déphasé par ce monde où frontière entre rêve et réalité est de nouveau brouillé. Lana Wachowski semble sur de bons rails, reprenant la question de l’aliénation et de l’influence capitalistique sur le monde à son compte, lui apportant la sévérité du regard sur un monde qui n’a rien appris. Malheureusement, comme le choix, ce n’est qu’une illusion.
Fan-service orgiaque
Il est en effet regrettable de voir Matrix Resurrections plonger dans les travers que sa première partie semblait critiquer. Dès lors que Neo reprend du poil de la bête, le film passe en pilotage automatique, multipliant les rebondissements avec peu d’effet de surprise. Là où Matrix premier du nom avait su surprendre par un scénario riche en questions existentielles, celui-ci ne fait que les effleurer. La question de l’amour, devenue centrale dans cet opus (les parents des Wachowski sont décédés à cinq semaines d’intervalle, donnant à Lana l’envie de ce scénario comme catharsis), est traitée via le duo Neo-Trinity, véritable enjeu de ce film qui, finalement, n’en contient pas réellement. La vision pessimiste de l’évolution humaine énoncée dans la première demi-heure vient se heurter à une vision plus optimiste du monde réel, mais sans que jamais ces deux formes de réalité ne soient source d’un potentiel conflit moral.
Lana Wachowski ne se prive pas de faire de Matrix Resurrections une véritable orgie à fan-service, multipliant les références discrètes autant que les retours impromptus voire régressifs. Si ce dernier point reste heureusement sporadique, le film ne se vend donc que comme une œuvre de fan, dont la richesse ne se découvre qu’au travers de ces multiples clins d’œil. S’il faut reconnaître une élégante manière de perpétuer la saga sans en faire une œuvre figée, la nostalgie en est quand même un gros ressort narratif, qui suppose une absence de renouvellement et un manque d’intérêt pour les nouvelles itérations, pourtant prometteuses au vu d’une réalisatrice qui a récemment brillé (Cloud Atlas, Speed Racer) par sa volonté de briser les conventions.
Des héros vampirisants
Exit d’ailleurs l’esthétisation à outrance des précédents opus. La caméra épaule devient presque la norme, rendant les scènes plus frénétiques mais leur faisant perdre leur ionisation. La faute justement à un montage manquant cruellement de rythme, qui, s’il crée l’urgence, ne parvient jamais à se poser suffisamment pour créer le visuel qui fera mouche. Si la photographie, modernisée, n’a rien perdu de sa superbe, de sa richesse visuelle ni de son détail, il en reste un film plus quelconque, plus proche des grosses productions actuelles que de la révolution que fut le premier Matrix. Dommage quand on voit la manière dont Lana Wachowski se moque justement de ces blockbusters dans sa première demi-heure, alors qu’elle finit par tomber dans les mêmes travers.
Dans cette volonté de toujours se raccrocher à la trilogie et notamment son duo amoureux, la réalisatrice sacrifie ses personnages secondaires, qui pourtant sont le véritable vent de fraicheur du film. Un Morpheus (Yahya Abdul-Mateen II) plus fantoche, une nouvelle venue, Bugs (Jessica Henwick) et un Smith renouvelé (Jonathan Groff) auraient gagné à être les moteurs du récit. Mais ils se retrouvent les chevilles ouvrières d’un duo qui vampirise le long-métrage, tant et si bien que même les considérations philosophico-métaphysiques sont reléguées au second plan. Mal traités, trop vite abandonnés, ils sont le symbole d’un film aveuglé par sa déférence envers lui-même et dont le postulat, prometteur au demeurant, est très vite abandonné pour un récit somme toute banal.
Matrix Désillusions
Matrix Resurrections a la qualité de sa sincérité. Il semblerait saugrenu de reprocher à Lana Wachowski, pour qui ce film et la trilogie sont des manières d’exprimer ses propres tourments, une volonté cynique de retour à un univers connu. Les premières trente minutes en sont d’ailleurs la preuve. Mais force est de constater que le film se prend méchamment les pieds dans le tapis et que, si elle n’est pas le gadin annoncé, ne dépassera jamais la réflexion méta originelle. Sous cette matrice prometteuse, une réalité décevante. Sous cette filiation annoncée, une simple question qui subsiste : un retour dans Matrix était-il nécessaire ?
Matrix Resurrection est distribué par la Warner.
Les ambitions et l’honnêteté de Lana Wachowski sont là, en filigrane. Malheureusement, malgré une première demi-heure prometteuse, Matrix Resurrections, sans être un gadin, est beaucoup trop sage pour atteindre l’ambition philosophique et visuelle de ses prédécesseurs.