(The Appointment)
1969
Réalisé par: Sidney Lumet
Avec: Omar Sharif, Anouk Aimée, Didi Perego
Film vu par nos propres moyens
À la fin des années 1960, Sidney Lumet est un cinéaste mécontent. Si le noir et blanc lui a offert quelques unes des plus belles pages de sa filmographie, son passage à la couleur ne le satisfait pas. Il convient d’ailleurs de souligner que ses œuvres qui adoptent cette nouvelle dimension du 7ème art ne sont jusqu’à lors pas de francs succès, y compris sur le plan formel. En 1969, selon les dires du réalisateur dans son livre Faire un film, sa rencontre avec le directeur de la photographie Carlo Di Palma lui permet de franchir le cap, pour enfin faire évoluer son art dans ce domaine.. Ce technicien est loin d’être un inconnu: parmi ses travaux les plus remarquables figurent Blow-Up et Le Désert Rouge, deux classiques de Michelangelo Antonioni, dans lesquels Carlo Di Palma est admirable de fougue. C’est par pure admiration pour Le Désert Rouge justement que Sidney Lumet accepte de mettre en scène Le Rendez-vous, une escapade italienne dans sa carrière, qui lui permet de travailler avec celui qu’il estime tant.
La promesse ne déçoit pas sur le plan formel. Le Rendez-vous est l’un des films les plus ambitieux visuellement de Sidney Lumet de tout point de vue, parfois proche de l’expressionnisme. Les couleurs, propre à l’Italie des années 60, se font mordantes et éclatantes. Ici une surabondance de rouge, alors que les personnages se déchirent, là des teintes plus douces pour souligner une passion naissante. Le cadrage marque également une intelligence de chaque seconde, à l’image de ses plans où la solitude des protagonistes est ancrée dans le récit par l’envie de les enfermer dans un décor oppressant. Sidney Lumet se permet même une prise de vue somptueuse depuis un hélicoptère, qui commence par un plan rapproché sur le couple au centre de l’intrigue, pour progressivement s’éloigner d’eux jusqu’à ce qu’on ne les distingue plus et qu’on voit apparaître les contours de l’île où ils se trouvent. Ils sont seuls au monde à cet instant, et Le Rendez-vous nous le montre explicitement.
Ce couple à la romance viciée est incarné par Omar Sharif et Anouk Aimée. Lui, Federico, est un avocat menant une vie solitaire. Elle, Carla, est la compagne d’un de ses confrères. Le coup de foudre est immédiat pour l’homme, allant même jusqu’à l’obsession, et lorsque son ami lui confie sa rupture, Federico est prêt à bondir sur l’occasion. Toutefois le motif de la séparation perturbe ses élans amoureux: l’ex-concubin de Carla la soupçonne de vendre son corps pour des sommes astronomiques, bien qu’elle ne soit pas dans le besoin. Le doute qui s’empare de Federico est alors total: peut-il l’aimer malgré tout ? Doit il croire son ami qui ne fournit que des preuves contestables ? La jalousie qui est la sienne et qui l’incite à plonger dans le monde de la prostitution pour confronter Carla est-elle justifiée ?
Autant d’interrogations qui servent de moteur à l’intrigue du Rendez-vous. À chaque incursion de Federico dans la maison close où il pense trouver Carla, on craint qu’il ne surprenne la jeune femme et que leur amour meure ainsi de la sinistre découverte. À plus forte raison, c’est la déconfiture de ce personnage principal, alors que sa vie sentimentale s’épanouit, qui maintient l’attention du spectateur. Malheureusement, Omar Sharif ne livre pas une prestation des plus convaincante. Il lui manque de l’intensité mais aussi de la nuance dans son jeu, alors que la caméra s’attarde pourtant longuement sur lui. On peut aussi faire le reproche au Rendez-vous de parfois tirer en longueur, voire de tourner en rond dans son dernier tiers. Pourtant, au jeu de l’interprétation, le film ne manque pas de substance. Il apparait clair une fois passée la moitié du film que la prostitution n’est peut être qu’un prétexte, ou tout du moins une métaphore. Le film interroge davantage sur comment aimer quelqu’un qui a un passé houleux, ou même simplement comment devenir l’homme d’après.
L’installation du couple Omar Sharif et Anouk Aimée marque dès l’entame une rupture formelle entre les deux protagonistes. Federico vit dans un appartement au mobilier ancien, chargé et lourd tandis que le logis de Carla est résolument plus moderne, mais surtout beaucoup plus épuré. L’un semble regarder vers le passé, ce qui le pousse dans sa quête du secret supposé de celle qu’il aime, l’autre ne veut plus regarder en arrière et souhaite avancer. Le dialogue souligne ce fait dans une séquence où, contrainte par les questions de Federico, Carla livre une part de son passé avant de fondre.
Plus étonnement, ou peut être est ce pour mieux nous faire tomber également amoureux d’Anouk Aimée comme si sa beauté inconditionnelle ne suffisait pas, Sidney Lumet disperse des élément de conte de fée dans son histoire, qui se révèlent annonciateurs du dénouement du long métrage. Ainsi, Carla est toujours proche du sommeil, telle la Belle au bois dormant. Dans sa première apparition elle refuse un verre d’alcool de peur de s’endormir, puis régulièrement elle baille, où manifeste d’autres signes de fatigue. Sa première apparition l’impose de manière iconique dans le visuel: le metteur en scène adopte un choix de focale qui fait d’Anouk Aimée le seul élément net dans un décor flou, comme un être enchanteur.
Son personnage porte aussi une réflexion sur le temps qui passe alimentant la thèse du film. Carla est régulièrement mise en scène près de la nature, comme par exemple au contact d’animaux, et encore plus souvent proche de l’eau, le berceau de l’évolution qui l’attire irrémédiablement. À l’inverse, Federico évolue dans la mémoire des hommes: la maison close où il se rend est camouflée par l’échoppe d’une brocanteuse servant de proxénète. Ici Sidney Lumet surcharge son décor d’accessoires anciens, avec parmi eux une peinture de Mussolini. S’ensuit un échange détestable avec la commerçante qui vante les mérites du dictateur. Anouk Aimée est dans la vérité organique, Omar Sharif dans le mensonge de l’Histoire humaine.
Le temps passe également pour Sidney Lumet qui conclut les années 60 sur ce Rendez-vous. Une décennie de transition pour le cinéaste qui malgré d’immenses chef-d’œuvre en noir et blanc, a dû s’adapter à l’arrivée de la couleur. Son travail sur ce film servira à paver la voie pour insuffler de la force évocatrice dans ses géniaux longs métrages des 10 années suivantes.
Le Rendez-vous est parfois un peu ronflant, et trop cryptique, mais le travail formel de Sidney Lumet et Carlo Di Palma sert admirablement le message de fond de l’œuvre.