(The Sea Gull)
1968
Réalisé par : Sidney Lumet
Avec : James Mason, Simone Signoret, David Warner, Vanessa Redgrave
Film vu par nos propres moyens
En Russie à la fin du XIXè siècle, Sorine, conseiller d’État à la retraite, reçoit dans sa maison de campagne, sa soeur Irina, actrice célébrée mais en déclin, accompagnée de son amant Trigorine, écrivain renommé mais sans grand talent. Au cours du séjour, les résidents de la maison s’épanchent sur leurs amours non partagées, leurs aspirations contrariées, les jalousies des uns, les désespoirs des autres.
Il n’y a pas beaucoup de personnages, mais si on le résume, le film ressemble à une comédie shakespearienne, dramaturge que l’auteur de la pièce originale, Anton Tchekhov, aimait et cite explicitement dans La Mouette : Medvedenko, instituteur sans le sou, est épris de Masha, fille du régisseur de la propriété, qui, elle, aime Constantin, jeune aspirant dramaturge, qui n’a d’yeux que pour Nina, sa voisine, qui se laisse séduire par Trigorine. Si le récit a l’air enchevêtré, l’action se resserre surtout autour d’Irina et de son fils Constantin, et de Nina et Trigorine.
Tchekhov décrit une bourgeoisie de province désoeuvrée, pétrifiée par les temps qui changent, dont les décisions comme les hésitations mènent à la tragédie.
Le jeune Constantin aspire à devenir auteur de théâtre, à bousculer l’écriture et la manière de jouer des comédiens. L’ambition est dangereuse puisqu’il s’attaque au domaine de sa mère qui ne lui concède rien. Quel meilleur sujet pour un grand directeur d’acteur comme Sidney Lumet ?
L’une des particularités de Tchekhov est de distiller des pointes d’humour dans des scènes au ton plus tragique, ce qui crée une incongruité. Ainsi, lorsque Constantin réunit ses amis et sa famille pour assister à une pièce expérimentale qu’il a écrite, il doit supporter les critiques déguisées, les réflexions décontenancées, les attitudes distraites de son public. La scène est à la fois déchirante et drôle, partagée entre ce garçon qui a mis tout son coeur et son ambition dans un texte et une mise en scène trop avant-gardistes pour ses spectateurs – à laquelle s’ajoute l’interprétation vaporeuse de sa muse Nina -, et les préoccupations plus physiques de l’audience. Sidney Lumet et Gerry Fisher, son directeur de la photographie, font ici un choix étrange, un flou qui semble être une erreur technique, et non pas une démarche travaillée. La vanité et les emportements de Constantin devraient prêter à rire, son désespoir devrait nous émouvoir, mais on se sent un peu comme ses pauvres spectateurs, forcés d’assister à une représentation théâtrale expérimentale, qui s’ennuient à mourir et n’y comprennent rien. Les sentiments amoureux qui agitent cette petite société ne sont pas le point fort de Sidney Lumet et on peine à avoir de l’empathie pour les personnages, que pourtant, Tchekhov, dans son oeuvre, ne méprise jamais.
Si les performances sont pour la plupart tout à fait respectables, l’adaptation ne prend pas. Le film se heurte à un problème de rythme, car malgré une caméra mouvante (et parfois approximative) et certains beaux plans, il ne se passe finalement pas grand-chose. L’un des écarts du film néanmoins et il est heureux, est de s’être débarrassé de la dernière réplique de la pièce pour laisser l’image parler d’elle-même. On se rend alors bien compte que l’adaptation littérale de l’œuvre est un obstacle à l’appréciation du film. Sidney Lumet est adepte des monologues et des longues tirades. Il y en a plusieurs dans le film, et contrairement aux morceaux de bravoure de 12 hommes en colère, de Network, du Crime de l’Orient-Express, il ne parvient pas à animer ceux de La Mouette, souvent filmé en longs plans parfois quelconques.
Une partie des personnages, désoeuvrés, abattus par leur incapacité à se redresser pour prendre le contrôle de leurs vies, s’ennuie dans cette campagne éloignée de la vie urbaine, et les spectateurs avec eux. Sorine, le vieillard, se lamente de n’avoir pas vécu, Constantin est écrasé par les critiques, Irina constate avec angoisse qu’elle est une actrice vieillissante qui n’est plus le centre de l’attention de tous, Nina souffre de l’autorité de ses parents. Enfin, parce qu’il voit en Nina un éclair de vie qui le sort de son indolence, Trigorine emporte la jeune fille, se nourrit de son énergie et cause sa ruine.
Au moment de la sortie du film, en 1968, la confrontation entre les générations est d’actualité, les mouvements de jeunesse s’élevant contre les inconduites de la génération précédente. Sidney Lumet passe pourtant à côté de ce thème, n’entre pas dans l’interprétation, ne s’approprie que vaguement la pièce. Il est pourtant accompagné de comédiens de haut niveau. James Mason interprète Trigorine, prototype de son personnage de Humbert Humbert dans Lolita (1962). Simone Signoret incarne Irina, actrice qui voit la nouvelle génération prendre sa place. Cette nouvelle génération est figurée par Nina qui non seulement désire devenir comédienne, mais séduit l’amant d’Irina. Difficile d’ignorer la vie personnelle de Simone Signoret, elle-même délaissée un temps par son mari Yves Montand fasciné par une autre actrice, Marilyn Monroe. Difficile de ne pas imaginer que Sidney Lumet a suggéré à Simone Signoret de se rappeler ces douloureuses semaines pour enrichir son jeu. Pourtant, lors des scènes de détresse, et malgré quelques répliques plus intenses, la grande actrice peine à toucher, pas très à l’aise dans la traduction anglaise d’un auteur russe. Elle est en fait plus éloquente dans les moments de silence où seul son visage témoigne de ses tourments. Face à elle, la jeune Vanessa Redgrave tire son épingle du jeu par une interprétation délicate de ce rôle de jeune fille à la fois vulnérable et passionnée, illustrant de fait la confrontation entre leurs deux personnages.
Malgré des qualités formelles et d’interprétation, La Mouette est une déception par son incapacité à s’approprier le texte de Tchekhov. Malgré une distribution méritante, le film, tirant en longueur et sans imagination, ennuie.