(The Return of the Living Dead)
1985
Réalisé par: Dan O’Bannon
Avec: Clu Gulager, James Karen, Don Calfa
Film vu par nos propres moyens
Bien que régulièrement décrit comme caractériel et ingérable, le scénariste Dan O’Bannon était une personnalité marquante des mondes de l’imaginaire au XXème siècle. Décédé en 2009, il reste à ce jour un des noms connus de la science-fiction, parfaitement identifié par les fans du genre. Quelques années avant que Ridley Scott ne le mette en image, son travail sur Alien, le huitième passager, en compagnie de son fidèle complice Ronald Shusett, pose les premières pierres d’un monument du cinéma fantastique et fait du vide insondable de l’espace un obscur lieu de danger. Le long métrage connaît de nombreuses transformations avant sa sortie en 1979, mais hérite du leg des auteurs. En 1990, le duo de scénaristes collabore avec un autre grand réalisateur en la personne de Paul Verhoeven, et adapte à l’écran une nouvelle de Philip K. Dick: le mythique Total Recall est né, et le public répond au rendez-vous. Mais Dan O’Bannon ne s’adonne pas qu’à l’écriture, et bien que cet aspect de sa carrière soit beaucoup plus discret, il s’essaye, à une poignée de reprises, à la mise en scène. En 1985, l’artiste cherche à s’extirper de l’image de la franchise Alien qui lui colle à la peau, et “veut offrir une comédie horrifique plutôt qu’un autre film de science-fiction”. C’est vers l’effroyable univers des zombies qu’il s’oriente dès lors, et il réalise Le Retour des morts-vivants pour un budget modeste qu’il compense par une imagination débridée. Bien que parfaitement rentable, le long métrage n’est pas un succès absolu. Cependant, à mesure que les années passent, le film acquiert la réputation d’œuvre culte pour les férus du genre, à tel point que suite à une campagne internet intense pour une ressortie, MGM réédite le film en DVD, puis en Blu-ray, lui offrant une deuxième jeunesse. Les morts se lèvent à nouveau, et envahissent cette fois le petit écran.
Le Retour des morts-vivants installe son histoire dans un cadre restreint, une simple bourgade de la côte est des États-Unis. Dans un entrepôt de stockage de matériel médical, le jeune Freddy (Thom Mathews) est initié par Frank (James Karen) au fonctionnement de la petite entreprise. Au cours d’une conversation anodine, l’ancien confie à son apprenti un bien étrange secret: dans la cave du bâtiment sont stockés des barils de l’armée, renfermant les cadavres d’une épidémie zombie secrète que les militaires ont contenus. Dans un excès d’insouciance, les deux hommes inspectent les fûts, et libèrent malgré eux le gaz qui contamine les alentours, notamment le cimetière adjacent. Dès lors, Freddy et Frank, bientôt rejoints par un groupe de jeunes délinquants, leur patron, et le croque-mort voisin, luttent pour leur survie face aux morts-vivants.
Dans un élan de malice et d’humour noir, Le Retour des morts-vivants se singularise par sa décomplexion, sa fougue, et son cynisme qui prête régulièrement au sourire. Nombreuses sont les représentations des zombies offertes par le film qui sont aujourd’hui devenues légendaires, et auxquelles la Pop Culture ne cesse de faire référence. Pourtant, à l’époque, le film tranche avec les canons du genre: l’univers des morts-vivants n’en est qu’à ses balbutiements, et épouse généralement la logique du drame horrifique, loin des éclats de rire sadiques qu’offrent le long métrage. Le Retour des morts-vivants pose même de nouvelles règles dans ce sous-genre de l’horreur, et n’hésite pas à casser les codes établis. Ainsi, l’appétit prononcé des zombies pour les cerveaux, aujourd’hui communément admis au cinéma, est une nouveauté. Pour la toute première fois, les morts-vivants ne se meuvent plus au ralenti, mais courent également. Leur intelligence est par ailleurs bien plus développée que ce qui est usuellement montré. Cette note d’intention précurseur est établie dès les premières minutes, alors qu’un chien empaillé, découpé en deux pour laisser apparaître ses organes internes, prend vie. Le Retour des morts-vivants se permet tout, avec audace.
Ce jeu perpétuel avec la grammaire usuelle des zombies découle en fait indirectement de l’héritage de La nuit des morts-vivants, le chef-d’œuvre de George A. Romero. Le script initial du Retour des morts-vivants est signé par John A. Russo, le coscénariste de la précédente proposition, qui décide d’un commun accord avec Romero de suivre sa propre voie. Sa première proposition se veut une suite directe de son travail fondateur. Toutefois, Dan O’Bannon refuse d’empiéter sur les plates-bandes du maître de l’horreur, et impose sa vision. Pour parfaitement se démarquer, le réalisateur décide de citer explicitement La nuit des morts-vivants, le propulsant dans le récit comme un film, mais inspiré de faits réels. Alors que Le Retour des morts-vivants se maquille ironiquement lui-même sous le fard d’une histoire véridique, Dan O’Bannon crée une dimension supplémentaire et casse le quatrième mur. Au delà de la mention explicite de La nuit des morts-vivants, les révérences au film restent nombreuses, et les citations visuelles, comme lorsque les bras des zombies percent les barricades de fortune, ou celles de mise en scène, lorsqu’une voiture devient un enjeu pour les protagonistes, abondent dans le long métrage.
Le Retour des morts-vivants n’est pourtant pas qu’une simple pirouette filmique. Si la légèreté est de mise dans cette pure série B, quelques thèmes profonds s’ancrent dans le long métrage. À l’évidence, la vision de la jeunesse offerte par Dan O’Bannon est profondément désabusée. En pleine ascension du mouvement Punk, et au beau milieu du mandat de Ronald Reagan, les adolescents se confrontent à une société patriarcale qui les étouffe. En écho à leur détresse, le long métrage dénonce la voie de garage dans laquelle la société les enferme. Plus que la délinquance qui les caractérise, ce sont les pseudonyme de ces personnages qui résonnent, à l’instar de Trash et Suicide. Les jeunes adultes sont aux aboies, et les premières victimes de la folie des anciens. Le choc générationnel est même plus vif lorsque Le Retour des morts-vivants assimile le produit qui fait revivre les morts à l’Agent Orange, ce poison qui a fait des ravages chez les militaires durant la guerre du Viêt-Nam. Les ainés ne sont d’aucun secours, et la représentation succincte de l’armée, à travers un personnage loin des lieux du drame, montré dans son habitat de style colonial aux peintures évoquant l’esclavage, accentue ce sentiment, avant la note finale du film hautement fataliste.
Cependant, la vieille garde n’est pas complètement absente du théâtre de l’apocalypse: un trio de personnages l’incarne, mais ne semble que d’un maigre secours. Frank est le coupable désigné de la libération du virus, son patron est désemparé face à la situation, mais plus prégnant qu’eux sur le récit, le croque mort Ernie (Don Calfa) revêt une signification pour le moins déroutante. Si on ne prête pas attention aux détails, on assimile à peine son origine allemande. Toutefois, Dan O’Bannon dispose une succession d’indices dans Le Retour des morts-vivants qui laissent à penser qu’il est tout simplement un ancien nazi. Une photographie d’Eva Braun orne les murs de son salon funéraire, la musique qu’il écoute renvoie à l’Afrika Korp du IIIème Reich, et une citation en allemand évoque les crimes contre l’humanité du XXème siècle. Une fois encore, les anciens sont les garants du pire dans le film, les pourvoyeurs de l’ignominie. À plus forte raison, le fait qu’Ernie manipule un four crématoire insuffle un sous texte qui glace le sang. L’hideux appareil est régulièrement filmé en contre-plongé par Dan O’Bannon, telle une porte des enfers, et c’est l’expulsion de la fumée issue de l’incinération d’un zombie qui contamine invariablement les alentours.
Si l’Histoire est donc la source du mal, Le Retour des morts-vivants évoque aussi des angoisses très actuelles au moment de la sortie du film. Les années 1980 signent le début de la lente prise de conscience écologique. L’industrie n’est plus vue unilatéralement comme une source de bienfaits, mais porte aussi en elle son lot de dangers. Dan O’Bannon ne souligne jamais trop cette idée, il n’empêche que la cheminée du crématoire qui propage le virus s’assimile ostensiblement à celle d’une usine. L’averse qui tombe immédiatement après est elle comparée par les plus jeunes protagonistes à une pluie acide qui leur brûle la peau. Enfin, le mort-vivant le plus iconique du long métrage semble recouvert de goudron, et est d’ailleurs nommé “Tarman” dans le scénario. La modernité apporte son lot de peurs et de désolation, et la conclusion du Retour des morts-vivants convoque même le spectre du nucléaire comme ultime péril.
Bien qu’étant une pure série B décomplexée et jouissive, Retour des morts-vivants n’est pas dépourvue de messages plus ou moins explicités. Dan O’Bannon s’amuse avec le spectateur, et offre un spectacle captivant d’inventivité.
Le Retour des morts-vivants est disponible en DVD chez MGM, avec en bonus:
- La bande annonce du film