2021

Réalisé par : Jay Rosenblatt

Avec : Ella Rosenblatt, Jay Rosenblatt

Film partagé par Jay Rosenblatt lui même (merci Jay)

Jay Rosenblatt est un cinéaste indépendant américain ayant réalisé à ce jour plus de trente courts métrages documentaires. Professionnel aguerri, Il enseigne la production de films et de vidéos dans diverses écoles de cinéma de la région de San Francisco et il est actuellement directeur du programme du Jewish Film Institute. Ancien thérapeute, son travail explore la psychologie de l’être humain grâce à ses films tous personnels dans leur contenu mais universels dans leur message. Un an après Quand on était des petites brutes, qui avait fait sensation et valu à son auteur une nomination aux Oscars, il revient cette année avec le très intime, comme toujours avec lui, How Do You Measure a Year?.

Dans ce film, très minimaliste dans la forme, Jay Rosenblatt filme sa fille, Ella, tous les ans, le jour de son anniversaire, de 2 à 18 ans, en lui posant toujours les mêmes questions. “Que veux-tu faire plus tard?”, “Qu’est ce que le pouvoir selon toi?”, “Que pensera la version de toi, âgée de 25 ans?”. Les interrogations du père sont somme toutes assez classiques, et c’est une des limites du film que Jay, lui-même adresse en s’excusant presque auprès de sa fille de la platitude de ses questions. Cependant, en 29 minutes, par tranches de 2 minutes pour chaque âge, Ella passe sous nos yeux d’un enfant en bas âge incapable de se concentrer, plus interessée par une éventuelle récompense sucrée que par la démarche artistique de son père, à une jeune femme épanouie et articulée intellectuellement, et c’est là tout l’interêt de l’oeuvre. 

Il est intéressant de préciser que le duo n’en est pas a son galop d’essai puisque Ella et Jay ont déjà eu l’occasion de collaborer ensemble sur un autre projet du père, Beginning Filming, dans lequel Jay tentait d’enseigner avec pédagogie à Ella, âgée alors de 4 ans, l’utilisation d’une caméra de cinéma. 

L’intérêt de How Do You Measure a Year? réside donc principalement  dans les différentes étapes qui parsèment la transformation physique et mentale de la jeune fille. À chacun des moments de sa vie, Ella possède ses propres centres d’intérêt, ses interrogations, ses certitudes sur son existence mais aussi sur la vie en général. Ella, comme tous les enfants, fait montre d’immaturité et d’égoïsme avant de s’affirmer sous nos yeux comme une personne altruiste et attentive aux autres quand elle prend de l’âge. Ainsi, si les premières années de la vie d’Ella, comme beaucoup de jeunes filles de cette génération, sont marquées par la découverte de la musique, avec tout d’abord une fascination pour Hannah Montana avant de découvrir Beyoncé, les affres de l’adolescence sont évidents et même si chaque étape de sa vie d’enfant est montrée furtivement, le spectateur assiste finalement à l’épanouissement d’une jeune femme et à la naissance d’une conscience. En gagnant de l’expérience, Ella passe d’une enfant naïve et autocentrée à une jeune fille sérieuse et mature. Un des passages intéressants du film est celui où elle remet en cause son statut de privilégiée. Consciente de la chance qu’elle a de grandir dans un environnement culturel très riche, elle sait qu’elle part dans la vie avec un avantage certain sur d’autres enfants de son âge. Ella, dès ses 11 ans, perd graduellement son innocence et son ouverture au monde extérieur est en ce sens à la fois une bénédiction pour son développement personnel mais également une fatalité.  

Le second protagoniste du film est bien entendu Jay Rosenblatt lui-même. À la manière d’un Alain Cavalier, principalement présent hors champ, sa voix est omniprésente pour guider Ella par ses questions. Sa mise en scène est austère, pour ne pas dire inexistante et Jay privilégie le visage d’Ella, filmé avec une lumière minimaliste. Le décor est simple, on ne voit jamais autre chose que le canapé familial; Ella s’en offusque d’ailleurs, mais cela sert le propos du film qui est de se focaliser sur les conséquences du temps sur le développement d’un enfant. Car oui, dans How Do You Measure a Year?, le protagoniste principal est le temps lui-même et son impact sur la vie d’Ella, bien sûr, mais également sur celle de Jay et par extension sur celle du spectateur. Une année peut paraître à première vue comme étant un court moment de notre existence, mais observer grandir Ella de la sorte est un rappel sur la brièveté de la vie, exposée par Sénèque dans De Brevitate vitæ:  la vie n’est pas trop courte, c’est nous qui la perdons.     

How Do You Measure a Year? est le portrait en accéléré de la vie d’une jeune fille. En faisant le choix d’une mise en scène minimaliste, le film peine néanmoins à transcender le caractère personnel de la démarche pour ne jamais atteindre une réelle universalité. 

How Do You Measure a Year? sera bientôt disponible sur le site de Jay Rosenblatt.