1989
Réalisé par: Sidney Lumet
Avec: Sean Connery, Dustin Hoffman, Matthew Broderick
Film vu par nos propres moyens
Les années 1980 se concluent comme elles avaient commencé pour Sidney Lumet, sur le ton de l’humour. Si certains grands films du cinéaste dans cette période abordent des thèmes graves, à l’instar de Daniel, À bout de course ou Le Verdict, ce sont deux comédies qui marquent le début et la fin de cette décennie, comme deux parenthèses: le très oubliable Just Tell Me What You Want, et le plus honorable Family Business. Mais bien que les sourires sincères s’invitent régulièrement dans ce nouveau long métrage du maître, il n’existe assurément pas d’œuvre de Sidney Lumet dépourvue d’un message social appuyé, d’une forme de révolte face aux systèmes qui régissent notre monde. La fronde est certes adoucie par la légèreté de rigueur dans ce nouvel exercice, mais le metteur en scène lui-même décrit davantage Family Business comme une fable générationnelle que comme une potacherie idiote.
En portant à l’écran une nouvelle de Vincent Patrick, qui signe également le scénario, Sidney Lumet dépeint les conflits familiaux qui marquent la famille McMullen dont tous les membres masculins ont plus ou moins flirté avec le monde du banditisme. Si le grand père Jessie (Sean Connery) revendique avec fierté son existence faites de petites combines et de casses relativement humbles, son fils Vito (Dustin Hoffman), en conflit avec son père, c’est lui émancipé de ce quotidien pour établir une entreprise respectable. Ce statu quo est remis en question le jour où l’enfant de Vito, Adam (Matthew Broderick), un étudiant pourtant respectable, propose une juteuse combine à ses deux aînés: le vol d’apparence aisé d’un laboratoire de recherche en génétique. En faisant fi de leur différents, les McMullen s’allient pour accomplir leur larcin, avec perte et fracas.
Malgré la cocasserie inhérente à certaines situations, c’est avant tout par le dialogue que s’exprime le ton humoristique de Family Business. Fidèle à sa réputation de directeur d’acteur hors pair, Sidney Lumet se repose sur son trio d’acteurs prestigieux pour alimenter son récit en saillies verbales cinglantes. Sans grande surprise, c’est son fidèle complice Sean Connery, qui signe ici sa cinquième et dernière collaboration avec le réalisateur, qui porte la plupart des répliques délicieusement acidulées du récit, insufflant un second degré bienvenue, et une certaine rudesse amusante à son personnage.
Malheureusement, et même si Jessie est ouvertement le personnage pivot du film, un certain déséquilibre en découle: Dustin Hoffman et Matthew Broderick, pourtant pétris de talent, ont parfois bien du mal à exister face à ce monstre de charisme. À plus forte raison, et même si le maquillage du long métrage permet de passer outre au bout d’un temps d’adaptation, on peut légitimement se demander si le choix d’imposer Sean Connery et Dustin Hoffman en temps que père et fils est judicieux alors que seulement 7 ans sépare l’âge des deux comédiens.
L’illusion reste toutefois suffisamment entretenue pour que les thèmes profonds du film s’épanouissent, en premier lieux desquels la réflexion ouverte sur le cercle familial, et la transmission à l’enfant de ce qui définit ses aïeux. C’est en devenant lui-même grand-père que le scénariste Vincent Patrick a trouvé l’inspiration pour Family Business, en constatant que certains de ses traits de caractère se sont transmis à son petit-fils, bien qu’ils aient sauté une génération. Le long métrage expose clairement cette originalité, en unissant bien plus ouvertement Adam à Jessie qu’à son propre père. Plus parlant encore, Sidney Lumet oppose Dustin Hoffman et Sean Connery dans sa mise en image: au cours d’un échange qui prend place dans un bar, le cinéaste filme tour à tour les deux acteurs de profil, mais le regard tourné dans des directions opposées. Dès lors, les instants où les McMullen sont réunis dans le même plan prennent une signification particulière, comme au moment du casse.
Pourtant, Family Business réussit implicitement à esquisser quelques traits communs à toute la famille, comme ce côté bagarreur propre à tous les McMullen. Au plus profond, c’est le devoir paternel qui est interrogé: quelle est la mission d’un bon père envers son fils ? Celle de lui offrir un avenir radieux ? Sidney Lumet balaye cette idée ouvertement. Lui éviter les erreurs de la vie ? Le déroulé de l’histoire prouve le contraire. C’est davantage une notion d’accompagnement, mais surtout de sacrifice, que veut proposé Family Business, non sans rappeler dans un degré moins dramatique ce que le cinéaste proposera par la suite avec À bout de course. Un enfant doit apprendre de ses erreurs, et son père doit l’aider à se relever lorsqu’il trébuche, même au prix des plus grandes souffrances. L’amour ne se prouve que face aux pires épreuves.
Croire que le film ne se cantonne qu’à la recherche d’une place au sein du cercle familial serait cependant une erreur tant celle qu’on tente de s’approprier dans la société est également présente. Nombre de personnages secondaires voient leur statut social interrogé et remis en cause, et ce dès l’ouverture du récit. Les grands-parents maternels de Adam sont un couple de juifs vivant dans le Bronx, désireux d’y rester coûte que coûte malgré les objections de leur famille. Un axe du récit qui résonne fatalement intensément chez Sidney Lumet tant il rappelle l’enfance du réalisateur. À l’inverse, Vito s’est lui établi dans un luxueux appartement de standing. Family Business interroge toutefois sur l’aspect factice de son ascension sociale au moment de montrer son bureau, isolé au milieu de son usine de viande. Les carcans de notre monde sont défaillants.
Dès lors, le délit dont se rendent coupable les McMullen prend une légèreté étrange, un aspect presque légitime. Le larcin est presque montré comme une profession à part entière, et très régulièrement, Sean Connery l’évoque avec une grande fierté. Pour lui, les chemins de traverse de la vie n’ont rien de honteux, un voleur, si tenté qu’il soit talentueux, est tout aussi respectable qu’un policier. Au cours de deux scènes, les McMullen et les forces de l’ordre fraternisent même. À travers le dialogue, Family Business prétend même que les véritables malfaiteurs de notre monde sont ceux qui dirigent les banques et les institutions, avant d’enfoncer totalement le clou dans son dernier tiers, lorsque l’on comprend que les victimes du forfait des McMullen sont eux aussi des escrocs. Tout le monde dupe tout le monde dans le long métrage, les héros du film ont juste l’honnêteté de le faire ouvertement et avec panache.
Mais la fatalité est tout aussi inhérente au cinéma de Sidney Lumet que la révolte, et malgré son humour jusqu’ici présent, la conclusion du film est bien plus amère que son entame. Fidèle à lui-même, le réalisateur impose une logique de long métrage judiciaire dans cette ultime portion, avec une véritable acidité, à l’image du crachat de Sean Connery dans le tribunal. Mise en scène et image se rejoignent: jusqu’alors très coloré, le long métrage prend des teintes plus obscures, notamment au moment de représenter la prison, étrangement proche graphiquement de l’appartement de Jessie. Fidèle complice de Sidney Lumet, le directeur de la photographie Andrzej Bartkowiak salit la pellicule, la dépossède de tout artifice acidulé, ramène les McMullen à la douloureuse réalité, celle qui tranche métaphoriquement la tête de ceux qui veulent s’émanciper.
Family Business est un film imparfait: l’équilibre entre les acteurs est défaillant et son scénario parfois facile. Il n’en reste pas moins un moment relativement agréable et divertissant, avec un fond qui se distingue si on y prête attention.
Family Business est disponible en Blu-ray, mais en import, du coté de Spirit Media