Tom à la ferme

2013

réalisé par: Xavier Dolan

avec: Xavier DolanPierre-Yves CardinalLise Roy

Le combat continue! Alors qu’on a tendance à l’oublier, certaines luttes sociales pour plus d’égalité ne sont jamais totalement gagnées. L’exemple évident du moment, c’est bien sûr les différentes manifestations qui ont lieu aux USA pour mettre en évidence les bavures policières qui frappent la population noire. Mais chez nous aussi, certaines pratiques anxiogènes ont toujours cours: l’homosexualité par exemple est toujours vue comme une déviance par de trop nombreux concitoyens et ce combat contre les préjugés toujours d’actualité. Ce thème, le cinéaste Xavier Dolan l’a énormément théorisé dans son Québec natal et avec l’un de ses premiers films, “Tom à la ferme”, on va voir que l’oeuvre n’a malheureusement rien perdu de sa pertinence.

Tom (Xavier Dolan lui-même) est un jeune gay venu de Montréal. Alors que son compagnon décède, il va se rendre à ses funérailles dans la campagne reculée du Canada. Sur place, il est accueilli par la famille de son amant mais il va rapidement découvrir que la mère du défunt (Lise Roy) ignore tout de l’homosexualité de son fils et Francis (Pierre-Yves Cardinal), le frère du disparu, va violemment martyriser Tom pour que celui-ci invente des souvenirs d’anciennes conquêtes féminines au mort. Alors que ce jeu pervers se poursuit, Tom va être de plus en plus prisonnier de cette famille déviante.

Ce qui marque en premier dans “Tom à la ferme” est sans doute cette façon qu’a Dolan, contrairement à ses habitudes, d’épouser les codes du thriller, voire de l’horreur, pour réfléchir l’homosexualité. Dans le fond, c’est un thème que le cinéaste a de nombreuses fois exploré mais dans la forme, c’est une logique de film à suspense qu’il adopte. Montage sec par moments, musique angoissante et une tension progressive ponctuent ce film sans lui enlever sa mission première. Une agréable surprise qui fait de “Tom à la ferme” le film le plus universel de Dolan selon nous.

Bien qu’à l’époque le cinéaste n’en soit qu’à ses débuts, on constate très souvent un sens de l’esthétique déjà affirmé. La composition des plans est réfléchie à l’extrême et déjà d’un raffinement exquis. Plus amusant à constater encore, cette façon qu’a Dolan de modifier le format de l’image: des années avant “Mommy”, le québécois utilisait déjà ce procédé avec beaucoup de sens.

« Grosse fatigue. »

Autre force de Dolan déjà présente dans “Tom à la ferme”: son talent pour diriger ses acteurs. Si le réalisateur campe lui-même le rôle principal, le reste du casting ne démérite pas du tout, bien au contraire. Francis en impose et sa déviance personnelle se lit sur son visage mais c’est peut-être Lise Roy qui nous a le plus scotché. Magnifiquement mise en valeur par la caméra de Dolan, elle est celle par qui le film bouleverse alors qu’elle se berce d’illusions. Un personnage à l’écriture parfaite.

Intéressant de constater que toujours dans cette logique de tension, Dolan va introduire les membres de la famille du défunt hors-champ. Alors que la caméra se focalise sur Tom, on découvre d’abord les autres acteurs par la voix, puis de dos, et enfin de face. De quoi entretenir le mystère intelligemment et ne pas dénaturer ce thriller.

Mais allons plus en profondeur sur la manière dont Dolan expose l’homosexualité, car c’est bien évidemment là que le film prendra tout son sens. À l’évidence, le cinéaste oppose de manière très brutale gays de la ville et l’étroitesse d’esprit des ruraux. Foi de meusiens, cette analyse de la société n’a pas vraiment vieilli: difficile d’être homo en milieu urbain mais encore plus insurmontable à la campagne. Avec une certaine forme de défaitisme et sans demi-mesure, le réalisateur dresse un portrait peu reluisant mais pertinent des villages reculés où les préjugés sont toujours légion.

Mais on ne peut pas réduire “Tom à la ferme” à ce postulat simpliste: il faut décortiquer cette famille de paysans pour mieux comprendre les racines du mal. Un père décédé, une mère qui idéalise sur son fils disparu mais surtout un frère parfois très ambigu sur sa propre sexualité. Derrière ses élans de violence, on sent constamment un refoulement profond de ses propres sentiments. On n’excuse pas un personnage aussi maléfique et totalitaire mais on apprécie que Dolan ne nous livre pas une histoire qui ne se vivrait qu’à un degré simpliste.

Au détour d’une tirade grivoise, alors que Tom et Francis invente une compagne au disparu, on érige de manière très tordue la sexualité en trophée. La mère qui se félicite des conquêtes imaginaires de son fils apporte un sentiment très étrange dans le cœur du spectateur, entre dégoût, compassion et pitié. C’est habilement joué de la part de Dolan et cela va permettre de mieux accepter la deuxième partie du film.

Une seconde moitié où Tom va se fondre dans cette famille et occuper la place laissée libre par le défunt pourrait-on même dire. C’est grâce au portrait suffisamment élaboré de ces paysans qu’on accepte ce qui aurait pu paraître incongru. Francis a besoin d’un frère, la mère d’un fils, et Tom se complait dans les baskets de son ancien amour. En plus de l’homosexualité, c’est une thèse sur le deuil plutôt intéressante que tisse Dolan.

« Tom à la ferme » est distribué par Potemkine.

Loin de ses films les plus prétentieux, “Tom à la ferme” apparaît comme une œuvre unique dans la filmographie de Dolan, peut-être même son long-métrage le plus accessible grâce à sa grammaire intrigante.

Nicolas Marquis

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