2020
de: Leigh Whannell
avec: Elisabeth Moss, Oliver Jackson-Cohen, Harriet Dyer
Il fait parti du clan des maudits: ces films qui étaient en pleine période d’exploitation quand l’épidémie de Covid-19 a contraint la plupart des pays à fermer leurs salles de cinéma. Universal a décidé depuis de rentabiliser au maximum ses long-métrages qui ont subi le préjudice, en les mettant dès à présent à disposition en version dématérialisée, moyennant quelques dollars sur le territoire nord-Américain. En France, le cadre légal est bien plus complexe: la fameuse loi sur la chronologie des médias qui avait défrayée la chronique à son instauration, censée garantir la survie des petits exploitants (mais aussi la croissance des gros groupes, soyons honnêtes) devient désormais une sacrée embûche dans laquelle le studio se prend les pieds. Étant donnée la période tout à fait exceptionnelle de confinement que nous connaissons en ce moment, on ne doute pas que des solutions seront trouvées pour que l’initiative s’étende jusqu’à chez nous. Mais en attendant, “The Invisible Man” n’a jamais aussi bien porté son nom: peu l’ont vu, et personne d’autre ne peut le voir. Derrière l’ironie de son titre, on détaille un peu plus ce que le film a dans le ventre.
« The Invisible Man” c’est donc la promesse de revisiter le mythe de l’Homme Invisible, dont on ne compte plus les différentes versions tous médias confondus. Dans cette nouvelle itération, il se retrouve à nouveau antagoniste du film, à l’instar du long-métrage qu’avait proposé Paul Verhoeven. C’est par contre cette fois une histoire de mari violent, dont Cecilia (Elisabeth Moss) réussit à s’échapper de justesse. Apprenant sa mort quelques jours plus tard, elle va rapidement croire à une mise en scène, d’autant plus que des événements terrifiants se produisent autour d’elle. Est-ce le fruit de son imagination ou son ex-mari, physicien de génie, a t-il découvert une façon de se rendre invisible? On ne trahira pas grand chose (pas plus que la bande-annonce) en annonçant dès maintenant que la deuxième hypothèse va se vérifier rapidement.
Amusant signe des temps, qui relève davantage de l’anecdote: on retrouve un Homme Invisible qui accomplit l’impossible grâce à une combinaison. Sans être une nouveauté qu’apporte le film, on était pourtant plutôt habitué à des versions du mythe qui mettent en scène un scientifique derrière des fioles fumantes de produits chimiques, tout spécialement lorsque le film adopte le nom de la célèbre figure fantastique. Ici c’est la technologie qui prend le relais, et ce fait anodin est assez révélateur du long-métrage: une oeuvre coincée entre volonté de nouveautés, et traditions trop marquées.
Commençons donc par les bons côtés: “The Invisible Man” évite de nous infliger une origin-story pataude qui aurait empli une grosse portion de l’entame du film. On préfère nous plonger immédiatement dans l’action, en ouvrant le long-métrage sur la fuite d’Elisabeth Moss de son anxiogène foyer. Toute la mythologie de cet Homme Invisible va apparaître par touches discrètes au fil de l’histoire. Un traitement qui permet d’alléger le fantastique pour se concentrer sur le personnage de Cecilia.
« Ciel! Il n’a pas lavé la douche! »
Car la vrai modernité est dans le parcours de cette héroïne. Violentée par son mari, le personnage d’Elisabeth Moss est presque une métaphore de l’émancipation féminine. Un thème récurrent dans la filmographie de l’actrice d’ailleurs, si on prend le temps de l’éplucher, et encore terriblement présent dans l’actualité. Le film semble au service de cette thèse, et va réussir à l’alimenter discrètement. Ce mari violent qui devient invisible, il est pourtant de plus en plus présent visuellement au fil du temps, jusqu’à son apparition finale sous des traits humains: une belle idée. Plus que ça, une vraie symbolique d’une parole qu’on invite à se libérer, de femmes que l’on prie de s’exprimer pour dénoncer leurs bourreaux. Un Homme Invisible opposé à une femme qui veut enfin être reconnue, c’est pertinent.
Le cadre psychologique que l’on offre à cette héroïne nous a semblé lui aussi intéressant. En l’affligeant d’une agoraphobie latente, résultat de ses sévices passés, la peur de ce monstre que l’on ne peut pas percevoir par définition, frappant le plus souvent dans l’intimité du domicile, renforce le côté étouffant de ce film d’horreur qui épouse en fait davantage la grammaire du thriller.
Malheureusement, derrière ces quelques bonnes idées, “The Invisible Man” va rester coincé dans des concepts un peu plus datés. Prenons pour exemple la façon dont il suggère l’invisible: pour la plupart, des procédés hérités des précédents films sur le mythe. Une personne qui vole dans les airs après un coup invisible, une femme traînée par les cheveux par une poigne que l’on ne voit pas, un jet de peinture pour mettre en évidence la silhouette imperceptible: tout ça sent un peu le réchauffé. On n’est pas convaincu qu’il existe des milliers de façons de faire, et le rythme du film suffit à lui donner un souffle moderne, mais on constate un peu attristé que le long-métrage ne propose que peu de nouveautés. Pire, il va même s’alourdir par moments de maquillages ratés, de choix d’angles de caméra douteux, et autres écueils du genre qui traduisent une certaine paresse dans la réalisation brute.
Ce qui nous a le plus chagriné est pourtant un peu plus profond, et symptomatique des productions d’horreurs un peu trop ouvertes au grand public. Expliquons-nous: on retrouve le mythe de l’Homme Invisible avec plaisir, d’autant plus que son concept est toujours ludique. Cette peur sans visage, qui peut frapper à tout moment, et qui prend des airs malsains de Big Brother, elle n’a pas vieilli, elle fonctionne. Et pourtant, la trajectoire d’Elisabeth Moss, elle, aurait mérité plus de travail encore. Pour la remettre au goût du jour, il fallait prendre le temps d’offrir une résolution à ses problèmes psychologiques mois abrupte. “The Invisible Man” tombe dans le piège de “l’événement capital”, celui qui va bouleverser la psyché d’un personnage d’une manière bien trop rapide et fondamentale pour être plausible.
“The Invisible Man” a deux visages: l’un séduisant, ludique et modernisé est plus que réussi. Malheureusement, il est prisonnier d’un deuxième aspect du film, beaucoup plus académique et convenu. Un bon moment donc, mais qui ne bouleverse pas les codes du genre tant il leur fait la révérence.