(Yume)
1990
de: Akira Kurosawa
avec: Akira Terao, Mitsuko Baishô, Toshie Negishi
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Rêves” d’Akira Kurosawa.
Cette semaine encore, nos amis du mercredi, tastr.us, nous proposent un film d’Akira Kurosawa. On aurait bien tort de s’en plaindre tant le réalisateur japonais figure au panthéon des metteurs en scène de vos Réfracteurs. Petite subtilité toutefois puisqu’après avoir largement évoqué la période noir et blanc du cinéaste, on se propulse cette fois plus en avant dans sa carrière alors qu’il est passé avec brio à la couleur, mais surtout à une époque où il est au crépuscule de sa vie, 8 ans avant sa mort.
À l’occasion de l’un de nos autres articles, on avait évoqué le fait que Kurosawa était l’un des réalisateurs fétiches de nombreux autre cinéastes. À l’évidence, “Rêves” s’inscrit dans cette admiration que voue le monde du cinéma occidental au metteur en scène japonais. Jugez plutôt: Spielberg à la production, et Scorsese dans une apparition à l’écran pour interpréter Vincent Van Gogh le temps d’une scénette. C’est forcément une marque d’adoration du monde du septième art pour celui qui a émerveillé toute une génération de cinéastes.
Deuxième subtilité puisqu’en plus d’être en couleurs, contrairement à la majorité des films de Kurosawa, “Rêves” est également un “film à sketchs”. Découpé en plusieurs scénettes mettant en scène les rêves (justement) du cinéaste, le film est une petite gourmandise, une balade dans l’esprit de l’un des plus grands metteurs en scène. Allez, on vous prend par la main et on vous emmène dans l’imaginaire de Kurosawa.
« Rêves » a tout d’un bijou pour cinéphiles. Quel adepte du cinéma n’a jamais rêvé de se plonger dans l’âme de l’un des réalisateurs qu’il adore? C’est possible avec ce film puisque le cinéaste propose une promenade magique et féerique dans son imaginaire. Un monde fatalement fait de magie et de situations oniriques et délicieuses. C’est presque un morceau d’Histoire du cinéma d’ouvrir ainsi son esprit aux autres, et c’est avec joie qu’on se laisse entraîner
« Somewhere, over the Rainbow… »
Au coeur du film, les préoccupations d’un homme de l’enfance jusqu’à la vieillesse. On dit que les rêves sont là pour préparer psychologiquement l’être humain à des traumatismes qu’il pourra ainsi mieux digérer lorsque la réalité rattrapera l’imaginaire. Dans le film qui nous intéresse aujourd’hui, cette notion d’anticipation est évidente, que ce soit à travers le prisme de l’enfance, comme le segment du film intitulé “Le verger aux pêchers”, ou que ce soit par l’intermédiaire d’obsessions plus adultes, comme la peur du nucléaire qui semble habiter une grande partie du film.
Cette thématique écologique est d’ailleurs l’un des axes principaux du film. Peut-être est-ce parce que le Japon a été touché plus que n’importe quel autre pays par les catastrophes nucléaires, toujours est-il que cette peur de l’energie atomique est prépondérante. Kurosawa, comme les autres nippons, semble avoir été traumatisé par les sinistres événements et tente de les encaisser comme il peut à travers ses rêveries. Conjugué avec une réflexion sur l’état du monde qu’on lègue à nos enfants, on comprend que le cinéaste n’est pas un simple rêveur. Il est aussi quelqu’un d’ouvert sur son époque, qui dès 1990 prend à bras le corps des sujets d’actualité qui ressurgiront tristement bien plus tard.
Mais si “Rêves” est un régal pour les cinéphiles, il n’en reste pas moins une errance contemplative qui risque de perdre l’attention du grand public. C’est le prix à payer et on ne conseillerait sûrement pas le long-métrage comme un point d’entrée dans la filmographie du réalisateur. Non, l’oeuvre est à réserver à ceux qui se sont émerveillés plus d’une fois sur son travail et qui désirerait savoir comment fonctionne le cerveau de Kurosawa: le rêve est par nature volatile et vaporeux, il convient de s’y préparer avant d’attaquer le film.
Le cinéaste ne se contente pas de cela et va amorcer toute une série de propositions visuelles enchanteresses. On pense notamment aux somptueux décors qu’utilise Kurosawa, et même s’il se repose un peu dessus, merde! C’est beau, tout simplement! Mentionnons tout particulièrement les segments consacrés à l’enfance du maître où entre cadre féerique et personnages fantastiques, le petit garçon qu’était à l’époque le génie du cinéma tente de faire sens du monde autour de lui.
Kurosawa va aussi s’appuyer plus d’une fois sur des scènes de processions qui donnent vie aux rêveries. C’est d’ailleurs à travers elles que le film va faire une boucle et devenir cohérent d’un bout à l’autre. Le fil rouge n’est pas scénaristique mais plutôt dans les thématiques qu’amorce l’œuvre.
On ne définira pas “Rêves” comme l’un des premiers films de Kurosawa à regarder, mais plutôt comme une espèce de parenthèse qui permet de mieux comprendre tout ce qu’a essayé de théoriser le génie nippon.